XV - Protéger la clé (2)

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- Viens Isak.

Nous courons, main dans la main. Des gens nous bousculent quelquefois. Le regard est rivé devant nous, au bout de cette grande rue.

- Viens.

La clé danse à mon cou. J'ai essayé de la dissimuler sous ma robe mais elle est ressortie. On ne fait pas attention.

- Isak.

Il faut nous dépêcher. Des remparts, j'ai déjà entendu de grandes clameurs et mon cœur s'est serré. J'ai compris que le premier assaut avait été donné.

- Cours Isak.

- Perle.

Nous restons tous les deux, main dans la main. Et ces inconnus qui nous observent nous effraient. Nous courons. Où est Azel ? La Berlue viendra-t-il faire barrage ?

- Viens Isak.

- Je cours.

Mon cœur tambourine très fort. J'ai une mission. Si l'on me prend la clé, je crie. Vite !

Mes yeux sont brouillés par le vent. Je ne vois pas la personne arriver face à moi et je lui rentre dedans.

- Pardon monsieur.

Dans un réflexe je porte la main à mon cou, jusqu'à sentir le contact dur et rassurant de la clé. Isak est derrière moi.

- Viens.

Mais la course folle s'achève brusquement lorsque l'intru m'agrippe le bras en grogant :

- Que fait donc la princesse ici ? Qu'est-ce que tu as autour du cou ?

L'homme paraît ivre. Je sais que les tavernes ont fait bonne recette, nombreux étant ceux qui voyaient en cette bataille l'anéantissement final du château.

Je me dégage d'un coup d'épaule et cet énergumène, l'esprit trop embrumé par la boisson, me laisse m'enfuir.

- Viens Isak.

Il me suit. Mais j'entends des pas lourds derrière moi, ce qui me fait frémir. L'ivrogne me poursuit.

- Vite !

Je sens presque son haleine fétide remonter jusqu'à moi. Cette personne aurait bien besoin d'être aimé. Alors tant pis, arrêtons de courir.

Et je fais volte-face :

- Pourquoi me suivez-vous ?

-Qu'est-ce que tu as autour du cou ?

- Pourquoi sentez-vous aussi mauvais ?

- Qu'est-ce que tu as autour du cou ?

Il s'approche petit à petit de moi et avance ses mains grasses. Isak se tient prêt à intervenir, le regard enflammé.

- Vous savez, monsieur, je veux bien être votre amie. Je crois que vous avez besoin d'aide.

- Qu'est-ce que tu as autour du cou ?

Il avance toujours. Je veux tenir bon. Mais cette fois-ci, Isak ne me laisse pas faire et m'entraîne à nouveau dans la course.

- Viens Perle.

L'homme crie et lève les bras au ciel. Il s'est arrêté. Ces mouvements m'importeraient peu si cela n'attirait pas autant l'attention sur nous. D'un geste mécanique, je rentre à nouveau la clé sous ma robe.

Et je fonce dans une autre personne. Cette fois-ci, cependant, c'est plus grave.

- Oh ! La moule...

La stupeur nous paralyse et la moule en profite. Elle nous pousse derrière un étalage abandonné. Nous tombons tous les deux par terre, l'un sur l'autre.

- Vous voilà, vous deux. La Berlue vous recherchait.

Je veux m'enfuir à quatre patte mais elle me retient en appuyant son pied sur le coin de ma robe.

- Pas si vite !

Cette fois elle m'attrape par l'oreille pour me redresser. Je gémis.

- Notre princesse a-t-elle à se plaindre de mauvais traitements ? Sussure la moule.

- Pourquoi êtes-vous si méchante ?

- Quelle drôle de question ! Nous, nous avons la vie dure. Nous devons vivre...

- J'ai mal... Et puis vous ne savez rien ! Isak aussi a souffert par le passé.

La moule jette un regard dédaigneux à mon ami tétanisé à terre avant de lâcher :

- Je ne crois pas, non.

- Qu'est-ce que vous en savez ?

- Toute la racaille connaît l'histoire attendrissante de ce père qui a tout fait pour protéger son fils, crache-t-elle d'un ton ironique. Allez, je vous emmène tous les deux. La Berlue sera ravi.

Je pourrais presque sentir la clé me brûler la peau. Oh, Divin ! Un petit coup de main ne serait pas de trop. Je veux crier mais la moule plaque un chiffon gras sur ma bouche. Je veux me débattre mais elle nous tire d'une poigne trop solide. Alors je traîne les pieds pour ralentir la marche, m'éraflant au passage les chevilles. J'ai trouvé plus méchant que tous les autres. Et pourtant, je sais que la moule a aussi un bon fond. Mais où ?

Je finis par avoir si mal que les larmes jaillissent de mes yeux. Il n'y a plus personne autour de nous. Personne pour me venir en aide et Isak est prisonnier tout comme moi. Où allons-nous ?

J'échange un bref regard avec mon ami. Il se mordille la lèvre, signe qu'il est angoissé. La moule ne prête aucune attention à nous. N'a-t-elle donc aucune pitié pour deux enfants ?

En réalité, je répète cette phrase dans ma tête comme un refrain mais je crois connaître la réponse : non, elle n'a aucune pitié pour nous deux parce que l'enfant que nous étions est en train de disparaître pour l'adulte.

Alors je tente le tout pour le tout et décide de me laisser tomber, quitte à me faire encore plus mal. Je retombe durement sur les fesses. Mon cri est étouffé par le baillon mais la douleur est là, si vive.

La moule, en colère, se retourne vers moi pour me redresser. C'est alors que la clé surgit de nouveau de sous ma robe. Mais Isak décide de faire comme moi et tombe brutalement à terre et la moule se retrouve avec nos deux problèmes sur les bras. Je tords ma bouche dans tous les sens pour rejeter le baillon mais je n'y arrive pas...! Quand soudain, je vois mon salut arriver !

Une femme avance d'un pas furieux dans notre direction, sans doute l'excitation de la guerre. En appercevant la scène, elle se met à courir vers nous. La moule, inquiète, prend le parti de fuir rapidement en nous abandonnant sur place.

Sauvés !

La femme enlève nos baillons et met ses mains sur ses hanches :

- Sapristi ! La princesse ! Mais que vous voulait cette mégère ?

Je m'effondre en sanglot dans ses bras :

- Je... Je ne sais pas ! Merci, merci !

- Mes enfants, il est urgent que vous partiez vous cacher quelque part. Les combats ont commencé sur les remparts. Je partais les rejoindre. Maintenant, les rues sont en pagaille.

Parviendrons-nous à rejoindre la cache ?

Mon château de sableOù les histoires vivent. Découvrez maintenant