XIX - Captivité (2)

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- Perle ?

J'avais raison.

- Perle, n'ai pas peur.

L'ombre s'est baissée et cherche ma main. Je la dissimule plus encore sous ma poitrine.

Une larme tombe. Je suis trop sensible, cela m'est insupportable.

- Perle, c'est moi.

Qui ?

- Écoute...

Le son est étouffé.

Alors la main se fait plus ferme et me retourne. Papa.

- Est-ce que tu vas bien, ma puce ? J'ai eu peur, tu sais.

Je ne réponds pas. Papa. Je le fixe simplement du regard, terrifiée.

- Viens, relève-toi.

- Où veux-tu que j'aille ?

Il m'aide à me relever. Sa force tranquille me soutient. Nous commençons à marcher. Où ? Papa m'explique :

- Ta mère et May t'attendent plus loin. Elles sont très inquiètes, tu sais.

- Papa...

- Je t'aime, Perle.

- J'ai fais ce que j'ai pu, tu sais, pour réparer ma faute.

- Je sais.

- Je culpabilise beaucoup.

- Je le sais aussi.

- Papa ?

- Je suis très fière de toi, Perle. Tu es digne d'être notre reine.

En disant cela, il a la gorge nouée. Je murmure :

- Ce n'est pas vrai. J'ai failli.

- Apprends à te pardonner, Perle. Sinon, tu n'avanceras jamais.

- Et toi, est-ce que tu me pardonnes ?

- Oui.

- Eux ne me pardonneront pas, répliqué-je en faisant un large geste de la main.

- Peut-être. Mais cela ne change rien à mes paroles.

- Pourquoi pouvons-nous marcher ?

- Je suis roi. J'ai des libertés.

- Est-ce bien d'avoir plus de libertés que les autres ?

Il détourne le regard et paraît songeur. Il murmure :

- J'ai beaucoup plus de devoirs aussi. J'ai beaucoup reçu, je dois beaucoup donné.

- La mer est belle.

- Oui, ajoute-t-il encore une fois songeur.

- L'as-tu déjà vue ainsi ?

- Oui.

- Raconte.

Nous arrivons. Maman affiche un grand sourire. May aussi. C'est bon de les savoir en vie. Mais papa me fait signe d'approcher et nous nous mettons un peu à l'écart.

- L'histoire du château est courageuse.

- Comment est-il né ?

- La légende raconte que des géants sont venus il y a fort fort longtemps pour déplacer les montagnes. Ils ont formé les façades, puis sont partis. On dit que nos ancêtres voyageaient à la recherche d'un habitat stable. Le dernière château était trop souvent engloutie par la mer. Ils sont arrivés au pied de ce château et l'ont aménagé, décoré, habité. Le temps a filé. La mer est venue quelquefois, souvent repoussée. Mais il arrivait qu'elle dévore une partie du château. Nous reconstruisions après. Nous avions les meilleurs architectes du monde. Hélas ! Régulièremement elle envahissait tout. Oui, j'ai déjà vu le château ainsi. J'avais à peine ton âge.

- Et après ?

- La mer n'est pas restée longtemps. Quelqu'un m'a dit qu'elle avait découvert un trésor à l'autre bout de son territoire. L'autre bout de l'univers. Alors les courageux se sont battus, démenés. Notre peuple était devenu assez doué pour tout reconstruire. Mais cela fut difficile, long et... Je ne sais pas si nous aurons encore assez de hargne pour nous battre. Et puis, je suis inquiet : la mer n'était pas restée aussi longtemps qu'actuellement.

- Alors quand elle s'en ira, nous ferons venir les architectes et tout redeviendra comme avant ?

- Je ne crois pas, non. La mer ne s'en ira pas aussi simplement.

- Nous resterons captifs jusqu'à notre mort ? Pourquoi ne nous a-t-on pas tués ?

- La mer est plus tendre qu'on ne le croit. Le massacre la dégoûtait tellement, certainement, qu'elle a préféré prendre le risque de nous garder vivant en son sein.

- Sait-elle que c'est dangereux ?

- Peut-être. Ma petite Perle, j'ai besoin que tu me contes tout de ce que tu as fait depuis que nous nous sommes quittés. Sans rien me cacher.

Je déglutis et frissonne d'effroi. S'il savait quels souvenirs cela me ramène !

- Tout ?

- Tu as peur, Perle. Mais ne t'inquiète pas. Je suis là.

- Tout...

Et je lui dis tout. Je me pelotonne dans ses bras réconfortants, comme l'enfant que j'étais avant et que j'aurais voulu rester. La Berlue me fait toujours aussi peur.

- Ne crains pas, Perle. C'est bien. Mais dis-moi : as-tu retrouvé Azel ?

Azel ! Oh !... Je l'avais oublié. Qu'est-il devenu ? Ai-je une simple chance de le retrouver ici ? Azel...

Le temps, l'oubli, le danger ont creusé mes sentiments sans que je ne m'en rende compte. Est-ce que l'amitié s'est transformé en feu ardent ? Il me manque.

- Non, je ne l'ai pas retrouvé.

Et s'il était mort ? La réalité vient me frapper de plein fouet. Il y a de grandes chances pour qu'il soit mort : la guerre aurait très bien pu l'emporter et le tuer. Voilà bien longtemps que je ne l'ai plus vu. Il me manque...

Papa jette un regard en l'air, étirant son grand dos nacré, et me dit :

- Lorsque nous aurons vaincu...

Il serre les poings et marque une pause. Je devine son anxiété.

- Si nous vainquons, je commencerais des recherches pour le sauver. Je te le promets.

- Tu es bien bon, papa. Papa... Où est Isak ?

Je n'ai oublié aucun de mes deux amis. Lui, je l'ai laissé blessé. Comment est-il maintenant ?

- La mer a détruit le palais, entièrement. Mais dans l'euphorie du moment, nous avons eu le temps d'en dégager les survivants. Je ne te cache pas que nombreux sont morts, et dans toute la ville aussi. Mais peut-être que ton Isak s'en sera sorti. Les blessés sont derrière la dune que tu vois ici.

- La dune ?

- Oui... Le... Les... Les restes du palais.

Nous avons perdu. Par ma faute. Je peux pardonner à moi-même mais je n'oublirai jamais.

Je contourne la dune. Comme le temps me semble loin où je courais sur les toits derrière un La Berlue magicien ! Comme il me semble avoir grandi depuis que j'ai laissé Isak blessé au palais !

On me regarde. Sait-on que je suis celle qui a provoqué notre perte ? Je cherche Isak. Seul son sourire apportera un peu de baume à mon cœur malade.

- La princesse, murmure-t-on.

Je souris, doucement.

Où est Isak ?

Il est allongé, lui aussi, presque plus blessé. Le nez au ciel, la chevelure bulot éparpillée.

Il me sourit.

J'ai retrouvé mon acolyte. Je peux maintenant vaincre le monde.

Mon château de sableOù les histoires vivent. Découvrez maintenant