XV - Protéger la clé (1)

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- Regarde ! Tu ne trouves pas que la mer est belle ?

- C'est dangereux, allez viens !

- Non.

Je me dégage d'un bref coup d'épaule, hypnotisée par ces étranges remous bleus scintillants. La mer était calme la dernière fois que je suis venue ici mais maintenant elle s'agite petit à petit. Comme la ville.

Nos soldats se sont positionnés sur les remparts. À maintes reprises, ils me demandent de redescendre mais je leur fais les yeux doux : je reste encore captivée par cette étendue dangereuse, si proche maintenant que j'ai l'impression de pouvoir la toucher.

Je me tourne justement vers un soldat :

- Je ne comprends pas... Comment cela se fait-il que la mer ait réussi à nous encercler de la sorte ?

- Nous sommes au sommet d'une petite dune, qui nous fait protection. La mer a donc contourné la dune pour nous encercler. Elle montera ensuite petit à petit et nous avons le faible espoir qu'elle s'épuisera avant d'arriver tout en haut.

- Donc il y a beaucoup de chances pour qu'elle ne nous envahisse pas ?

Mais le soldat, songeur et le regard vague, détourne la tête vers cette mer déroutante et murmure :

- Je ne sais pas. Son agitation croît rapidement. Elle est en colère contre ce château qui lui résiste depuis si longtemps.

Et mon cœur se serre.

- Viens, dit Isak en attrapant ma main. Allons-nous en.

- Hum non.

- Pourquoi ?

- Mais tu ne vois pas comme c'est beau ? C'est beau et méchant, mais c'est beau !

- Cela ne résout pas le problème de la guerre, Perle !

- Non, mais si j'allais voir leur roi et que je leur demandais d'aimer et d'être gentil, alors oui cela le résoudrait.

- Tu es folle... Ce n'est pas ainsi que cela marche.

- Eh bien, pour commencer, je considèrerai leur point de vue. Je les écouterai, je les comprendrai. Et comme j'aime, je ferai marcher la justice.

- C'est ce que font les rois, ne t'inquiète pas.

- Les rois justes, ceux qui aiment, pas les autres.

- Dans quoi est-ce que tu m'entraînes encore une fois ? Oh ! Perle, on ne peut pas discuter avec toi sans que tu réexposes ta philosophie. C'est fatiguant !

- Isak, Isak ! Pourquoi est-ce qu'il y a du monde dans les rues ? Tout était calme...

Le soldat à côté de nous, qui écoutait intrigué depuis déjà quelques temps, m'explique :

- Les hommes sont sur le front. Les femmes installaient leur famille à l'abri mais, maintenant que le danger approche, elles ressortent pour nous aider. Le château veut se battre.

- Et ne craignez-vous pas que trop d'excitation nous mène à notre perte ?

- Princesse, vous serez une bonne reine, me sourit-il. Votre père est un homme très prévoyant. Dans l'hypothèse de cette situation, il a fait placarder plusieurs affiches en ville qui demandent expressément à la population de suivre nos ordres. Les habitants ont obligation d'obéir aux injonctions des soldats.

- Pensez-vous que cela soit prudent ?

- Vous savez, princesse, nos architectes sont excellents. Nous ne craignons pas la mer.

- Mais si les portes de la ville s'ouvrent...

- Pourquoi voulez-vous qu'elles s'ouvrent ?

- Je ne sais pas, répondé-je précipitemment en laissant le soldat ahuri. Viens, Isak !

- Ce n'est pas trop tôt, grommèle-t-il tandis que je l'entraîne. Où vas-tu ?

- Les... Le... La clé.

- Quoi ?

- Je vais la chercher.

J'arrive aux grilles du palais et entre en coup de vent. Ni une ni deux, je rentre dans cette tourelle divine avec un Isak ébahi à ma suite. Nous dévalons les escaliers.

J'ai la gorge nouée. Tout me rappelle cette nuit où j'ai découvert le lieu. Gardienne du Divin... Je vais protéger la clé. Comment ? Je ne sais pas encore.

- Là !

Nous avons fini notre descente. Je pousse la porte avec un grand respect. Isak tremble et claque des dents. Trop timoré ce gamin !

- Chut ! Le tancé-je.

Et je me tais à mon tour. Mon ami Divin doit vouloir me parler, alors j'écoute. Faut-il que je reste ici à veiller la clé ?

- Qui va là ?

Je sursaute. C'est une grosse voix qui résonne dans toute la pièce et me fait tressaillir. J'indique à Isak de retourner sur ses pas et de m'attendre, caché derrière la porte. Il veut refuser mais je me penche à son oreille :

- C'est un ordre de pingouin.

Alors qu'il tourne des talons en pestant contre moi, je déglutis et jette un regard à l'ombre. Allez, Courage, où es-tu ? Il ne doit pas être loin, peut-être juste caché derrière Timidité...

- Qui êtes-vous ? Crie encore la voix.

Je serre les poings pour rétorquer :

- Et vous ?

- Simplement le roi, dit-il en s'avançant.

Mince, papa !

- Et moi euh... J'y vais !

Je veux courir et faire demi-tour mais papa m'a vue et me rattrape en quelques mouvements.

- Pas si vite, princesse ! Tu me dois quelques explications.

Je sens la fessée !

- Mais, euh...

- Pourquoi es-tu sortie de ta chambre ? Et comment ? Elle était fermée à clé.

Je lui souris effrontément :

- C'est mon secret.

Alors, sans trop de façon, il m'emmène manu militari hors de cette pièce sacrée. Isak s'est caché dans le renfoncement de l'escalier en colimaçon. Papa claque violemment la porte et se tourne vers moi.

- Je... Je vais te dire, papa. Ne t'inquiète pas ! Je vais te dire. J'ai...

Grosse inspiration. Je sens la fessée ! Je la sens vraiment !

- Sauté par la fenêtre. Il fallait que je sorte ! Azel a disparu, tu comprends ?

Et pof, fessée ! Aïe, ça fait mal...

- Mais sais-tu que la ville est en état de guerre ?

- Oui, je sais, soufflé-je d'une petite voix. Excuse-moi.

- Et que faisais-tu ici ?

Cette fois, je bombe le torse :

- Je venais protéger la clé.

- Seule, tu ne ferais pas le poids.

- Toi, ne la protèges-tu pas ?

- Je vais devoir sortir pour aller combattre. Je vérifiais simplement.

- Et si tu la portais à ton cou ?

- Le risque est trop grand que je me la fasse arracher au cours du combat. J'y ai réfléchi, sans trouver de solution. Alors prions pour que La Berlue ne découvre pas où elle se trouve.

- Et si je la portais, moi, autour du cou ?

Papa paraît soudain absorbé par ses pensées. Il me jauge du regard avant d'acquiescer lentement.

- Soit. Mais alors, ne va pas dans ta chambre, ne reste pas au château, cours te cacher dans la cave du centre-ville, que ta maman t'a mainte fois indiquée.

Et il me tend la clé.

Mon château de sableOù les histoires vivent. Découvrez maintenant