"Émilie ? "
Une voix féminine, au loin, ma mère ?
"Émilie !!!"
Pas de doute, c'était ma mère. Je pris conscience de l'éclat orangé de mes paupières closes.
"Elles sont au jardin Jeannine. "
Mon père... Elles sont ? Ah oui, il y avait quelqu'un avec moi. Sur moi aurait été plus précis. Mathilde ! Je sentais maintenant sa tête sur mon épaule, sa main sur ma taille et sa jambe passer par dessus les miennes. J'ouvris les yeux et fus éblouie par le soleil, je les refermais violemment. Mathilde, pensais-je... Elle m'a embrassée, ou ce n'était qu'un rêve ? Non le souvenir de ce baiser était trop réel. Elle commençait aussi à se réveiller, elle bougeait, leva la tête, enleva sa jambe puis ce fut autour de sa main. J'ouvris une nouvelle fois les yeux, ma main en casquette pour me protéger du soleil, et vis directement mes parents à nos pieds.
"Cela fait bien dix minutes que je cris après toi dans toute la maison...
- Désolée man, on s'est endormie.
- On a bien cru que tu étais sortie sans même nous laisser un mot, ton père et moi !
- Tu sais bien que je ne ferai jamais ça. Ça fait longtemps que vous êtes rentrés?
- Dix minutes, depuis qu'on te cherche. Quelle idée vous a prit de vous endormir en plein soleil ? Ne va pas te plaindre si tu pèles.
- On n'a pas cherché à le faire exprès maman. Quelle heure il est ?
- Dix-huit heures ! Le vieux tacot de ton père est tombé en panne sur la route et je suis affreusement en retard. Ton amie habite loin ? Car s'il faut que je la dépose en voiture on part maintenant."
Je ne savais même pas dans quel coin de la ville elle habitait... Heureusement Mathilde fut plus réactive que moi.
"Non m'dame, à dix minutes à pieds. Si elle veut Émilie fera un bout de la route avec moi."
Ma mère eut un sourire pincé.
"Appelles-moi Jeanine, pas madame."
Puis elle ajouta d'un ton amusé : "Je vais au travail, je pense que nous nous reverrons de toute façon Mathilde !
- Oh oui, j'espère bien m'dame... Heu Jeannine. "
Ma mère sourit, pleine de bonne humeur cette fois.
"Bon, bonne soirée les filles, Émilie ne rentre pas trop tard si tu sors. Je serai là vers vingt heures trente. À tout à l'heure."
Elle donna un baiser langoureux à mon père et partie. Lui n'avait encore rien dit, il se contentait de nous regarder avec un sourire amusé puis rentra dans la maison. Nous nous levâmes et le suivîmes. De retour dans la chambre, la première chose qui me sauta aux yeux fut que le dessin avait bougé. Posé bien droit à notre départ, bien au centre du bureau, il reposait maintenant de travers et au bord. À peine nous eûmes le temps de nous rhabiller que mon père frappa à la porte et entra.
"Mathilde, tu ne veux pas rester pour dîner ? Je vais passer commande chez Domino's ce soir... J'ai eu assez d'ennuis avec la voiture, j'ai pas envie de cuisiner.
- Non, j'vous remercie m'sieur mais je vais rentrer. Ma mère va s'inquiéter, j'suis en retard et je l'ai pas prévenue.
- Ok, comme tu veux. Ah Émilie, lorsqu'on est rentré, ton téléphone sonnait."
Il jeta un coup d'œil amusé en direction du bureau et ressorti. Je pris mon portable posé sur le lit et vis que j'avais trois appels manqués, tous de Logan et un message sur mon répondeur. Je mis le téléphone dans ma poche, après l'avoir verrouillé et décidais que j'écouterai son message quand je serai seule, sur le chemin du retour. De toute façon je devais le voir ce soir, rouler des joints c'est bien mais à force, mon sachet s'amincissait. Nous sortîmes de la maison dès que Mathilde fut prête, et sûre de n'avoir rien oublié. Une fois dans la rue, je lui demandais où elle habitait.
"Ma mère loue un petit studio, cher et pourrave dans le centre-ville. Y'a juste une chambre mais j'ai un clic-clac dans le salon.
- Oh...
- T'inquiète, ça me convient très bien !"
Elle me sourit à nouveau et sa main effleura la mienne. Cette fois ce fut moi qui la lui donna, nos doigts s'entremêlèrent immédiatement et le sourire de Mathilde s'élargit encore. Elle n'avait pas menti, elle n'habitait pas très loin, elle me lâcha une dizaine de minutes plus tard, m'indiqua un vieil immeuble du bout du doigt, posé entre une boutique de laine, fermé depuis longtemps et dont l'enseigne partait en morceaux, et une ancienne boucherie devenue café.
"Voilà, rien de somptueux, juste un toit."
La tristesse et la honte pouvaient se lire sur son visage, j'en fus gênée pour elle. Elle dût le voir car elle me repris la main en souriant.
"Fais pas cette tête là ma belle, c'est pas grand chose mais j'y vis bien. Bon j'y vais. Je t'envoie un message demain ?
- T'as pas mon num...
- Si, je l'ai pris tout à l'heure !"
Elle me déposa un baiser au coin des lèvres et s'en alla. Je la regardais rentrer, puis fit demi-tour.
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Jour de grève [terminé]
RomanceÉmilie, jeune lycéenne, découvre la tendresse d'une façon inattendue