C'était vrai qu'il y avait un peu de moi dans ce dessin, en regardant vite, la forme du visage la longueur et la couleur des cheveux correspondaient, mais j'étais loin d'avoir les gros seins ronds ni les hanches parfaites que Mathilde avait dessinés. Je prenais ça comme un compliment un peu gênant de la part d'une autre fille. Réflexion faite, si c'était un garçon cela aurait encore était pire. Les mecs qui nous idéalisent ont tendance à être ennuyeux au bout d'un moment. Logan n'était pas de ce genre, au contraire, dès qu'il s'agissait de rire de l'un de mes défauts, il était le premier. Je dois bien avouer que je n'étais pas la dernière à me moquer de lui non plus. Mathilde me fit sursauter en se levant, elle se dirigea vers la corbeille à papier et se pencha pour vider le contenu du bac de son taille crayon. Elle fit demi tour pour revenir à sa place, me vit la regarder, elle me sourit à nouveau, me gratifiant encore une fois d'un clignement rapide de l'œil, toujours le même. Je me hâtais de détourner le regard qui se posa sur le jaune du mur. Elle revint s'asseoir tout en faisant exprès de me bousculer un peu, un léger coup d'épaule, tout en restant souriante.
Tu fais quoi à la pause?
- Je vais fumer et toi?
- J'avais prévu de continuer à dessiner mais sans table, j'ai peur de foirer mon dessin.
- T'as qu'à venir avec moi. Tu fumes pas?
- Non. J'aime pas le goût."
Elle murmura ensuite quelque chose que je ne compris pas, avant de conclure qu'elle m'accompagnerait. J'étais contente de ne pas être seule pour fumer malgré l'absence de mon petit ami. Quelques minutes plus tard, la sonnerie retentit, je ne fus pas longue à ranger mon livre, fermer mon sac de marque Puma et à le balancer sur mon épaule. En passant lentement, la petite femme en blouse blanche nous souhaita une bonne et ennuyeuse journée, une note d'humour dans la voix, nous la remerciâmes en lui souhaitant la même chose, souriante toutes les deux, puis nous sortîmes de la salle de cours. Le couloir était déjà plein d'élèves se ruant vers la cour à l'arrière du lycée, mais moi je connaissais un coin bien plus tranquille, je saisis Mathilde par le bras et l'emmenai à contresens de tous ceux qui voulaient quitter le bâtiment pour s'aérer l'esprit. Nous sortîmes par l'issue de secours située à côté de l'infirmerie, cette dernière étant toujours fermée, nous ne risquions pas d'être vues. En longeant les salles de classe vides, nous arrivâmes à un petit renfoncement dans le mur, là, nous étions à l'abri en cas de pluie, ce qui n'était pas le cas aujourd'hui et surtout, nous étions au calme pour fumer une cigarette ou un joint. Jamais je n'aurai pensé venir ici avec quelqu'un d'autre que Logan, il avait l'habitude de s'asseoir sur son sac par temps sec et moi sur ses jambes. Aujourd'hui, il n'était pas là, et il était hors de question que mon sac à dos blanc finisse sur le sol. Nous restions donc debout, en allumant ma cigarette, je me dis que nous allions être assise encore deux heures, nous pouvions bien rester debout quinze minutes. Ma camarade engagea la conversation, me parlant de sa mère, elle n'avait pas connu son père, je fus presque gênée, moi qui avait mes deux parents. Je me demandais si son comportement effacé ne venait pas de là. J'allais allumer ma seconde clope, je prenais toujours le temps d'en fumer deux durant la pause du matin lorsqu'elle me demanda, rougissante, si elle pouvait en avoir une, je lui offris.
"Je pensais que tu fumais pas...
- À l'occasion.
- T'aimes pas le goût tu m'as dit.
- Oui, le prétexte parfait, personne ne pose de question quand je dis ça. Et vu le prix du paquet, j'aurai préféré avoir la gerbe plutôt que l'envie quand je traîne avec des fumeurs. "
Elle me fit sourire, je voyais parfaitement ce qu'elle voulait me dire, le tabac coûtait cher. Est-ce qu'elle ne fumait que du tabac ? Je la regardais tirer de grosses bouffées sur la cigarette, tout en essayant d'imaginer cette fille timide, effacée, avec un joint. J'étais tellement concentrée qu'elle me fit sursauter en reprenant la parole.
"T'es obligée de rentrer chez toi ce midi? Parce que j'ai des tickets pour la cantoche, on pourrait manger ensemble."
Je manquais de m'étouffer avec la fumée et réprimais un fou rire, repensant à ses clins d'œil à répétition, si elle me draguait, elle avait la classe... Des tickets cantine... Puis tout bien réfléchis, je me dis pourquoi pas, en deux ans je n'avais jamais vu le réfectoire de l'intérieur, c'était une occasion à ne pas manquer. De plus, Mathilde n'avait pas l'air d'avoir beaucoup d'amis et ça me faisais de la peine pour elle, elle était sympa avec moi depuis ce matin et même si une part de moi restait sur ses gardes, je me dis que ce serait une bonne idée d'avoir une amie dans ma classe, une amie qui avait de meilleures notes que moi.
" J'enverrai un message à mes parents pour les prévenir après et ce sera réglé. Le pire c'est que j'ai pas mes affaires de cours pour cet après-midi.
- Parce que tu crois vraiment que l'on sera plus nombreux cette aprèm ? T'as vu comme il fait bon, ils sont tous chez eux. Je suis certaine que pas un n'est parti manifester à la sous-préfecture."
Je pensais à Logan, et je me dis qu'elle avait sûrement raison. D'ailleurs, rien que d'y penser je me dis que moi aussi j'aimerai rester chez moi, ce que j'aurai même peut-être fait si je n'avais pas décider de rester manger avec ma camarade.
"J'avais pas envie de venir ce matin, me dit-elle, vu le nombre d'absents mercredi... Mais je ne savais pas où aller, ni quoi faire alors je suis venue quand même.
- Et tu as l'intention de rester toute la journée ? Tu aurais pu dessiner chez toi. "
Elle me sourit en secouant négativement la tête.
" Non, ce n'est pas assez calme chez moi. J'ai une demi-soeur de six mois, elle ne fait que brailler à longueur de temps.
- Ah, ta mère à rencontrer à nouveau quelqu'un?
- On peut dire ça comme ça... Pour un soir, le temps de la foutre enceinte.
- Ho, désolée.
- C'est la vie... Les salauds c'est une histoire de famille. Bref, on va en cours ou on sèche? "
Elle me demanda cela en riant mais ses yeux avaient gardés tout leur sérieux. D'un point de vue pratique je ne voyais pas comment on aurait pu sécher les deux dernières heures de cours de la matinée et aller manger au réfectoire comme ci de rien n'était. Même si je devais admettre que l'idée de partir du lycée me plaisait bien.
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Jour de grève [terminé]
RomanceÉmilie, jeune lycéenne, découvre la tendresse d'une façon inattendue