Chapitre 1 : Shimada

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Nahele marchait d'un pas lent, calme et indécis. Lent car la fatigue alourdissait considérablement ses pas, calme car elle se devait de l'être au milieu de la foule pressée de Tokyo, indécis car elle ne savait pas réellement où la menait son chemin. Les longs cheveux noirs et épais de la jeune femme lui caressaient parfois la joue à cause des quelques coups de vents présents ce soir, mais Nahele n'y prêtait pas attention : ses yeux en amandes regardaient attentivement tout ce qui l'entourait, animée de curiosité malgré le jour difficile qu'elle traversait.

La ville japonaise qui l'entourait regorgeait de monde et de gratte-ciels dont la lumière aveuglante faisait souffrir les iris épuisées de Nahele. Les bâtiments d'une hauteur impressionnante étaient parfois pourvus d'écrans publicitaires qui diffusaient des annonces commerciales pour des produits souvent loufoques. La puissance de ces éclairages artificiels était telle que la rue sur laquelle ils donnaient n'avaient pas besoin de lampadaire : on y voyait presque comme en plein jour malgré l'heure tardive. À cause de cette lueur éclatante, aucune étoile ne perçait le ciel. La jeune femme qui adorait pourtant observer ces astres dût se résigner à repousser cette envie. Il était évident qu'en arrivant dans cette ville surpeuplée, la pureté de l'air allait lui manquer.

Après avoir observé les bâtiments, Nahele analysa ensuite la population présente dans cette large allée. Elle remarqua qu'ils étaient souvent plus petits qu'elle, qu'ils avaient tous les yeux bridés, que leur peau était pâle contrairement à la sienne qui était hâlée. Ce qui amusa la jeune femme fatiguée fut les couleurs de cheveux inédites que portaient certains japonais. Cela commençait pas du rose, virait au bleu et terminait parfois au jaune. Le plus surprenant était qu'ils étaient nombreux dans ce cas là : malgré le noir génétique de ces japonais, la plupart avaient des cheveux d'une autre couleur. Il fallait croire que c'était la mode. Mais en ce qui concernait la mode et les vêtements, Nahele était aussi perdue : il y en avait pour tout les goûts. Du gothique au hippie, du chic au dénudé. Les codes de la jeune femme étaient un peu perdus au milieu de cette diversité.

Les passants étaient d'ailleurs très respectueux. Ils se poussaient toujours soigneusement pour s'éviter les uns les autres, envers et contre tout ce monde. Cependant en cette heure avancée de la nuit, certains visages s'étaient peint de cernes mais aussi d'expression légèrement pincée qui rendait Nahele méfiante.

C'était intéressant d'observer attentivement cette nouvelle culture complètement opposée à celle qu'elle venait de quitter. Dans un autre concours de circonstances, Nahele en aurait sûrement profité pour admirer davantage ce pays, mais elle avait mal au pieds, avait faim, sentait ses paupières se faire lourdes, et la peur qu'elle avait réussit à oublier en observant cette rue, revenir. La peur de l'inconnu...

Elle se trouvait dans une ville d'un pays dont elle ne parlait même pas la langue, sans même savoir où elle allait dormir ce soir. En sentant de nouveau son cœur se serrer de stress, Nahele chercha à nouveau à se concentrer sur le monde qui l'entourait mais elle n'y parvint plus. Alors la jeune femme se retourna vers la petite troupe qui la suivait, comme pour essayer de chasser l'angoisse avec ce mouvement.

Mais le résultat fut pire. Elle croisa le regard de sa mère et de son père ce qui la glaça. Le visage de ses parents était affreusement creusé, leurs traits tendus, leur attitude lasse. Sa mère ne parvint même pas à lui envoyer un de ces sourires rassurants tant la fatigue lui pesait. Son père quant à lui leva faiblement ses prunelles vers sa fille aînée avant de les laisser retomber sur le béton. Puis Nahele vit son oncle, sa tante, son cousin et sa petite cousine encore bien trop jeune pour supporter d'être en mouvement à cette heure-ci de la journée. Le pire fut de voir la faiblesse de ces enfants qui auraient dût être couchés depuis longtemps... Une peine affreuse prit les poumons de la femme aux cheveux noirs en ayant la vision de ces tendres enfants innocents ainsi victime de la cruauté dont était capable la vie.

Esprit  ᴼᵛᵉʳʷᵃᵗᶜʰ ᶠᵃⁿᶠⁱᶜᵗⁱᵒⁿOù les histoires vivent. Découvrez maintenant