XXI - Reconstruction (1)

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Est-ce cela la victoire ? Écœurante ?

Et maman ?

Je glisse à terre, effondrée et en larmes. Pourquoi si écœurante ? Oh... Rendez-moi prisonnière et réssucitez maman. Je veux bien passer le restant de mes jours enchaînée si maman revient à la vie. Qu'est-ce que vous attendez ?

Maman ? Elle est partie.

Je me suis mise à hoqueter à travers mes sanglots. C'est trop dur ! Je ressens un si grand vide ! Tout creux ! Et je ne vois plus rien de ce qui se passe autour de moi. Mes yeux sont brouillés par un voile humide de larmes. J'ai le cœur en miettes.

- Perle...

La voix douce de mon ami me fait tressaillir et j'émerge de mon état léthargique. Une main se pose sur mon épaule.

- Perle, répète-t-il. Nous avons gagné.

Gagné.

Écœurant.

- Perle...

- Aide-moi à me relever, Isak.

Le paysage n'a pas changé. Pourquoi aurait-il changé ? La mer recule et les blessés se redressent. J'ai le cœur trop lourd.

Maman. Son nom est doux, calme, beau, comme une chanson... Maman. C'est comme un lien qui se détache. Je prends difficilement mon envol. Est-ce que je suis une adulte ?

- Tu ne peux pas te laisser abattre, Perle. Pas toi.

Et je souris doucement, tout doucement. Les larmes ont séché sur mes joues, salées. Je descends du tertre pour rejoindre les miens. Isak a pris ma main. Et de nouveau, un sanglot étrangle ma gorge. Papa est tout seul, face à la mer. Je crois qu'il pleure.

- Où est May, murmuré-je ?

- Je l'ai laissée derrière la colline. Il fallait que je vienne te voir.

- Va la chercher.

Je m'approche de papa et lui prends les mains, me blottis contre lui.

- Il faut aimer, papa. Il faut aimer la vie.

Il a un regard très dur qu'il fixe droit devant lui.

- Maman...

Je n'arrive pas à aller plus loin. Les mots s'étranglent dans ma bouche.

- Ta maman, la reine s'est sacrifiée pour nous tous, complète-t-il. Laisse-moi seul.

Mais lorsque je me retourne, je vois les habitants du château de sable qui attendent que nous leur indiquions quoi faire. Ils ont aussi perdu des proches. Ils ont aussi pleuré la reine. Mais la nécessité a pris le relais : il faut manger, trouver un abri, tout reconstruire.

- Papa, ils t'attendent. Il faut que tu les aides, que tu reprennes courage.

- Laisse-moi seul, c'est un ordre.

Alors j'y vais, moi, leur princesse. Ils m'attendent. Pensais-je donc que la vie allait s'arrêter pour moi ? Qu'elle allait attendre que ma douleur passe ? Ce que je peux être sotte quelquefois !

Je grimpe timidement sur une dune et me racle la gorge. On fait silence. On me respecte ?

- Vous...

Ma voix me paraît ridiculement faible, je répète :

- Vous avez tous perdu des êtres chers.

Et j'ajoute dans un souffle :

- Moi aussi. Nous avons repris ce qui nous appartenait. C'est ce qui compte et soyons-en fiers. Vous n'aurez pas la honte de dire à vos enfants : nous avons failli et c'est pourquoi vous porterez notre faute en esclavage. Soyez-en fiers.

- Où est notre roi ? Crie quelqu'un.

- Et notre reine ? Renchérit un autre.

Je ressens un grand trouble soudainement. Que répondre ? Mais une voix douce répond à ma place :

- La reine est morte et le roi la pleure.

J'ai envie de pleurer aussi. Je me sens trop jeune encore pour porter ces responsabilités que mon père trop faible ne parvient pas à assumer. La reine est morte. Et papa pleure toujours... Il veut que je le laisse seul.

Qui m'aidera ? Qui aura assez de trempe pour remplacer ma courageuse maman ? Oh, c'est assez horrible à dire mais toutes ces personnes me paraissent fades. Mon pauvre petit cœur ne parvient plus à aimer.

- Perle !

May vient me rejoindre, en haut de la dune. Isak s'est mêlé à la foule et me fixe durement du regard. Je peux compter sur eux. Mais sur qui d'autre ?

- Il faut reconstruire la ville, les remparts, tout ! M'écrié-je. La mer peut revenir...

À ces mots, tous se tournent vers cette eau qui fuit, agonisant dans le lointain, mugissant de colère et d'angoisse. Mais elle repart très loin : le danger est écarté.

- Qui m'aidera ?

Un silence embarassant accueille mon cri. Ai de la force, Perle. Je sais que tu en as.

- Qui m'aidera ? Personne ?

Ils sont tous fades, gris, sans intérêt. Sur quoi puis-je porter mon amitié ? Et même mon respect ? N'y a-t-il que moi pour avoir la force de combattre ?

- Qui m'aide...

- Moi !

C'est un homme qui s'est redressé. Je ne le connais pas. La foule s'écarte pour le laisser passer et il me rejoint.

- Princesse, murmure-t-il en s'inclinant.

- Qui êtes-vous ? Demandé-je troublée.

- Je vais me présenter...

Il se tourne vers les survivants du château de sable et clame :

- J'étais commerçant dans la rue principale du château. J'aime le château. Je pensais que les architectes, cette nuée d'architectes qui font notre réputation, prendraient les choses en main pour reconstruire le château. Je pensais que notre roi dirigerait lui-même cet autre combat. Mais il n'y a personne.

Je serre les poings, blessée intérieurement que mon père m'ait abandonnée ainsi.

- Moi, sans avoir les compétences requises, j'ai assez de courage pour vous en insuffler à vous tous, reprend-il. Alors, que les architectes retroussent leurs manches et cisèlent de nouveau notre château de sable ! Que les forges, les verreries et les ateliers se remettent à souffler ! Que ceux qui ont les mains vides partent en pionnier chercher ce qui nous a été dérobé et abandonné plus loin sur le sable ! La vie tourne et vos enfants attendent. Écoutez-moi et obéissez-moi.

Tous ont redressé leur tête, auparavant piteusement baissée, et l'observe avec curiosité. Les yeux se remettent à briller. C'est la vie qui renaît.

Et moi je suis impressionnée... Comme j'ai tort d'hâter mes conclusions : tout homme possède un trésor enfoui qui le rend unique. Et maintenant, mon cœur refait un bond : je m'émerveille, j'apprécie et j'aime.

- Ayez du cœur et combattez, répète l'homme.

Mon château de sableOù les histoires vivent. Découvrez maintenant