XX - Quel est le prix de la liberté ? (2)

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Un à un, mes compagnons me rejoignent. Ils sautent la barrière de soldats et parviennent à l'air libre avec moi. Les soldats-gouttes se retirent. C'est étrange... Une sorte de bataille rangée se forme. Le sable à cet endroit est en pente, ce qui fait que nous sommes surélevés par rapport à la mer et cela joue en notre avantage. Papa, le dernier, parvient sur le sable sec. Je saute dans ses bras, rassurée de le savoir en vie.

Alors, nous combattons. Nous repoussons la mer. Mais elle résiste, elle s'agrippe au rivage, elle revient. Et quelquefois, elle accroche l'un de nous. Jusqu'à présent, nous lui avons tous échappés. Nous gagnons. Nous sommes fiers et intrépides.

Mais un homme, soudain, crie et agite de grands gestes. La mer a enroulé ses grands bras puissants autour de lui et l'entraîne vers ses profondeurs. L'homme a tenté de se débattre, nous avons cherché à l'aider, mais cela n'a pas suffit. Notre élan a avorté. Nous sommes rester bras ballants sur la plage. Cet homme s'est sacrifié. Il s'est sacrifié pour nous.

Mort.

Y-a-t-il de plus belles preuves d'amitié que que de se sacrifier pour ceux qu'on aime ?

Timidement, doucement et parce que nous savons bien qu'il le faut, nous reprenons les combats. Faut-il crier ? Faut-il redoubler d'ardeur et de hargne ? L'homme est parti. Combien de courage a-t-il fallu pour qu'il donne sa vie pour ceux qu'il aime ? Il s'est effacé. Et nous combattons. Nous tentons de regagner pouce par pouce ce qui nous a été dérobé. Nous combattons.

Sont-ce des morceaux épars des restes de notre château ces tas de sable qui surgissent sous les pas glissants de la mer ? Une lueur d'espoir, un début à la fin ? Je ne sais pas.

Je frappe, j'encourage, je crie, c'est difficile mais j'aime mon château et je veux sa victoire. Pour lui, je suis prête à aller jusqu'au sacrifice. Qui suis-je par rapport à lui, son histoire, ses habitants... Une multitude d'habitants que j'apprécie et aime ?

Et la mer recule. Elle recule toujours. Cela veut dire que nous gagnons.

- Aidez-moi ! Aidez-moi, ils m'attrapent !

C'est un enfant, cette fois. Et devant l'horreur de ce que s'apprête à faire la mer, nous réagissons tous avec véhémence. Nous nous précipitons vers l'enfant pour l'arracher des bras gluants de l'océan. L'enfant pleure mais nous parvenons à le sauver. Sommes-nous prêts à laisser les autres se sacrifier pour nous ? C'est qu'ils comptent également dans notre cœur.

C'est à partir de ce moment-là que tout se dégrade. La mer, comme dans un dernier élan désespéré, se fait plus féroce. Ses bras agrippent chaque personne afin de les entraîner au fond de ses abîmes. Nous ne nous laissons pas faire mais elle nous arrache quelques-uns de nos proches.

- Perle, écarte-toi, s'écrie papa. Je ne veux plus te voir ici, reste derrière, compris ?

Je me recule, effrayée. C'est le tumulte, c'est la guerre. Sacrifice. Isak est venu me rejoindre. Il a pris ma main et me la serre très fort. Il me répète :

- Ça va aller, tu vas voir. Nous allons gagner.

Je le crois. Je me suis simplement écartée, debout sur un tertre, les yeux écarquillés. Et j'observe la bataille : papa si courageux, maman si téméraire, et les autres habitants du château absolument incroyables.

May me rejoint et me prend la main. Elle suce le pouce de l'autre. Je crois que des larmes glissent le long de ses joues. Alors je me mets à son niveau pour l'embrasser et lui cacher le champ de bataille. Pauvre May.

- Isak ? Pourrais-tu emmener ma petite sœur plus loin ?

- Pourquoi ne le fais-tu pas ?

- S'il te plaît...

Mon ami me sourit et obtempère. Je me retourne alors vers la bataille. C'est effroyable ! Mais c'est l'avenir de mon château alors je me dois d'observer. Je remarque néanmoins les prouesses de papa et maman. Comme je suis fière d'eux ! Maman est en première ligne. Elle brandit l'épée et effraie l'adversaire. Elle est très forte. Je l'observe doucement, préférant l'admirer elle, plutôt que de fixer l'horreur. Et je serre les poings, très fort.

Un sentiment étrange s'immisce dans mon cœur : mais je ne sais pas ce que c'est. Peut-être un début de peur... Je remarque du trouble. Et pourquoi ? Oh !  Ces pressentiments abominables ! Je dois... Je dois partir... Ne... Ne pas voir... Et s'il était trop tard ?

Maman est encerclée. Les soldats-gouttes s'approchent d'elle et l'attrapent, et l'entraînent. Alors une clameur sourde s'élève. Comme un seul homme, les habitants du château de sable se précipitent vers elle pour la sauver du danger. Maman se débat. Moi, j'ai peur.

Maman...

Je porte la main à ma bouche et me mords les doigts. Maman... Je sais qu'elle est prête à se sacrifier pour son pays mais elle nous aime aussi terriblement. Alors elle combat et elle résiste.

Elle parvient alors à se tirer d'affaire. La mer la relâche. Soulagement ! La reine reste avec nous.

- Maman !

Et la mer recule, découvrant plus encore notre château de sable. Notre victoire est proche finalement et notre captivité n'est déjà plus qu'un lointain souvenir. Maman et papa sont là. Puis-je déjà crier victoire ? Mes parents ont résisté, courageux. D'autres se sont sacrifiés. Pour notre château de sable. Pour nous. Et cela m'émeut.

Tous les habitants forment maintenant une longue ligne qui fait blocage à la mer. Ils avancent et la mer se retire craintivement. Je suis fière d'eux. Maman aussi est là devant et tient la main de papa. Elle a repris le combat : elle est courageuse... Oh si courageuse !

C'est la dernière image que je garde d'elle. Une vague plus puissante que les autres l'agrippe. Oh elle représente un tel symbole que la mer l'a prise pour cible ! Maman disparaît, engloutie par les flots, à tout jamais. Maman s'est sacrifiée. La vague l'a emmenée dans ses abîmes. Maman est morte. La dernière image...

Et nous avons gagné.

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J'avais dit à beaucoup qu'il y allait y avoir un mort, sans dire lequel. Que pensez-vous de ce chapitre ?

Comment va réagir le papa de Perle ? Que va devenir le château en ruine ?
Où est Azel ? Où est La Berlue ? Vous avez vu qu'il reste encore quelques questions en suspens.

Mais la réflexion sur aimer fait un large bond avec ce nouveau chapitre, même s'il reste la notion la plus importante à aborder.

Mon château de sableOù les histoires vivent. Découvrez maintenant