XIII - Punitions (2)

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- Mais que vient-elle faire ici, cette mer mille fois trop ambitieuse ! N'a-t-elle donc aucun savoir-vivre ? J'ai des familles à protéger ici ! J'ai des responsabilités ! Et comment les tenir avec cet insupportable danger ? Mais dites-moi donc, que vais-je dire aux familles ? Des ennemis ont soudainement décidé de tout ravager par pure méchanceté, hein ? Est-ce que c'est cela, la vérité, que je leur sortirais ?

- Sire, calmez-vous...

- Oh je les écrabouillerai bien volontier...! Combattre, moi je veux bien. Mais uniquement lorsque j'ai des torts à me reprocher. Qu'avons-nous fait, dites-moi un peu ?

- Non, sire, là n'est pas la question...

- Peste soit de cette mer qui se croit tout permis !

Je vais sans doute dire la plus grosse bêtise de toute la vie, mais mieux vaut tenter :

- Tu sais, papa, il faut aussi aimer ses ennemis. La mer n'est pas toute noire.

- Non, elle est bleue, sourit le ministre.

- Perle, réplique-t-il sévèrement, j'attendais mieux de ta part.

- Mais papa, je ne te parle pas de céder devant elle mais simplement de la considérer avec respect et... Peut-être...

Ma voix se fait timide tandis que j'ajoute :

- Peut-être avec un peu d'amitié ?

- Amitié, rugit-il alors. Amitié ? Sors d'ici tout de suite, tu ne sais pas qui est cet ennemi. Tu ne sais rien...

- Papa, gémis-je tremblante. S'il te plait...

De mémoire d'homme-coquillage, on n'a jamais vu le roi aussi en colère. Et moi mon papa. Alors je pars en courant, et pleurant, sans entendre ce revirement dans le ton de papa : "Reviens ! Reviens !". Mon lit accueille mes sanglots. En plus, c'est triste de pleurer.

Petit à petit, je m'endors. Mais à mon réveil, ma décision est prise : la vie est belle alors je vais continuer d'avancer courageusement.

Je sais que je n'ai pas le droit de sortir du palais, du moins seule. Les gardes ont malheureusement dû recevoir des ordres. Mais mon champ d'action est loin d'être limité dans le palais.

Je descends dans la cour, d'abord. Doucement, je me faufile à travers la cour jusqu'à la tourelle sans me faire voir. La clé est toujours à sa place... C'est rassurant. Et c'est en remontant que je croise maman.

Elle vient se planter face à moi, les poings sur les hanches... Oh je crois que la foudre va me tomber dessus...

- Perle, n'aurais-tu pas quelque chose à me dire ?

Je jette des regards à droite et à gauche pour trouver un passage où m'esquiver. Mais maman ne me laisse pas faire :

- Ah tu ne veux pas me répondre ! Et si je te parle d'une lettre...

Comme je blêmis, elle ajoute :

- Oui La Berlue m'a envoyé un message qui m'a tout révélé. Mais maintenant, j'attends des aveux et des excuses.

Maman est belle aussi, même quand elle est en colère et... Bien sûr... Belle quand elle est en colère... Bon ! Perle, tu arrêtes ? Chaque chose en son temps quand même, et là, cette réflexion est clairement hors propos. Quand ta maman te fait des yeux si gros que tu devrais être effrayée et paniquer, toi tu la trouves belle... Soyons sérieuse.

- Ah ! Tu ne réponds rien ?

- Pardonne-moi ! Pardon... Je pensais à... Hum certaines choses. Mais oui, je suis coupable. Pardonne-moi, excuse-moi...

Maman ne peut refréner un mouvement de curiosité :

- Et pourquoi avoir fouillé mes affaires et répondu à La Berlue ?

Alors, comme à papa, je lui conte tout. Au moins, je suis en règle, maintenant.

- Maman, maman... Je voudrais savoir ce qui s'est passé lors de la dernière bataille.

La curiosité. Je vois les yeux de maman pétiller de tristesse et regret. Elle se calme instantanément - ouf ! Échappée belle ! - et me demande de la suivre dans ma chambre où nous serons plus tranquille. Là, elle s'asseoit sur mon lit et je viens me placer à côté d'elle.

- Il faut remonter l'histoire assez loin. Que cet aveu te montre toute la valeur de la franchise ! Ce n'est pas quelque chose que je révèle facilement. J'étais à peine plus vieille que toi, jeune, étudiante et amoureuse. Pendant quelques temps - qui me parurent trop peu longtemps - nous vécûmes heureux, mon galant et moi. Mon galant, c'était La Berlue. Et puis un jour, il s'en alla. Il avait l'ambition de devenir célèbre et partait en tournée exercer le métier qu'il fait toujours. Là-dessus, je l'ai perdu de vue. J'ai sû vaguement qu'il avait obtenu quelques succès mais déjà j'avais tourné la page : ton père m'avait séduite.

C'est mignon.

- Peu après ta naissance, Perle, la mer nous a déclaré la guerre. Oh ! Elle l'avait déjà fait auparavant et elle le fit aussi après mais c'était des fois sans trop de conséquences où elle se contentait de nous effleurer dangereusement.

- Ici, c'était différent, n'est-ce pas ?

- La mer est venue nous encercler. Nous allions succomber : nous n'êtions pas prêts à la recevoir. Mais le destin du château me tenait trop à cœur. Et puis je t'avais toi, et papa. J'avais envie de vous protéger, j'étais encore jeune et témeraire...

Maman continue sa longue liste d'excuses. Je comprends qu'elle culpabilise.

- Et j'ai reconnu La Berlue, enrôlé dans l'armée de son pays natal, sans doute à cause de son service militaire. Il était déjà très célèbre et exerçait une certaine influence sur l'armée maritime. J'ai immédiatement deviné que là était ma chance : à moi de la saisir. Alors je suis allée le voir et...

Maman sort soudain de l'étrange état rêveux où elle était plongée pour me fixer durement.

- Mais qu'est-ce que je te raconte ! Je devrais...

- Tu m'as parlé de franchise, la coupé-je doucement.

- Oui, oui... C'est cela. Eh bien, pour le convaincre je lui ai promis que si les troupes se retiraient j'accepterai des choses que... Que je ne donne qu'à ton papa.

- C'est-à-dire ? M'étonné-je.

Elle a un mouvement d'impatience.

- Oh tu me fatigues ! C'est-à-dire des preuves d'affection si fortes qu'elles ne sont réservées qu'à ton papa normalement. Et ici, je les ai données à un étranger, La Berlue. Par rapport à la lettre : il joue maintenant sur la honte qui me reste pour me faire chanter.

- Et tu ne céderas pas.

- Certainement pas !

Elle se lève alors en murmurant un vague "J'ai à faire" avant de passer la porte. Mais au dernier moment elle se ravise et me dit :

- Au fait, en plus d'être privée de sortie, tu es maintenant enfermée dans ta chambre, jusqu'à nouvel ordre.

- Pourquoi ?

- Pour avoir fouillé dans mes affaires et répondu à La Berlue, évidemment.

Mon château de sableOù les histoires vivent. Découvrez maintenant