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"Je me suis dis que tu pourrais finir ton dessin, on pourrait fumer un joint, ou faire une sieste, ou encore s'allonger dans le jardin au soleil... Je n'y ai pas vraiment pensé. Ce qui est sûr c'est qu'il n'y aura personne à la maison avant dix-sept heures, donc si tu veux que mon père remplisse ton carnet, tu pourras pas t'en aller avant.

- Ça tombe bien, répondit-elle en glissant son bras sous ma nuque, posture qu'apparemment elle adorait, j'avais pas envie de partir."

Elle ferma les yeux, sa main toujours dans mes cheveux, je pouvais sentir l'air qui sortait de son nez à chacune de ses respirations tant nous étions proches, et pourtant, cette proximité ne me gênait en aucune façon. Si nous ne nous endormîmes pas, nous n'en étions pas loin. Mathilde gardait les yeux fermés alors que les musiques défilaient aléatoirement sur ma chaîne, je n'en reconnaissais aucune.  Sa main entortillait mes cheveux, les caressait, sans pour autant que cela ne me dérange. Je pouvais sentir chaque mouvement de ses respirations grâce à son ventre collé sur ma taille. Moi je restais simplement allongée, sans penser à rien, à comater sur le blanc de mon plafond et sa démarcation avec le vieux rose qui tapissait les murs. Je finis par me prendre une cigarette et en tendis une à Mathilde. La main s'écarta de mes cheveux pour la saisir et nous fumâmes en silence. J'allais lui demander quand elle allait finir son dessin mais sans oser, me prétextant mentalement que je ne trouvais pas la bonne formulation. Nous écrasâmes notre cigarette l'une après l'autre, lorsque je reposa le cendrier sur la table de chevet, Mathilde se plaça à califourchon sur moi, ses genoux de part et d'autre de ma taille, ses mains posées de chaque côté de ma tête, j'avais une vue imprenable sur son décolleté et le soutien gorge blanc qu'il contenait. Elle approcha son visage du mien et pendant un bref instant je crus qu'elle allait m'embrasser, je me tenais prête à me dégager au besoin, inutilement, car au fond de moi, je me demandais déjà comment pouvait être les lèvres de ma camarade, elles avaient l'air douces et fraîches. Au lieu de cela, elle me souffla à l'oreille qu'elle allait finir son dessin avant de passer à table. Elle me déposa bien un baiser, mais ce ne fut pas de la façon langoureuse que j'avais imaginé quelques instants plus tôt, non, c'était un bisou sec, juste sous le lobe de mon oreille, ce qui me fit frissonner et lorsqu'elle se leva, un sentiment de frustration s'empara de moi. Que m'arrivait-il aujourd'hui?

Mathilde était toujours au bureau lorsque l'on frappa trois coups bref à la porte de ma chambre, une femme mince, d'un mètre soixante-dix, aux cheveux châtains foncés fit son entrée.

"Bonjour les filles ! s'écria ma mère de sa bonne humeur naturelle. Alors on joue les grévistes ?" Elle rit comme si c'était la meilleure blague du monde. Parfois même les parents les plus cool peuvent devenir très lourds. Je me levai, l'embrassai et lui présentai ma camarade de classe, elle nous informa que nous allions passer à table et que donc nous devions aller nous laver les mains. Je me retournais vers mon amie en levant les yeux au plafond, je n'avais plus cinq ans pour m'entendre dire qu'il fallait que je me lave les mains avant d'aller manger. Mathilde me souris en voyant ma lassitude face à ma mère et me gratifia d'un de ses clins d'œil puis nous passâmes dans la salle de bain au bout du couloir. Toute carrelée, il y avait dans le fond une douche italienne qui remplaçait la baignoire de mon enfance et au bord de la pièce longue mais étroite, un lavabo de porcelaine, blanc lui aussi. Mathilde se savonna les mains la première, puis ce fut à mon tour. Elle aurai pu attendre quelques secondes pour sortir de la pièce, au lieu de ça, elle fit exprès de passer derrière moi, me collant le plus possible et me déposa un autre baiser sec à la base de mon cou, là où mon tee-shirt s'arrêtait, me provocant un nouveau frisson. Nos regards se croisèrent dans le miroir qui faisait face, je crus voir dans ses yeux que tout cela l'amusai, les clins d'œil, les sourires et les bisous, elle avait une lueur coquine dans ses yeux et moi, des milliers de questions dans les miens. Je sentis une de ses mains glisser sur la largeur de mes fesses alors que dans le miroir, j'eus droit à un nouveau clin d'œil puis elle sortit, me laissant momentanément seule avec mes questions, mes appréhensions et mes regrets.

Malgré tous les films vus et tous les livres lus, contrairement à eux, mes parents ne mangeaient pas chacun au bout de la table, ils prenaient leur repas côtes à côtes, dans la bonne humeur, riant, parlant, je n'avais pas le souvenir d'un repas triste, et celui-ci ne le fut pas non plus. Ma mère avait pour habitude de nous raconter sa matinée se moquant au passage de quelques patients, mon père les comparait à ce qu'il avait connu lorsqu'il était en service. J'avais des parents amoureux et ils le montraient. À la fin du repas, ma mère racontait qu'un gros mal poli l'avait quasiment mise dehors une fois qu'elle eut fini ses soins, mon père la regardait comme fasciné par ses paroles en lui tenant la main dessus la table, Mathilde et moi écoutions mais moins intensément que mon père, pour ma part, je réfléchissais à une méthode qui me permettrai de mettre la vaisselle dans le lave-vaisselle en faisant le moins de voyages possible. Ma camarade souriait à ma mère et hochait la tête lentement lorsque celle-ci la regardait. Soudain, je sentis une main se poser sur ma cuisse, celle de mon amie venait d'y atterrir. Je la regardais alors, un peu choquée, elle contracta une fois sa main et la détendis, tout en la laissant en place. La surprise passée, il ne restait plus qu'une légère sensation de gêne, il n'était pas banal qu'une amie me touche ainsi, pourtant je connaissais des filles tactiles, celles qui aiment se promener en me tenant par le bras, qui ne peuvent s'empêcher de me donner une tape sur l'épaule quand arrive la chute de leur blague, mais aucune ne l'avait fait comme Mathilde le faisait depuis ce matin. Mais là, sur le coup, après avoir autant fumé et autant mangé, je n'en avais ni la force ni la volonté. Quand ma mère eut fini son récit, mon père me pria de débarrasser la table, j'obéis immédiatement, heureuse de pouvoir me libérer de l'emprise de Mathilde. Elle me proposa son aide, comme l'aurait fait toute jeune fille bien éduquée. Ayant reçu moi aussi de l'éducation, je refusais. À la place, ce fut mon père qui rangea les condiments et la bouteille de jus de fruit et d'eau, alors que je chargeais la machine à laver la vaisselle avant de la mettre en route. Une fois la tâche effectuée, je vis que mon père me regardait avec un léger sourire. Il me dit qu'ils n'allaient pas tarder à partir en visite chez ma tante, et que, comme je me doutais, ils seraient de retour pour dix-sept heures, heure à laquelle ma mère reprenait son service. Il me demanda si je n'avais besoin de rien pour cette après-midi, je profitais de son offre pour prendre un soda et un gros paquet de madeleine, au cas où nous aurions une petite faim, aussi étonnant que cela puisse paraître vu tout ce que nous venions de manger puis leur souhaitai une bonne route et leur priai de saluer ma tante de ma part. J'attendis qu'ils partent pour aller rejoindre Mathilde qui s'était de nouveau assise au bureau de ma chambre, son crayon de bois entre les mains. Je posai tout ce que j'avais ramené de la cuisine sur la commode, alluma la chaîne et mis la radio, elle était pré-réglée sur RTL 2, l'une de mes deux stations préférées avec Horizon.

Jour de grève [terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant