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Une fois de plus je ne vis que lui en entrant, trônant sur le bureau à la place du tas de feuilles sur lesquelles j'usais cartouches après cartouches, à détailler la vie de personnages fictifs. Je me retins in extremis de le faire voler à travers la pièce, de le balancer contre le mur et de piétiner les éclats de verre jusqu'à ce qu'ils redeviennent sable. Mais je n'avais que de fines pantoufles de tissus et en le voyant, je me calmais petit à petit. De plus, je ne pensais pas que mes parents supporteraient une nouvelle crise de nerfs. Au lieu de le mettre en pièces, je le regardais fixement. Le cadre apportait une touche soignée à ce dessin déjà magnifique et en y regardant de plus près, il est vrai que la fille dessinée me ressemblait, j'y voyais les mêmes défauts sur son visage que sur le mien, le nez trop fin, les yeux trop grands et l'ombre des creux de mes joues. Ce n'était pas étonnant que les deux personnes qui me connaissent le mieux, pour m'avoir vu naître, m'eurent reconnu tout de suite. Comment avait-elle pu me détailler à ce point ? Ce n'est pas en une matinée que l'on peut remarquer les petits défauts physiques d'une personne. Donc, m'observait-elle depuis longtemps ?J'allumais une cigarette, le cadre toujours entre les mains, ne sachant quand je l'avais prit, n'en ayant même pas le souvenir de l'avoir fait, lorsque l'on frappa à ma porte, ma mère entra. Elle sourit en me voyant avec le cadre et referma la porte derrière elle.

"Je peux entrer ?"

C'était déjà un peu trop tard. J'ouvris la fenêtre pour ne pas la déranger avec la fumée après avoir posé le dessin sur le bureau, où il se trouvait . Elle s'en approcha et le prit.

"Elle a vraiment un don ton amie ma chérie.

- C'est ce que je me disais aussi maman.

- Tu sais, ton père et moi pensions vraiment ce que nous t'avons dit au dîner. En vous voyant toutes les deux endormies et ce dessin, nous avions vraiment cru que vous étiez... Plus proches. Et tu souriais en dormant.

- Je plissais les yeux à cause du soleil."

Tout comme moi, ma mère n'y crut pas une seule seconde. Elle me lança simplement un regard de travers avant de poursuivre.

"Bref ! Tout cela pour te dire que nous ne te jugerons jamais, peu importent les choix que tu feras.

- J'avais compris maman.

- Je sais, tu es intelligente, c'est ce qui nous rassure ton père et moi."

Elle se leva, prête à partir, je regardais sa silhouette et ses cheveux tombant bien droit sur ses épaules. Ma mère était vraiment une jolie femme. Elle se retourna et me regarda de ses grands yeux vert.

"Nous t'aimons ma chérie.

- Moi aussi je vous aime maman."

Elle me sourit puis quitta ma chambre après avoir reposé ce fichu dessin. J'avais déjà pas mal fumé de la journée, mais là je me dis que je méritais bien un joint. Je le fumais à la fenêtre de ma chambre, me forçant à ne rien regarder d'autre que le jour fuir et la nuit se lever. Regarder était facile encore, mais mes pensées ne cessaient de s'agiter, toutes dans une seule et même direction pourtant : Mathilde. La façon dont elle m'avait dessinée m'obsédait, je n'arrêtais pas de repenser à ses baisers, si innocents et doux furent-ils, la façon dont nous nous sommes réveillées et à ce fameux sourire que même mes parents avaient remarqué. La cigarette terminée, je me mis au bureau et sortis les feuilles de mon histoire sur laquelle je travaillais. Je relus les dernières lignes et comme toujours le récit me revint intégralement. Celle-la parlait d'une jeune orpheline, à la recherche de ses parents, évidemment, qui avait croisé son amoureux d'enfance quelques heures avant ses fiançailles avec son mec actuel. L'histoire me revint donc mais mon héroïne restait figée, j'étais en panne sèche d'idée et trop concentrée sur mes problèmes personnels pour écrire la moindre ligne. Je restais cependant assise à mon bureau pendant une bonne heure à imaginer les possibilités qu'Estelle pouvait avoir... Luc son futur fiancé ou Marc, son premier amour ? Ou encore une île déserte où la solitude lui permettrai de couler des jours heureux sans les tracas de cœur. Cette dernière option, non-envisageable dans mon récit me paraissant être la solution idéale à mes soucis... Une île au calme, des tonnes de papier et d'encre. Émilie part à en pèlerinage à Romanland ! Je m'imaginais déjà me faisant mentalement un emploi du temps, me voyant écrire le matin, marcher sur la plage de sable fin aux eaux turquoises sans personne l'après-midi et écrire de nouveau le soir... Ma famille finirait tout de même par me manquer... Ou alors alterner... Six mois Émilie en famille, l'été, et six mois Émilie l'exilée, en hiver, pour échapper en même temps au froid et à la neige...

"Et douze mois par an tu rêves ma fille !" Me murmurais-je tout en rangeant mon histoire dans le tiroir.

Mon smartphone s'éclaira. Logan me demandait si tout allait bien, il est vrai que je l'avais mis de côté toute la journée le pauvre. Il eut droit à la même réponse que mes parents : je me sentais épuisée. Ce n'était qu'un prétexte, je ne me mentais pas, la vraie raison aurait été « je me sens perdue » mais comment lui expliquer ? Il se montrait parfois possessif avec moi et il était jaloux de naturel. Alors aller lui expliquer qu'une fille m'avait embrassée et que je me demandais si cela me dérangeais ou pas, certainement pas ! Contrairement à mes parents il ne chercha pas à en savoir plus, il me répondit simplement que lui aussi était fatigué, il avait passé la journée à boire des bières et à fumer et jeter quelques cailloux. Ce message aurait pu paraître bizarre aux yeux de n'importe qui mais la dernière activité était un code pour me dire qu'il avait vendu deux ou trois sachets d'herbe. Mon copain deal, certes mais prudemment. D'ailleurs ce n'était pas une activité à plein temps, il le faisait davantage pour rendre service que pour le profit. Restant discret, il n'était pas connu pour ça, de personne, et cela lui convenait parfaitement. Je fus un peu déçue tout de même qu'il ne cherche pas à en savoir plus me concernant, je lui mentis que je n'allais pas traîner à dormir, et je reçus un message me souhaitant une bonne nuit quelques secondes plus tard. N'ayant aucune envie de dormir, j'allais quand même m'allonger, après m'être déshabillée, sur le lit, par dessus ma couette. Mes parents devaient déjà dormir car j'eus beau me concentrer, je n'entendis pas un bruit dans la maison. Je me surpris à enfoncer ma tête dans mon oreiller, là où il restait encore quelques notes légères du parfum de Mathilde. J'en ignorais le nom mais il sentait bon et tenait longtemps, cela prouvait que c'était du parfum de marque. Cadeau d'un ou d'une petit(e)ami(e) ? Ou ex ? Je fus surprise une seconde fois lorsqu'un sentiment de jalousie me vrilla le ventre tout en me serrant le cœur... Que m'arrivait-il donc ? Aucune des réponses qui me vinrent ne me satisfaisaient. Je finis par fermer les yeux et m'endormi, toujours nue par dessus ma couette, le nez dans l'oreiller.

Jour de grève [terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant