Chapitre 56

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La déclaration de Rémi m'avait rassurée pour quelques jours mais il était toujours aussi distant et préoccupé. Il avait la tête ailleurs, s'isolait pour téléphoner et oubliait de répondre à son fils.

Il rentrait souvent en retard et je feignais l'indifférence. Tout en moi hurlait mais je ne voulais pas faire de crise. Etait-il vraiment au travail ? Pourquoi était-il aussi souvent absent avec un associé de confiance et une bonne équipe ?

Chaque jour, je vérifiais son téléphone et son ordinateur. Chaque jour, je retenais mon souffle de peur de découvrir qu'il ne m'aimait pas autant qu'il le prétendait. J'étais devenue experte dans la vie d'Alexia. Je connaissais ses amis proches, je surveillais aussi leurs comptes, redoutant de tomber sur une photo d'elle avec Rémi.

Même s'il ne la voyait plus, pensait-il à elle quand il me touchait ? Quand il disait qu'il m'aimait, imaginait-il une autre femme ?

Les mêmes interrogations résonnaient sans cesse. En boucle, je me rappelais de toutes nos conversations où il me parlait d'elle. Chaque jour, mon angoisse grandissait. Un bloc de vide obstruait ma cage thoracique. J'avais l'impression d'être vide et de peser une tonne.

*****

Je proposais à Rémi de passer une journée avec son fils, seul à seul. Après tout, ils avaient besoin de se retrouver. Il me regarda avec tendresse et m'enlaça, heureux que je tienne à son fils. Il me promit de rentrer tôt et la lueur concupiscente sans son regard me fit rire. Ses doigts remontèrent lentement de mes poignets à mes épaules et je hoquetais en fondant dans ses bras.

-Je devrais te laisser dans cet état pour avoir osée rire, murmura-t-il contre mon oreille, veillant à ne pas se faire entendre de Matthieu. Un peu de frustration ne te fera pas de mal.

Je grognais et son rire se perdit dans mes cheveux.

-Ne t'inquiète pas, j'ai bien l'intention de profiter de toi.

Son air crâneur me fit craquer et je les regardais partir en soupirant. Je fis les cents pas toute la journée, incapable de travailler, me demandant où ils étaient, avec qui, ... Rémi me racontait leur périple et je me retenais à grande peine de demander s'ils étaient seuls. Il m'envoya une photo de Matthieu sur un toboggan, en train de jouer au foot, de nourrir des canards. Je l'imaginais à côté d'eux, vaguement en retrait le temps d'une photo et mon verre explosa. Je sursautais, brusquement ramener à la réalité et me dépêchais de passer ma main sous l'eau. L'entaille était profonde. J'agrippais le torchon et le nouais solidement, le temps de ramasser le verre. Je passais le reste de la journée chez le médecin, en attendant patiemment mon tour. J'envoyais un message à Rémi pour savoir ce qu'ils voulaient manger le soir. C'était surtout une excuse pour prendre de leurs nouvelles mais je restais sans réponse.

Je fermais les yeux, tentant d'ignorer les images qui s'imposaient à mes yeux. Rémi et Alexia en train de discuter, de rire, de faire signe à Matthieu. Leurs mains se frôlant doucement.

-Théodora ?

Je sursautais et suivit le docteur. La morsure de l'aiguille me détourna quelques instants de mes sombres pensées.

*****

J'entendis le moteur rugir et ce fut comme si la vie avait repris de son pouvoir. Les couleurs, les sons étaient plus denses. Matthieu se précipita dans la maison pour me raconter sa journée. J'avais du mal à suivre et il était sourd aux recommandations de Rémi, d'y aller doucement.

-Matthieu dans ta chambre !

Nous sursautions tous les deux et je vis que les yeux de Rémi étaient rivés sur ma main bandé. Son fils partit sans demander son reste.

-Tu n'avais pas besoin de hausser le ton.

-Cela faisait dix minutes qu'il ne se calmait pas.

Il s'approcha et effleura le pansement.

-Que s'est-il passé ?

-Ce n'est rien, une simple coupure.

-Et pour une simple coupure, tu as la main enrubannée ?

Je soufflais et regardais mes pieds.

-J'ai dû l'aller chez le médecin pour qu'il me recouse.

-Putain, pourquoi tu ne m'as pas appelé ? Fais voir, exigea-t-il.

Il attrapa délicatement mon poignet et défis la bandelette. L'entaille était toujours invisible mais la taille de la gaze laissait deviner l'ampleur des dégâts.

-Tu étais avec ton fils, expliquais-je doucement, je ne voulais pas vous déranger.

-Putain, grinça-t-il des dents, les yeux toujours rivés sur ma main. Tu ne nous dérangeais pas.

-Tu ne pouvais rien faire pour moi.

-J'aurais pu être là ! Te conduire chez le médecin, te tenir la main. Merde, j'ai l'impression de ne jamais être là pour toi !

-Tu es là maintenant, me blottissais-je dans ses bras.

Son dos se décontracta à mesure que sa colère s'essoufflait. Sa main retraçait ma colonne vertébrale avec douceur.

-Ce soir, tu ne fais rien, chuchota-t-il contre mon front, je m'occupe de tout...Pas de discussion ! me prévint il alors que j'allais protester.

Je haussais la tête en rougissant. J'avais très envie d'être le centre de son univers le temps d'une soirée.

*****

Je questionnais Matthieu sur leur journée. Qu'est ce qu'ils avaient fait? Qui ils avaient vu? Je retenais mon souffle à chacune de ses phrases. Ils avaient croisé un ami de Rémi, ils avaient parlé cinq minutes et le reste du temps, ils étaient que tout les deux. Je l'avais fais répéter, revenir en arrière, rien n'avait changé dans son histoire. Je le voyais mal me mentir mais mes doutes effleuraient la surface de mon esprit à chaque éloignement de Rémi.

Il avait toujours l'esprit occupé. Forcément, il se tramait quelque chose. Je lui posais des dizaines de questions à chacun de ses retours, demandant innocemment où ils en étaient des travaux? Si son collègue malade était revenu? Où ils avaient mangé... Je traquais les incohérences mais rien ne semblait l'ébranler. Mes questions l'agaçaient mais il répondait et je masquais ma jalousie par de la simple curiosité. « Tu as mangé quoi déjà hier? J'hésite à faire du sauté de porc mais il me semble que c'est ce que tu as mangé, non? ». « Un steak frite. Et même si j'en avais mangé, cela ne m'aurait pas dérangé ». Je hochais la tête et m'attelais à la préparation du repas. Evidemment, je me souvenais de ce qu'il avait mangé, il prenait toujours le même plat dans ce restaurant mais je voulais en être certaine. Peut-être qu'il n'avait pas mangé avec ses collègues mais avec une femme. Dans ce cas, il n'aurait pas choisi ce restaurant.

Je surveillais Mélanie, mais rien ne prouvait qu'ils étaient en contact. Laura, en revanche, envoyait souvent des textos à Rémi prétextant vouloir des nouvelles de son fils. Je décidais de prendre mon après-midi pour aller la voir. Si elle voulait récupérer son ex, je préférais le savoir, je ne me laisserais pas faire.

Sa mine abattue me frappa quand elle ouvrit sa porte. Elle avait repris du poil de la bête mais dans son regard, seule la tristesse et les remords étaient visibles. En prenant de ses nouvelles, j'orientais la conversation vers Rémi. Elle se laissa faire et me parla de leur relation passée, de ce qu'elle a fait de travers. Elle s'en voulait et je me retins de lui demander si elle l'aimait toujours. Elle souhaitait revenir en arrière, regrettait d'avoir trahi sa confiance puis elle se demandait soudain si elle n'avait pas dû être avec son frère. Elle était paumée, naviguait dans un monde d'illusions et d'hypothèses. Si elle jouait la comédie, elle était vraiment douée. Elle semblait plutôt chercher une explication rationnelle à son chagrin. Elle se rendait responsable de la mort de sa fille. Si elle l'avait plus surveillée, si elle n'avait pas trompé Rémi, si elle ne s'était pas mise en couple avec lui... Elle se perdait en conjoncture et son esprit s'affaiblissait. Je lui tins compagnie en mémoire de Sara. Son image me faisait toujours un pincement au cœur. En fin d'après-midi, je savais qu'elle n'était pas une menace. Il ne me restait plus qu'à découvrir d'où venait le danger. 

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