XXI - Reconstruction (2)

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Et les murs se redressent, et tous reprennent courage. Le commerçant nous a redonné vigueur et nous reconstruisons tout. Oh, c'est long ! Oh, c'est difficile, mais nous y parvenons.

Le commerçant nous entraîne, nous redonne sa vigueur et met tout en mouvement. Il fait la coordination. Un petit sourire renaît sur mes lèvres tandis que j'ajoute une case sous le verbe aimer dans mon esprit : c'est étrange comme l'on peut toujours approfondir notre connaissance d'une personne.

Mais papa a disparu. Je suis très inquiète... Je crois que je ne l'ai jamais vu ainsi, ce papa le meilleur du monde. Oui, décidement je grandis pour remarquer ainsi ses faiblesses.

En revanche, dans tous mes mouvements, je peux compter sur May et Isak. Nous sommes partis à travers la lande ensablée pour récupérer les meubles volés, abîmés, puis abandonnés par la mer. Les ateliers récupèrent les matériaux, puis reconstruisent le mobilier.

Nous rions un peu avec May et Isak. Mais ce n'est plus comme avant... Azel a disparu et je crois bien qu'il me manque terriblement. La guerre est passée. Maman est morte.

- Tu te souviens quand tu imitais les algues, Isak ?

- Il imitait les algues ? S'étonne May en ouvrant de grands yeux ronds.

- Eh oui, me moqué-je. Il pourrait aussi bien se convertir en pot de fleur à vie.

- Mais moi je peux faire mieux, rétorque May dans un petit sourire malicieux. Je peux imiter La Berlue !

Et tout-à-coup, elle bombe le torse, se compose un double menton et prend une voix nasillarde. Elle avance avec ses jambes arquées en grognant :

- Qui s'est qui est La Berlue, hein ? C'est moi, c'est moi ! Et quel est mon dernier passe-temps du moment ? Très amusant : énerver le monde.

Nous rions tous. C'est bien de rire, mais je devine que nos souvenirs douloureux ne s'effaçeront pas de sitôt, peut-être même jamais. La voix de ma petite sœur chérie était presque grave dans son imitation et son sourire restait un peu triste. May aussi a grandi. May aussi a perdu maman.

Il y avait un temps heureux où nous riions avec Azel... Pourquoi est-ce qu'à chaque fois que je prononce son nom, mon cœur réagit violemment ? Maintenant, je crois qu'il est mort. La guerre a dû l'emporter. Mort ? Mon ami d'enfance ? Mon Azel ?

Je me suis arrêtée, face à la mer. Isak, les bras chargés d'objets hétéroclites, me regarde avec surprise :

- Ça ne va pas, Perle ?

- Pourquoi est-ce que cela irait bien ?

- Il faut tourner la page, Perle.

- Plus facile à dire qu'à faire. Dis, Isak, tu crois qu'un jour nous reverrons Azel ?

- Azel...

Le trouble d'Isak me sert de réponse : il ne sait pas et notre ami lui manque aussi. Tous deux rêveurs maintenant, il faut la petite voix douce de May pour nous faire émerger de nos pensées trop douloureuses :

- Qui est Azel ?

Elle me prend la main et plante son regard dans le mien.

- C'était un ami, répondé-je.

- Il est mort ?

- Je n'en sais rien.

Nous nous sommes bien éloignés du chantier maintenant. Et je remarque un vieux lit double rouillé, étendu sur le sable.

- Prends cela, May. Je vais aider Perle.

Isak se décharge des objets trop encombrants et me rejoint. Nous nous chargeons du lit.

- Tu as vu ? Questionne Isak.

- De quoi ?

- C'est étrange que ce soit moi qui le remarque : observe un peu le lit.

Je fronce les sourcils et obtempère. Un curieux malaise me fait tourner la tête... Je crois reconnaître ce lit.

- C'est celui de tes parents, Perle.

Papa et maman.

Alors je me décide, en arrivant au chantier. Il faut que j'aille retrouver papa.

Il est rentré le plus possible dans les terres. Il ne se tient pas très loin de l'immense forêt-ajonc. Seul. Assis par terre. Je remarque comme il est vieux et fatigué.

- Papa... Ce n'est pas le moment d'être faible.

- Laisse-moi, comprends un peu ma douleur !

- Oh, je la comprends ! Mais la vie n'est pas faite de souvenirs... Il faut tâcher d'avancer.

- Ta maman...

- Cesse donc d'entretenir ainsi ta douleur ! Oh mais ils t'attendent au château... Ils t'attendent. J'ai l'impression que tu te complais dans tes souvenirs. Maintenant, nous avons besoin de vigueur : la vie n'attend pas.

- Tu es dure.

- Si c'est le seul moyen pour te faire sortir de ton état malade...

- Aide-moi à me relever.

En arrivant au chantier, je vois papa chanceler et le rattrape de justesse. Il s'arrête et prend appui sur mon épaule pour murmurer :

- Le château... Il a ressurgi du néant.

Il est vrai que nous avons travaillé d'arrache-pied. Et puis le temps a passé depuis que papa s'est un peu mis à l'écart. Coup de baguette magique : le château commence à se dessiner. Le phénix renaît de ses cendres.

- C'est extraordinaire, murmure papa ému.

Et tous les deux, bras-dessus, bras-dessous, nous passons les portes du château. Les ouvriers se retournent sur notre passage et nous saluent. Ils savent que la famille royale a été mise à rude épreuve pendant ces combats et qu'elle a failli quelquefois. Certains récriminent mais beaucoup nous montrent encore leur respect.

Papa est agrippé à mon bras et le serre si fort qu'il me pince. Nous arrivons au pied du palais où nous retrouvons May, Isak et le commerçant directeur des travaux.

- Sire...

- Il fallait que je vous remercie de tout ce que vous avez fait, dépensant votre énergie avec générosité. Et je devais demander des excuses pour ce long moment de faiblesse, explique papa d'une voix particulièrement calme et grave.

- Tout l'honneur est pour moi, au contraire, réplique-t-il impressionné.

Et papa continue son chemin. Je m'apprête à le suivre quand le commerçant prend mon bras et me dit :

- Je ne savais pas la famille royale si humble, simple et combative. Vous avez fait des erreurs mais vous avez toujours tenté de vous relever.

Je baisse les yeux, embarrassée et pleine de remord. La clé...

- Pour les paroles que vient de dire votre père, je vous vouerai toujours un profond respect.

Ces mots auraient dû me faire rougir et sourire... Mais le ton pris et le choix des mots me rappelent bien trop un ami cher disparu.

Azel.

Mon château de sableOù les histoires vivent. Découvrez maintenant