Nous étions deux en cours ce matin là. Il faut dire qu'en plus de la grève qui durait depuis presque une semaine, il faisait beau et chaud en ce début de mois de mai, et, pour couronner le tout, nous étions vendredi. Même Logan, mon petit ami, m'avait laissée tomber au profit de ses potes, et d'un pack de bière frais. Il m'avait bien demandé de l'accompagner mais me retrouver, seule fille avec une dizaine de mecs en train de boire ne me disait rien de bon. Alors me voici en cours de Français, m'ennuyant au moins tout autant que notre professeur, un vieux bonhomme fatigué, très proche de la retraite. En nous voyant arriver toutes les deux il soupira et nous dit de faire ce que nous voulions, il n'y avait pas assez de monde pour qu'il fasse cours, "Et trop d'élèves présents pour l'annuler. Ah la la! À quelle époque vit-on!"
Cette dernière partie était son expression favorite dès que quelque chose le tracassait, il le grommelait toujours dans sa courte barbe grise, dès qu'il entendait une bêtise ou qu'un élève arrivait en retard ou mal habillé, il se plaignait de l'époque à laquelle il ne comprenait plus rien. Sur la table couverte de plastique grumeleux, un livre y était posé, mais toute mon attention était portée sur la fibre de verre jaune pâle qui couvrait les murs de la salle de classe. Qui avait eut l'idée de cette couleur? Je me dis que l'intendant du lycée avait eut soit une réduction sur un achat de masse, soit quelqu'un avait une relation dans une usine de peinture car toutes les salles avaient la même teinte horrible. Elle paraissait banale lorsqu'on la regardait à l'occasion mais passer huit heures dans les salles jaunes finissait par donner la nausée. Je jetais un rapide coup d'œil à ma camarade, elle était toujours plongée dans un dessin, coloriant avec soin aux crayons de couleurs. De là où j'étais, je ne pouvais pas voir à quoi cela ressemblait et je ne la connaissait pas assez pour savoir si elle était douée ou pas. Nous n'appartenions pas, elle et moi, à la même catégorie d'élèves, tout ce que je connaissais d'elle c'était son prénom, Mathilde. Elle était discrète, réservée, introvertie et souvent dans le fond de la classe. Travailleuse, elle avait de bonnes notes mais sauf en cas de question directe, on ne l'entendait jamais. À l'inverse, j'étais populaire, assidue des premiers rangs, bavarde, assez extravertie mais de niveau moyen, j'eus à peine la moyenne aux deux premiers trimestres de cette année de première. Je me perdais maintenant sur les motifs de son T-shirt, aux couleurs chaudes large, il me semblait reconnaître un perroquet bleu, perdu dans le marron et le rouge découpés de façon aléatoire. C'était une jolie fille, blonde à la peau claire, un peu ronde mais le fait qu'elle ne savait pas s'habiller pour se mettre en valeur la faisait paraître plus grosse qu'elle ne l'était réellement. Je me disais que c'était dommage, elle aurait pu être attirante. Moi j'aimais m'habiller de manière assez provoquent, ce matin là, je portais un petit haut turquoise fort décolleté, par dessous une fine veste de laine beige clair, et un jean assez serré. J'aimais être désirable et je savais que cela produisait son petit effet sur Logan, entre autre. Ça faisait un an et demi que je sortais avec Logan, je me souviens encore de sa démarche non assurée qu'il avait le premier jour où ce petit brun à lunettes m'a abordé, me demandant timidement du feu. Petit mais large d'épaule, je l'avais tout de suite remarqué malgré l'épais blouson qu'il portait et ce fut la première chose qui me plût chez lui. Je lui avais donc prêté mon briquet tout en me demandant ce qu'il allait en faire vu qu'il n'avait pas de cigarette ni à la bouche, ni à la main. Là, il me sortit la seconde chose qui me plût chez lui, le plus gros joint que je n'avais jamais vu.
"Tu fumes, me demanda-t-il de sa douce voix timide. On se met dans un coin si tu veux, ça sera plus discret."
Je le suivis donc à l'angle de notre lycée, là où les grands buissons qui bordaient l'entrée d'un petit chemin nous cachaient un peu des autres élèves. L'air qui nous entourait sentait l'herbe, je me souviens avoir pensé que si nous étions invisible de par notre forme, il serait facile de nous retrouver à l'odeur, et d'avoir rit, seule. Une fois le fou rire passé, je le vis me dévisager de ses grands yeux marrons, il devait se demander si j'étais folle ou déjà défoncée rien qu'à la fumée. Il se joint à moi lorsque je lui expliquais pourquoi je m'était mise à rire. Les premières bouffées de la cigarette me donnèrent immédiatement mal à la tête, nous allâmes nous asseoir sur l'un des bancs métalliques qu'il y avait tout le long du chemin bordé de petits buissons coupés au carré, bien droits. Nous discutions tout en fumant, il me dit qu'il s'appelait Logan, moi Émilie, nous étions tous les deux en seconde et cela ne faisait que quelques mois qu'il habitait ici. Il venait d'une autre région, c'est pour ça que je ne reconnaissais pas l'accent typique du nord dans sa voix. Nous entendîmes la sonnerie du lycée annonçant le début des cours mais à voir, ni lui, ni moi avions la force de bouger. La matinée était fraîche, mais étant née ici, j'étais habituée et lui ne craignait rien vu l'épaisseur de son blouson. Par précaution je lui demandais s'il avait cours, il me dit qu'il aurait du être en maths à cette heure, moi j'avais Anglais et nous étions du même avis en nous avouant que nous étions bien mieux ici. Il me parla de sa famille, ses origines Francomptoises, son père était natif du Pas De Calais, il y était revenu pour monter sa propre entreprise, alors que sa mère, elle, était native de là-bas et ne travaillait pas. Mon père était gendarme à la retraite, et ma mère infirmière libérale, j'étais fille unique donc avait quasiment tout ce que je voulais. Lui avait un petit frère et deux petites sœurs, il aimerait travailler dans la presse, comme moi sauf qu'il n'avait aucune ambition littéraire. C'est ainsi que l'année suivante nous nous retrouvâmes dans la même classe.
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Jour de grève [terminé]
RomanceÉmilie, jeune lycéenne, découvre la tendresse d'une façon inattendue