XVIII - Mea culpa (2)

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Lequel choisir ? Celui que je suivais. L'autre ne doit être que du vide ou de l'illusion. Et puis voilà : ce doublon disparaît. J'avais raison. Rassurée, je reprends ma course. Mais à son tour, le premier disparaît. Il n'y a plus personne. Mais quel est ce mystère ?

Effrayée, je continue de courir vers l'endroit où il a disparu. Je m'apperçois alors, qu'un toit plus pointu que les autres l'avait simplement dissimulé. Et autre constatation : cette première silhouette a retourné ces talons et vient maintenant dans ma direction. Qu'est-ce que c'est que cette histoire ?

Je comprends alors que La Berlue traquait son doublon, enfin l'autre silhouette. Et je suis actuellement juste au milieu entre les deux. Bon, cela va me permettre de l'attraper plus facilement notre étoile de mer.

Hélas ! J'ai la stupidité de courir à sa rencontre. La Berlue me voit et, comprenant ma colère, fait immédiatement un détour qui lui permet de me doubler sans que je ne l'attrape. Je cours maintenant derrière lui et derrière l'autre silhouette.

- Arrêtez-vous !

Ça y est ! Je me fâche.

- Arrêtez-vous ! Vous avez détruit la ville, par méchanceté ! Tentez au moins maintenant de réparer votre faute, crié-je encore.

Il ne m'entends pas ou fait mine de ne pas m'entendre.

- Arrêtez-vous !

Oh ! Je me sens presque stupide à crier sur les toits... Oui, c'est le cas de le dire.

- Arrêtez-vous...

Mon ton est plus bas. Je me sens tellement misérable. Allez, allons, du courage !

Je cours plus vite encore. Oh, oui il y a de la fatigue... Mais l'attente dans la cave m'a permis de me reposer et je jette maintenant toutes ces forces à peine récupérées dans la bataille.

- Arrêtez-vous !

Il n'y a toujours qu'une silhouette devant moi, qui disparaît et réapparaît à son gré derrière les toits et les cheminées. On dirait presque de la magie.

Mais que fait La Berlue ?

- Arrêtez-vous !

Je crois que mes cris commencent à le fatiguer.

- Vous savez, La Berlue, repris-je presque à bout de souffle, ce n'est absolument pas du harcèlement. Au contraire, c'est parce que je veux réparer ma grosse faute. Si je ne pensais qu'à mon propre bonheur, j'aurais couru dans les bras de ma maman et m'y serais réfugiée. Mais vous voyez...

Je n'arrive plus à crier ces mots. Je suis épuisée et ma poitrine est en feu. Et puis La Berlue ne cesse de disparaître derrière les cheminées. Parfois, il s'arrête et hésite quant à la direction qu'il doit prendre. Cela me permet de récupérer un peu de terrain et de ne pas le perdre.

- Monsieur Berlue, recommencé-je après avoir retrouvé un peu de mon souffle quelques temps plus tard. Oui, monsieur Berlue. J'ai beaucoup de respect pour vous et j'ai tenté, avec un regard bienveillant, de vous estimer. Notez le "tenté". J'ai fait la moitié du chemin. Si vous pouviez faire la deuxième moitié, cela me soulagerait.

Je souffle. J'ai l'impression qu'il m'écoute d'une oreille distraite, quelques pas devant moi.

- Je pourrais peut-être faire cet effort pour chaque personne que je croise mais si toutes me mettaient des bâtons dans les roues, je crois que je succomberais vite à la tâche.

Il se retourne vers moi et me lâche :

- Eh bien, succombe ! Crois-tu que nous parviendrons tous à supporter ton insupportable petit air péremptoire ?

Peut-on aimer tout le monde ? Plus je grandis et plus je saisis de nouvelles nuances. Je crois qu'à la place du terme aimer, il est maintenant bon de mettre apprécier. Aimer a un sens trop fort. Mais quand j'apprécie Violette, j'aime Azel et Isak.

- Je vous apprécie beaucoup, monsieur Berlue, crié-je encore.

Ah, là ! Je crois qu'il a fermé ses oreilles. Dommage ! Et même plus, il s'est arrêté. Allez cours, Perle ! Tu peux peut-être le rattraper définitivement...

Et je le vois soudainement fixer un point derrière moi. Je me retourne et sursaute...

Il est là ! Le doublon de La Berlue. Comme une anguille, il se faufile entre les toits et déploît toute son intelligence pour échapper à son dangereux poursuivant. Qui est-ce ?

La Berlue me lance alors un regard perçant et vient vers moi, au milieu des deux. Ah ! Je vais pouvoir lui sauter dessus !

Mais loin de me laisser faire, il m'attrape violemment, me regarde droit dans les yeux et siffle :

- Petite sotte ! C'est maintenant que tu mérites de mourir !

Il me jette durement sur le sol, ou plutôt sur le toit, et tire sa dague.

Sa dague ?

Je me redresse immédiatement à quatre pattes et tente d'échapper à ce fou. Je veux me relever tout à fait mais il pose un pied sur ma jolie robe colorée et me dit :

- Pas pratique, n'est-ce pas ?

- Votre fugitif va définitivement vous échapper, murmuré-je apeurée en désespoir de cause.

Il redresse la tête et grimace. Mais je ne crois pas qu'il se fasse grand soucis quant à mon avenir...

- De toute façon, d'un moment à l'autre  la mer t'attrapera.

Et il me désigne l'eau qui ne cesse de grignoter toujours plus un morceau de toit. Il a raison, ce n'est plus qu'une question de temps.

- Il n'est pas trop tard pour sauver la ville de l'élue de votre cœur, tenté-je encore.

- Ne sais-tu pas qu'elle en aime un autre ?

C'est sur ce ton ironique qu'il m'abandonne. Je me relève. Je reste immobile, debout, tournée vers l'extrêmité des toits où je vois La Berlue relever l'autre silhouette, sans doute blessée pour s'être ainsi arrêtée. Et les deux sautent ensemble dans l'eau.

Il n'y a plus que moi au sommet des toits. Seule rescapée de cette invasion, moi qui ai provoqué leur perte.

L'eau continue d'avancer, tout doucement. Je ne veux pas plonger. Je veux simplement attendre, attendre un peu, et profiter du soleil. Mais je sens déjà l'odeur écœurante de la mer. Elle ricane car lorsque je serais tombée à mon tour sa victoire sera totale. Elle grignotte.

Et une énième vague vient attrapper la dernière résistante.

Mon château de sableOù les histoires vivent. Découvrez maintenant