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Je repris dans mon bureau la boîte métallique et mon paquet de cigarettes et alla me caler sur le lit. Cette fois-ci, c'est moi qui était contre le mur du fond. Je m'adossais confortablement contre mes deux gros oreillers et entrepris de rouler un joint de taille classique. Une fois la roulée terminée, je la rangeais dans la boîte, posai le tout sur la table de chevet et fuma une cigarette. Mathilde refusa lorsque je lui en proposa une, elle était hyper concentrée sur son dessin, évidemment je ne pouvais rien voir de là où j'étais, j'avais donc hâte qu'il soit fini. Lorsque je reposai le cendrier, elle me demanda une nouvelle fois ma gomme, je lui dis de regarder dans la trousse mauve qui se trouvait dans mon sac lorsque je me souvins ne pas avoir eu le temps de la ranger, elle était toujours dans la poche de mon gilet, accroché au porte-manteau derrière la porte de ma chambre. Elle se leva pour aller la chercher, je profitais de ce moment pour essayer de voir où elle en était mais, trop loin, je ne pus me faire une idée précise. Elle revint s'asseoir et se remit directement à dessiner. La radio diffusait des chansons calmes, en anglais pour la plupart, ne sachant pas quoi faire, je pris mon téléphone et lançais un jeu de stratégie multi-joueurs que j'avais découvert quelques semaines plus tôt. Une grosse demi-heure passa, lorsque Mathilde se redressa si subitement qu'elle m'en fit sursauter.

"Fini ! S'écria-t-elle. Je ne suis pas vantarde, mais sur celui-là, je suis fière de moi !"

Elle me tendit la feuille A4, la première chose qui me sautait aux yeux fut les détails, les branches des arbres, les ombres faites au crayon de bois, et la qualité du personnage et du loup. Je me reconnus immédiatement dans la fille, surtout le visage, la forme du nez et du menton, les yeux et les cheveux sombres, la même coupe au carré, jusqu'à la nuance de la coiffure. Je rougissais en m'imaginant réellement à côté de ce loup blanc et gris, avec dans mon esprit tellement de détails, le vert clair de ses yeux, l'humidité de sa truffe, la chaleur de sa respiration lente, calme, apaisante... Et moi posant nue au seul regard de l'artiste qui nous dessinait. Si cela avait été réellement le cas, les seins auraient été moins ronds et les hanches plus fines mais ce genre de détails, il n'y avait que moi qui pouvait le savoir. Logan aussi, peut-être, mais je nourrissais de sérieux doutes quant à sa mémoire concernant la forme générale de mon corps qu'il n'avait vu entièrement nu que deux fois. Mathilde se dandinait d'impatience, se balançant d'une jambe à l'autre, attendant mon verdict. Je regardais une nouvelle fois le dessin et lui avoua honnêtement qu'il était magnifique. Un large sourire illumina son visage. Elle reposa le dessin sur le bureau et me demanda si elle pouvait se servir un verre, je lui répondis que bien évidemment, elle le pouvait, et elle remplit le mien par la même occasion.

"Bon on fait quoi maintenant ?

- On fume un buzz à la santé de ton chef d'œuvre.

- Encore ?" Elle se dirigeait déjà vers la fenêtre, je me saisis de la boîte métallique, du cendrier et alluma la roulée directement dans le lit. D'ici à ce que mes parents ne rentrent, l'odeur du cannabis aurait disparut, au pire je mettrai un peu de parfum un peu partout. Elle revint donc s'allonger près de moi pour fumer, tout en étant un peu éloignée. Une question me traversa l'esprit : et si c'était moi qui l'avais collée d'un peu trop près ce matin ? Nous étions à la moitié de la cigarette lorsque Mathilde s'assit sur ses jambes croisées.

"On t'a déjà fait une soufflette ?

- Une quoi?

- Bon à voir non. Le principe est simple, je t'envoie de la fumée, tu la respires. On teste?

- Si tu veux..."

Je n'avais aucune idée de ce qu'elle voulait faire, elle fit rouler le bout incandescent du joint dans le cendrier afin d'enlever le plus de cendre possible, avant de le mettre dans sa bouche, seul le filtre en carton en sortait. Elle inspira profondément par le nez et souffla. Un nuage de fumée gris sorti par le filtre, je compris ce que je devais faire, j'approchais ma bouche de la sienne et récupérai le plus de fumée possible. Mes poumons étaient pleins mais elle continuait de souffler, le reste de fumée que je ne pus pas prendre me piqua les yeux, ce qui eut pour effet de me faire pleurer et je m'étouffais en recrachant la mienne, donc je toussais affreusement tout en pleurant. De suite, une violente sensation de migraine s'empara de moi, j'avais une bonne douleur dans le front et la tête qui tournait. 

"Il faut fermer les yeux, sinon la fumée ça pique... T'y avais pas pensé ?"

J'avais envie de lui hurler que je ne connaissais même pas sa foutue technique deux minutes avant et que par conséquent, non, je n'avais pas pensé à fermer les yeux ! Or tout ce que je réussis à prononcer fut un "non" à peine audible.

"C'est rien, c'était un essai, on va le refaire, mais en mieux. Je rallume le joint, détends-toi, respire calmement et quand tu te sens prête, ferme les yeux."

Pâle imitation d'un prof de yoga me dis-je en souriant. J'obéis néanmoins, le temps qu'elle prenne deux taffes sur la roulée, ma respiration était redevenue normale et je me sentais prête à renouveler l'expérience. Je me mis à genoux, assise sur mes chevilles, bien en face d'elle, pris encore une grande respiration et fermais les yeux en attendant que la fumée me touche les lèvres pour inspirer. Au lieu de cela, je sentis quelque chose de solide, doux et chaud à la fois, j'ouvris rapidement les yeux pour voir le visage de Mathilde collé au mien. J'eus à peine le temps de comprendre ce qu'il se passait, que je sentis sa langue chercher la mienne. En une fraction de seconde je pesais le pour et le contre pour finir par m'abandonner à ce baiser. Je lui offris ce qu'elle cherchait et elle me le rendit généreusement, elle passa ses bras autour de mon cou alors que nos langues dansaient l'une contre l'autre, je posais doucement mes mains sur sa taille. J'eus l'impression que ce baiser durait une éternité, malgré cela, je ressentis une pointe de tristesse lorsque sa bouche quitta la mienne.

Jour de grève [terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant