II - Choisir (1)

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Rien. J'ai protesté, j'ai supplié, j'ai crié, j'ai imploré... Et longtemps ! Mais cela n'a pas suffit pour ébranler la décision de papa. Maman m'a appelée et m'a dit :

- Perle, il faut que tu laisses ton papa travailler tranquillement, d'accord ? Tu es trop jeune pour comprendre certaines choses, encore.

- Alors apprenez-les moi.

- Ton père a déjà essayé. Il t'a expliqué qu'il n'y avait pas les gentils d'un côté et les méchants de l'autre. Mais que tout était gris.

J'ai sursauté :

- Maman ! Est-ce que cela veut dire que papa et toi avez aussi une part de méchant ? Est-ce que cela veut dire que May aussi... Et moi ?

- Notre but est de devenir le plus gentil possible. Mais parfois, nous n'y arrivons pas. Est-ce que tu ne te mets pas en colère quelquefois ? Cela ne veut pas dire que tu es méchante. Mais plutôt que tu as une part en toi qui est plus sombre que le reste. Et pour certain, ce doit être le cas pour ton prisonnier, la part de beau est presque égale à la part de laid.

Je n'ai rien pu répondre à ces paroles. Il me fallait réfléchir. Alors je suis partie dans la ville, encore une fois. Je répète "une part de beau et de laid en chacun de nous". Je découvre un monde infiniment plus complexe que je ne l'avais cru et cela me fait peur.

Autour de moi, je pensais les gens heureux en fonction de leur mérite. Mais il semble que j'ai tort... Infiniment tort. Le plus riche marchand de la ville pourrait très bien être le dernier des filous.

En moi, une sorte de barrière se brise. Je perds un peu de ma naïveté. Cela fait mal et me tord le ventre. Et quand cette barrière s'est tout-à-fait envolée, je ressents encore un petit malaise intérieur.

Je ne peux pas l'admettre. C'est vrai quoi ! Dans les contes que l'on me raconte, j'ai appris à haïr le méchant et aimer le gentil. Mais alors... Si le méchant et le gentil ne sont qu'une seule et même personne, faut-il le haïr ? Si le monde n'était que haine, il serait bien triste.

Alors est-ce qu'il faut le haïr et l'aimer en même temps ? Le haïr de temps en temps et l'aimer autrement ? Je vois bien que c'est la route qu'on me demande de suivre. Je vois bien que c'est ce que papa essaie de me faire comprendre. Je sais qu'il faudra qu'un jour je comprenne toutes les subtilités du monde adulte.

Mais puis-je changer le monde ? Je suis princesse. Si je dis l'on m'ordonne. Ai-je donc trouver la solution miracle qui rendra le bonheur dans le château de sable ? Il semble que nous ayons tous une part de beau. Alors moi je décide d'aimer cette part de beau. Et je changerai le monde.

Dans cette ville, je vois bien qu'il y en a qui sourient et qui rient. Mais d'autres pleurent. Est-ce donc qu'on ne les a pas assez aimés ? Je sais que mon raisonnement peut paraître simpliste mais c'est ma simplicité d'esprit, ma logique si vous préférez, qui me l'a indiqué.

- Bonjour Violette, comment vas-tu ?

Je souris, je discute, je ris, je m'émerveille : comme les gens peuvent être bons et beaux !

- Tes fleurs sont ravissantes aujourd'hui.

- Tout comme vous, princesse. Vous rayonnez !

- Je peux t'en prendre une ? Je voudrais l'une de ces belles et douces algues vertes. C'est l'une de tes plus belles fleurs, je trouve.

- Très bon choix, princesse. À qui allez-vous l'offrir ?

- C'est mon secret...

Et je souris mystérieusement, les yeux pétillants de malice.

La jolie plante dans ma main, serrée contre mon cœur, je poursuis ma promenade. Je sautille presque, tant je suis heureuse à l'idée de ce que je vais faire.

Après une brève hésitation, j'entre dans des ruelles plus froides et plus glacées. L'animation retombe instantanément. Mais loin d'être effrayée, je vois ma joie se transformer en excitation.

Il n'y a plus personne. Je suis seule avec ma fleur, ma si belle fleur. Je sautille toujours. Heureusement, je connais ces rues. Je ne m'y perdrais pas.

Je cherche.

Et je trouve : un homme est enveloppé dans une couverture, dans un coin sombre. Il lit. Si même les plus misérables et les plus malheureux ne sont pas méchants, alors je serais la bonté même avec eux.

- Vous voulez ma fleur ?

Je cherche son regard. Un franc sourire éclabousse mes traits tant je me sens heureuse.

- Votre... Fleur ?

Il redresse la tête et me considère avec étonnement. Et là je recule d'un pas tant je suis stupéfaite.

Il a mon âge ! C'est un enfant !

Mais pourquoi ?

Pourquoi ?

Ma joie s'évanouit instantanément. Je lui tends résolument la main avec un air décidé :

- Lève-toi.

Il a pris mon algue d'un geste machinal. Après avoir jeté un coup d'œil sur son livre, il me lance un regard pétillant et me sourit. Je devine qu'il aime lire et rire...

- Maintenant, si tu le veux bien, tu vas être mon ami.

Il ouvre de grands yeux ronds de chouette.

- Qu'est-ce que tu dis ?

- Tu vas être mon ami.

- Pourquoi ?

- Parce que je suis seule et que j'aimerai bien avoir un ami.

Alors sa réponse me surprend par sa franchise :

- Je veux bien. J'aime bien avoir de la compagnie.

- Tiens... Pourquoi es-tu dans l'ombre et non dans la rue marchande si ensoleillée ?

- Papa m'a dit d'attendre ici. Je suis trop jeune pour mendier. Il m'aime et ne veux pas me confronter au grand monde. Pas si tôt. Regarde ce qu'il m'a offert hier !

Il me montre encore une fois son bouquin, un livre comique.

- Alors nous allons jouer, qu'est-ce que tu en dit ?

- Oui ! On peut dire que je suis un prince vaillant et courageux qui vient secourir sa princesse en danger !

- Pff !

Je ris.

- Je ne veux pas être princesse ! Non...

Je plisse des yeux mystérieux pour murmurer d'une voix grave et sérieuse :

- Je suis un pingouin.

Et nous éclatons de rire de concert.

- Alors petit pingouin ! Je viendrais te sauver du grand froid de la banquise !

Les pingouins sont des animaux fantastiques qui apparaissent quelquefois dans les contes. Je les ai toujours trouvés adorables.

Nous courons jusqu'aux remparts nord. En sortant de l'ombre, je ne peux m'empêcher de noter ses incroyables cheveux en forme de bulot. Il me prend par la main et me crie de temps en temps :

- Cours plus vite, pingouin ! Pingouin, plus vite ! On va nous rattraper.

Il crie, il rit. Et je fais de même. Mais tous deux, nous n'avons pas vu deux gardes qui, offusqués de ce qu'un mendiant traite leur princesse de la sorte, nous ont pris en chasse. Deux fois de suite pris au même piège, vous me prenez pour une imbécile ? Je ne me laisserai pas faire.

Mon château de sableOù les histoires vivent. Découvrez maintenant