Chapitre 12

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Tout le monde était bien rentré la veille.

En arrivant ce matin au collège, certains regards étaient parfois tournés vers moi. Des gens que je connaissais. Ils avaient sûrement dû voir mes parents arrivés dans le bureau du directeur. J'avais pris le bus de 9h alors je n'avais pas pu être spectateur de leur altercation.

J'avais essayé de tirer les vers du nez de ma sœur, mais sans succès. Elle s'était braquée puis n'était pas sortie de sa chambre de la soirée. Le repas avait été très tendu, mes parents sûrement très en colère contre ma sœur enfermée dans sa chambre.

« D'ailleurs... Will', j'ai croisé tes parents ce matin. Tu sais ce qu'il se passe ? »

Je tournai la tête vers Alexy, un peu déboussolé.

« Ah oui, Jane s'est bagarrée. Convocation des parents et tout le bordel, tu vois...

- C'est bizarre... Ta sœur est pas du genre brute de décoffrage. »

Sa remarque fut accompagnée d'un haussement d'épaule de ma part.

« Je le sais bien. Mais bon, j'ai beau être son grand frère, sa vie reste sa vie. Je sais pas comment elle est avec ses amis. Même si elle n'est pas du tout du genre influençable. Qui sait, elle a peut-être mal tourné.

- C'est pas très rassurant. Elle était plutôt du genre discrète. »

Je ne répondis pas, ne voulant pas m'attarder sur le sujet.

≈≈≈

« William ? Appela ma prof de français, m'invitant à réciter mon texte en classe. »

Je gardai mon calme, ne sachant pas où on en était, je puisais dans mes maigres souvenirs des dix derniers secondes. Quels étaient les derniers mots prononcés ? Ah oui. C'est vrai.

« J'en trouve l'air bien doux, et cette loi bien rude
Qui m'en avait banni sous prétexte d'étude.
Toi qui sais les moyens de s'y bien divertir,
ayant eu le bonheur de n'en jamais sortir,
Dis-moi comme en ce lieu l'on gouverne les dames. »

Ma prof acquiesça distraitement, le nez dans ses multiples feuilles. Alexy prit le relais, assit juste à côté de moi au fond de la classe. Tout le monde avait les yeux rivés sur le texte, attendant la suite.

« C'est là...l-le plus beau soin qui vienne aux belles dames euh...âmes,
Disent les beaux esprits. Mais sans faire de fin euh le fin,
Vous avez l'appétit ouvert de bon matin :
D'hier au soir seulement vous êtes dans la ville,
Et vous vous ennuyez déjà d'être inutile !
Votre humeur sans emploi ne peut passer un jour,
Et déjà vous cherchez à pratiquer l'amour !
Je suis auprès de vous en fort bonne posture
De passer pour un homme à donner tablature ;
J'ai la taille d'un maître en ce noble métier,
Et je suis, tout au moins, l'intendant du quartier. »

Aussi loin que je me souvienne, Alexy avait toujours eu des problèmes d'élocution lorsqu'il était sous pression. Il balbutiait souvent, s'emmêlaient, se trompait, un peu à la manière d'un texte empli de ratures.

Mais cette fois-ci, il s'était bien mieux débrouillé. Se serait-il entraîné ? Si c'était le cas, ses efforts avaient payé.

« Ne t'effarouche point : je ne cherche, à vrai dire,
Que quelque connaissance où l'on se plaise à rire,
Qu'on puisse visiter par divertissement,
Où l'on puisse en douceur couler quelque moment.
Pour me connaître mal, tu prends mon sens à gauche. Continuai-je.

- J'entends, vous n'êtes pas un homme de débauche,
Et tenez celles-là trop indignes de vous
Que le son d'un écu rend traitables à tous.
Aussi que vous cherchiez de ces sages coquettes
Où peuvent tous venants débiter leurs fleurettes,
Mais qui ne font l'amour que de babil et d'yeux vous êtes d'encolure à vouloir un peu mieux loin de passer son temps chacun le perd chez elles et le jeu comme on dit n'en vaut pas les chandelles mais ce serait pour vous un bonheur sans égal que ces femmes de bien qui se gouvernent mal et de qui la vertu quand on leur fait service n'est pas incompatible avec un peu de vice vous en verrez ici de toutes les façons ne me demandez point cependant de leçons : ou je me connais mal à voir votre visage ou vous n'en êtes pas à votre apprentissage vosloisneréglaientpassibientousvosdesseins quevouseussieztoujoursunportefeuilleauxmains. Termina Alexy, reprenant son souffle alors que son rythme d'élocution était devenu beaucoup trop rapide pour être compréhensible ou seulement digeste. »

La prof commençait à s'impatienter pour je ne sais quelles raisons. Je repris la parole, faisant écho à celle d'Alexy :

« À ne rien déguiser, Cliton, je te confesse
Qu'à Poitiers j'ai vécu comme vit la jeunesse ;
J'étais en ces lieux-là de beaucoup de métiers ;
Mais Paris, après tout, est bien loin de Poitiers.
Le climat différent veut une autre méthode ;
Ce qu'on admire ailleurs est ici hors de mode :
La diverse façon de parler et d'agir
Donne aux nouveaux venus souvent de quoi rougir.
Chez les provinciaux on prend ce qu'on rencontre ;
Et là, faute de mieux, un sot passe à la montre.
Mais il faut à Paris bien d'autres qualités :
On ne s'éblouit point de ces fausses clartés ;
Et tant d'honnêtes gens, que l'on y voit ensemble,
Font qu'on est mal reçu, si l'on ne leur ressemble.

- Connaissez mieux Paris, puisque vous en parlez.
Paris est un grand lieu plein de marchands mêlés ;
L'effet n'y répond pas toujours à l'apparence :
On s'y laisse duper autant qu'en lieu de France ;
Et parmi tant d'esprits plus polis et meilleurs,
Il y croît des banals euh pardon badaux autant et plus qu'ailleurs.
Dans la confusion que ce grand monde apporte,
Il y vient de tous lieux des gens de toute sorte ;
Et dans toute la France il y a, non, est fort peu d'endroits
Dont il n'ait le rebut aussi bien que le choix.
Comme on s'y connaît mal, chacun s'y fait de mise,
Et vaut communément autant comme il se prise :
De bien pires que vous s'y font assez valoir.
Mais pour venir au point que vous voulez savoir,
Êtes-vous libéral ?

- Je ne suis pas avare. Répliquai-je d'un ton sec. »

Les élèves levèrent les yeux vers moi, Mme. Ester avec, bouche-bée avant d'exploser d'un rire sonore.

Je ne comprenais d'abord pas la nature de leur étonnement. Puis soudainement, l'illumination.

De leur point de vue, je m'étais mis à gueuler dans la salle la dernière phrase sans trop de raisons.

De mon côté, je venais tout juste de me prendre pour Dorante.

Durant ce court laps de temps, j'étais devenu le Menteur.

≈≈≈

L'Art de Mentir ✔Où les histoires vivent. Découvrez maintenant