XIV - Calme avant la tempête (1)

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Bon. Enfermée. Je fais quoi ? J'éclate maintenant ou j'attends que mes parents passent me voir ?

Maintenant :

Mais pourquoi faut-il donc qu'ils s'acharnent sur moi de la sorte ? Pourquoi est-ce qu'ils me traitent encore comme une enfant ? J'en ai marre, marre, marre !

- Assez !

Je prends un vase et l'explose contre le sol.

- Assez !

La guerre est là, Azel a disparu, Isak doit errer dans une ville excitée sans savoir quoi faire et moi je suis... Enfermée !?

- Assez !

Et au travers de cette situation, je tente encore de voir le beau partout, le bon en toute personne et la joie dans chaque détail de la vie. Est-ce que, maintenant, je peux éclater ? Hein, cela m'est-il permis ? Ou dois-je encore et encore refréner mes mouvements d'humeur et plaquer sur mes lèvres un sourire idiot ?

- Assez !

Je m'effondre sur mon lit en tapant du poing sur mon oreiller. Énervée, fatiguée. Je voudrais tant être avec Isak...

Je me retourne sur le dos et fixe un point au plafond. Mes pensées s'arrêtent pendant un temps indéfini. Ma respiration se calme, se fait plus régulière. Il ne reste que cette désagréable sensation d'humide sur les joues. Les larmes ont séché, laissant des marques de sel que j'essuie furtivement. Je prends une grande inspiration et me lève.

Du balcon de ma fenêtre, je peux voir un certain nombre de choses sur la ville. Au loin, la mer scintille. Elle n'a jamais été aussi proche et c'est ce qui me fait peur. Les remparts face à elle sont occupés par l'armée, bouclier au poing. Les maisons au milieu de toute cette protection paraissent silencieuse. Je devine que les pères de famille en quittant leur foyer pour se rendre au front ont fermé la porte, les volets et bouché les interstices. Les familles se terrent craintivement au fond de caves surprotégées ou dans les greniers. Et les rues sont vides. Violette, marchande de sucre d'orge, Isak, Azel, la moule, La Berlue... Où êtes-vous ? L'animation s'est tue. Tout est désespérément calme, dans l'attente de l'attaque. Et moi je suis enfermée.

Et si maman avait voulu me protéger ?

Perle, oh Perle ! Tu n'as pas plus de courage qu'une mouche ! Tu es incapable de tenir ta philosophie lorsque les premières petites difficultés surviennent. Oui, du courage ! Du courage pour garder le sourire et voir le beau partout. Allez, allons, Perle ! Ne pleure pas, sourit parce que cela rend heureux le monde.

"Souffrir ? Vous ne savez pas ce que c'est, n'est-ce pas ? L'extrême misère, la mort, les dettes... Oh mais ce sont des choses qu'une petite perle comme vous ne peut pas comprendre ! " Il avait raison, lui. Je n'ai jamais souffert. J'ai toujours tout eu sur un plateau de sorte qu'à la première difficulté mon monde s'est écroulé. Mais Isak et Azel m'ont suivie. Ils ont ris et souris. Et eux ont vécu ! As-tu assez de cran pour les suivre et aimer chaque personne ?

Oui, parce qu'il y a un objectif au bout : rendre heureux tout le monde. Oh ! Je sais bien que seule je n'y parviendrais jamais. Mais je montrerai l'exemple et c'est déjà une chose. Alors, on me suivra, on aimera et on sera heureux.

C'est simple, c'est logique.

Je soupire : toutes ces réflexions ont le mérite d'avoir ramené un sourire et cependant elles ne me font pas sortir d'ici. Or je veux pouvoir aider les autres plutôt que de rester ici, centrée sur mon petit ego. Je suis rentrée maintenant et assise sur mon lit, les mains délicatement posées sur mes genoux dans une position d'attente.

Grand bruit de fracas sur le balcon. J'entends quelqu'un jurer et je saute d'un bond pour voir ce qui se passe. Isak est là, qui saigne et peste de cet atterrissage manqué. Il redresse la tête et grommelle, comme si sa présence ici est tout ce qu'il y a de plus normal :

- Oh te voilà, toi ! C'est pas trop tôt.

- Pardon ?

Là, j'avoue que j'ai du mal à comprendre. Mais que me veut cet énergumène ?

- Mais dépêche-toi ! Tu crois donc qu'on n'a que cela à faire ?

- Hum, non... Mais j'attendrais bien quelques explications.

- Quoi ? Tu ne venais pas, donc je suis venu te chercher. Et à moins que tu ne sois bête et aveugle, la seule porte pour une pauvre princesse enfermée dans sa tour, c'est le balcon.

Ce talent qu'il a à tout dédramatiser... Mais aujourd'hui il me surprend. Je le croyais incapable de prendre quelques initiatives et uniquement bon à rire et suivre le mouvement. Là, je suis plus que surprise.

- Isak ?

- Oui ?

- Bonjour.

- Ah oui, bonjour. Bon, c'est bien mignon tout cela mais le prince charmant est tout de même un peu pressé. Le dragon ne doit pas être loin et je n'ai aucune envie de finir avec le derrière brûlé.

Il me prend d'autorité la main. Affolée, je jette un bref coup d'œil à la chambre... Mais non, je n'ai besoin de rien. Alors je saute à sa suite sur le toit plat d'une grande entreprise de commerce, et atterrit en un lamentable roulé boulé. Mon ami ne me laisse pas le temps de reprendre mon souffle et m'entraîne déjà vers les remparts où nous rejoignons un escalier.

- Où va-t-on ? M'écrié-je à bout de souffle.

- Chercher Azel, pardi !

- Et pourquoi est-ce qu'on court ? Je suis fatiguée, moi.

Il s'arrête brusquement et je lui rentre dedans. Je gémis et me masse frénétiquement la tête.

- Mais Perle, s'exclame-t-il ! Cela fait quand même quelques temps que tu es enfermée. Azel a disparu depuis quelques temps également, et moi je suis seul et je ne sais pas quoi faire depuis quelques temps. Je n'ai pu qu'assister en spectateur passif à l'affolement général qui a pris la ville à la vue de la mer qui venait maintenant frôler les remparts. D'un instant à l'autre, tout risque de disparaître. Chaque instant compte : il faut courir.

Là-dessus, il reprend sa course et je le suis tant bien que mal. Nous traversons la rue marchande.

Et voilà. La maison de La Berlue, celle qu'il cache et où sont recelés tous les secrets.

Mon château de sableOù les histoires vivent. Découvrez maintenant