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Deux tasses de liquide fumant nous attendaient déjà sur la table de la terrasse, je sortis le petit cendrier que mes parents laissaient dehors, principalement pour moi, et m'allumais une cigarette d'usine, tout en me disant que Mathilde n'avait pas intérêt à discuter trop longtemps avec mon père car nous devions encore passer chez elle. Je suis sûre qu'elle s'en doutait, je me demandais même si elle ne faisait pas tout pour retarder cette tâche. Comme s'il lisait dans mes pensées, mon père engagea la conversation sur le fait que nous n'étions toujours pas parties, et que sans l'accord de sa mère, la mienne ne voudrait probablement pas l'emmener. Elle essaya bien de dire à mon père qu'un SMS aurait suffit à la prévenir mais ce n'était pas ainsi que ma mère voyait les choses et mon père le savait bien. Nous bûmes donc notre café rapidement, comme d'habitude lorsque mon père le faisait, il était fort, je le sentais descendre le long de ma trachée à chaque gorgée, puis sa chaleur s'évanouissait dans mon estomac, toute une leçon de biologie pensais-je. Mathilde eut fini son mug en premier, elle s'alluma un tube et se leva pour me faire comprendre de ne pas traîner. Je reçus le message et trois minutes plus tard nous étions éblouies par le soleil en franchissant la porte d'entrée. La température était élevée pour un mois de mai, et au soleil, c'était franchement étouffant. Ma petite ville qui n'était habituellement pas très animée, semblait totalement vide, même aux abords du centre-ville nous ne croisâmes qu'une dizaine de voitures, les rares piétons que nous vîmes marchaient à l'ombre, rasant les murs. Sur le chemin, mon amie se confia un peu.

« Tu sais Émilie, ma mère sait pas que je préfère les filles. Elle croit que j'attends le bon garçon et qu'en l'attendant je me consacre aux études.

- C'est le cas, tu as des super notes.

- Ouais mais c'est pas le fait d'être célibataire qui me motive.

- Ah bon ?

- La chose qui me pousse vraiment c'est de voir comment ma daronne vit. J'veux pas me retrouver à quarante ans avec deux gosses, à vivre dans un studio, touchant le R.S.A. et devoir en dépenser la moitié au café pour me faire draguer par tous les alcoolos sans avenir du coin. Cette vie là j'en veux pas.

- En même temps si t'es avec une fille, les enfants c'est mort.

- Je sais mais je voulais dire que moi, je veux une vraie situation, une fille sérieuse, posée, qui sache ce qu'elle veut et un bon boulot, fixe et bien payé. »

Elle avait une plus large vision de son avenir que moi, j'eus beau réfléchir intensément un court instant, je ne me voyais pas avec qui que ce soit dans une dizaines d'années. J'aurai peut-être dit Logan il y a encore deux jours mais là, à ce moment, je n'étais plus sûre de rien. J'avais bien sûr l'esprit occupé à observer tout ce qui nous entourait, une autre partie suivait la conversation avec Mathilde mais le plus gros de mon subconscient était focalisé sur les événements qui venaient de se produire dans ma vie ses deux derniers jours. Lorsque mon amie reprit la parole, j'étais persuadée qu'elle allait me demander mon avis sur la question.

« Dis ça te gênes pas si j'y vais seule chez moi ? Au pire, si elle me croit pas ou qu'elle a des doutes je t'appelles »

Je répondis qu'il n'y avait pas de soucis, essayant maladroitement de cacher mon étonnement, sans succès à voir le sourire de Mathilde. Elle disparut au coin de sa rue, je l'attendis appuyée contre le mur de la maison qui formait le coin tout en fumant une cigarette. Je me torturai toujours l'esprit pour savoir où j'en étais relationnellement lorsque j'entendis siffler. J'eus beau regarder dans tous les sens, je ne voyais personne. On siffla à nouveau, sur ma gauche, cette fois, je me retournais et vis que Logan se trouvait là, à une cinquantaine de mètres. Comment avais-je fait pour ne pas le voir avant ? Trop perdue dans mes pensées peut-être. Je le regardais s'approcher de moi et me surpris de ressentir l'envie folle de le voir faire demi tour, cette réaction ne me ressemblait pourtant pas. Il me mit hors de moi rien qu'en ouvrant la bouche pour me demander ce que je ''foutais'' là.

« Le tapin ! J'ai besoin de fric du con ! »

Fut la réponse qui me brûlait les lèvres, mais me sentant encore un peu coupable de la façon dont je l'avais reçu ce matin et n'ayant pas envie de subir une autre de ses crises, je lui répondis que j'attendais Mathilde.

« Ah, oui, ta nouvelle meilleure amie. On fume ? »

Ce mec ne pensait vraiment qu'à la défonce. En y pensant bien, à chaque fois que je le voyais, il avait toujours un joint sur lui. Je n'étais peut-être pas une spécialiste des relations à longs termes mais je ne me voyais pas vivre et avoir des enfants avec ce garçon. Il me tendis le joint alors que j'étais toujours dans mes pensées.

« On dirait que ça ne va pas fort en ce moment toi... »

Quel fin psychologue. J'avais envie de lui demander s'il avait trouver ça tout seul, au lieu de ça, je lui répondis simplement que je me sentais fatiguée du ménage, un autre coup de marteau sur le clou rouillé du mensonge.

« Je vois, répondit-il en remuant la tête. Et ton amie t'a aidé à nettoyer ?

- Non, elle m'a demander de passer la voir cinq minutes (Bam!)

- Donc t'en profites pour esquiver les corvées chez toi ?

- Nan, on a fini pour aujourd'hui, on terminera demain (Re-bam!)

- Donc pas de sortie demain non plus, c'est ça ?

- Nan, ménage toute a journée (Re-re-bam) »

Il hocha la tête à nouveau lentement et mon clou était planté maintenant ;

« On se verra lundi au lycée.

- Oui, dit-il, si la grève ne continue pas. »

Nous savions très bien que la grève n'était qu'un prétexte pour avoir un jour de week-end en plus, tous les fériés du mois étaient tombés un jeudi, la plupart des étudiants grévistes ne savaient sûrement pas pour quelle raison ils faisaient grève, moi-même j'en ignorais le motif, peut être n'y en avait-il pas, c'était simplement une bonne excuse pour avoir un week-end de quatre jours. J'aurais du me douter que Logan aurait fait parti des flemmards, il ne ratait jamais l'occasion de ne pas aller en cours et si lundi en arrivant il entendait le moindre bruit de couloir parlant de grève, je n'allais pas le revoir de la journée. J'en étais toujours à me demander si cela était une bonne ou une mauvaise nouvelle lorsque Mathilde fit son retour. Je la vis sortir de chez elle, il faut dire que je n'avais pas quitter la porte des yeux, je rendis le joint à Logan qui le refusa, me disant qu'il en avait encore d'autre dans ses poches, puis je me dirigeais vers mon amie, sans même jeter un dernier regard sur mon petit-ami. Je n'eus pas besoin de lui dire quoique ce soit pour une fois, il s'en alla de lui-même tandis que Mathilde approchait, je soupirai de soulagement en voyant que je n'aurai pas à mentir encore une fois.

« C'était ton mec ?

- Oui.

- OK. Ma mère est d'accord pour que je reste chez toi. Ça la fait chier de pas sortir mais bon... Elle s'en remettra. On y va ?

- Ouais mais si mes parents demandent, je suis rentrée avec toi.

- Oui, oui, t'inquiète pas. »

Contrairement au chemin de l'allée, Mathilde était plus motivée, la marche fut plus rapide. J'aurai pu croire que c'était l'effet du joint fumé avec mon petit-ami mais en regardant l'heure sur mon téléphone je vis que nous n'avions mit que sept minutes pour revenir. Un record. 

Jour de grève [terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant