L'Art de Mentir ✔

Chapitre 17

Cours de français.

C'est vrai, j'avais oublié.

Nous avions cours de français et mes pas m'avaient mené d'eux-mêmes (peut-être un peu guidés par ceux d'Alexy, je l'avoue) à la salle polyvalente.

J'attendais avec lui, sans un mot, adossé contre le mur alors que le hall s'emplissait de plus en plus de collégiens bruyants.

Le bruit me tapait sur le système mais qui étais-je pour m'y opposer ? Personne.

Alors que je maugréais intérieurement, étrangement de mauvaise humeur, mon regard accrocha quelque chose de doux, de sucré et de...bleu.

Le regard de Lise, envoûtant, m'empêchait de penser quoique ce soit. Je restai bouche-bée sans savoir quoi dire la fixant comme un poisson mort.

Je devais vraiment faire peur, là.

« Will' ? Sourit-elle alors que j'avais à peine remarqué qu'elle s'était approchée. »

Je balbutis des mots incompréhensibles, encore entre rêve et réalité. Tout s'était passé beaucoup trop vite pour moi.

Alexy, souriant comme à son habitude, fit la bise à Lise en lui parlant joyeusement de choses que je ne comprenais plus.

Alexy m'écrasa le pied discrètement, assez pour me rendre un semblant de lucidité.

« ...théâtre. C'est vraiment une passion pour moi, j'en fais depuis que...disons, mes sept ans ?

— Ah oui quand-même ! Rit Alexy. Et tu en fais toujours ?

— Non, j'ai arrêté en sixième.

— Oh. Ça ne te plaisait plus ? Continua-t-il. »

Lise parut soudainement gênée et son regard se fit un peu plus vague. Cette fois-ci, ce détail ne m'avait pas échappé.

« Il y a une autre raison, pas vrai ? Demandai-je, intéressé, d'une voix réconfortante. »

Jouer un rôle. Mentir. Jouer un rôle. Mentir. Paraître assuré. Troublé pour rien au monde. Mentir. Respirer. Parler. Bobards sur bobards, leur faire avaler.

Je vais bien. Mon cœur ne pulse pas dans ma poitrine, je suis juste stressé par la pièce qui se rapproche à grand pas. Si mes joues sont si rouges, c'est à cause du chauffage trop élevé.

Je dois me mentir à moi-même. Me convaincre que tout n'est que vérité et que vérité n'est que mensonge.

Inspirer. Fermer les yeux. Expirer. Battre des paupières. Je suis prêt.

Le regard de Lise s'était écarquillé un bref instant, étonnée par la douceur de ma voix qui un peu plus tôt était empreint d'affolement et de panique.

Est-ce que mon comportement était suspect ? Est-ce qu'elle allait découvrir juste à cette intonation que je ne faisais que mentir ?

Que lui mentir.

Cette simple pensée forma un nœud dans ma gorge asséchée, mon cœur s'emballant de plus belle, mais cette fois-ci pour des raisons bien différentes.

« Eh bien...oui mais...enfin... E-excusez-moi je... Enfin c'est...

— Ne t'en fais pas. On ne t'oblige à rien. Souris-je calmement.

— ...merci. »

Elle me rendit mon sourire et cette simple surrélévation des commissures de ses lèvres suffit à faire battre mon cœur encore plus fort au creux de ma poitrine.

« Et toi ? Demanda-t-elle presque brutalement comme si cette question lui brûlait les lèvres depuis un bon moment déjà. »

Cette fois-ci, c'était dans mes cordes. Cette fois-ci je pouvais raconter n'importe quel bobard, n'importe quelle absurdité. J'y étais habitué.

« Oh eh bien... Je ne fais pas grand chose comme activité en dehors des cours. J'aime rapidement faire de la randonnée ou marcher en ville mais je ne suis pas friand de ce genre d'activités non plus. J'y connais rien en musique et je chante comme une casserole alors je...

— Mais en théâtre ? Insista-t-elle. T'en as déjà fait ? »

Je secouai la tête de gauche à droite, calmant ma respiration, exercice très difficile pour sa discrétion laissant à désirer.

« Non. Je n'aime pas ma voix, alors m'en servir devant autant de personnes, ça m'angoisse beaucoup trop.

— Pourtant tu as eu le rôle principal, non ? »

J'haussai les épaules nonchalamment.

« Un coup de bol. Peut-être que le moment où je suis passé était plus favorable.

— La chance est rarement aussi généreuse. Murmura-t-elle sans qu'Alexy n'entende rien d'autre qu'un chuchotis. »

Il était bien trop poli et avait bien trop peur de froisser les gens pour lui demander de répéter alors que la conversation avait déjà repris son cours, me laissant entre une assurance imaginaire et une peur bien réelle.

« Dans votre classe, continua-t-elle, il y a Maxime il me semble ? »

Nous hochâmes tous deux la tête, s'observant du coin de l'œil.

« Lui, il sait très bien jouer la comédie. Affirma-t-elle. Il a pris des cours de théâtre pendant une année il me semble. Et pour le peu qu'il a appris, il sait l'utiliser. Alors ça m'étonne que ce ne soit pas lui qui ait le rôle principal étant donné que personne d'autre dans votre classe n'en a fait. »

Elle avait dit ça d'un ton tellement léger, tellement simple que ma poitrine s'était mise à bouillonner par la jalousie.

Depuis quand est-ce qu'elle en savait plus sur Maxime que nous ?

« Comment tu sais ça ? »

La question m'avait échappé. Je n'avais pu m'empêcher de la poser. Lise haussa les épaules, un mince sourire aux lèvres.

« J'ai eu accès aux registres de tous les inscrits une fois dans ma vie, l'époque où mon père était le directeur des cours de théâtre. Un jour, il a laissé le cahier ouvert avec tous les élèves inscrits depuis qu'il a pris ses fonctions. »

Je fronçai les sourcils pour cacher mon trouble.

« Et tu as retenu le nom de tous les inscrits ? »

Elle hocha la tête.

« Oui.

— Impressionnant ! S'étonna Alexy. »

Alors qu'un doute on ne peut plus désagréable s'insinuait dans ma poitrine, je posai cette fois-ci la question dont la réponse m'importait plus que tout.

« Et il était directeur de quel établissement, ton père ?

— Celui pas loin du collège. Vous avez déjà dû passer devant au moins une fois, non ? »

Son regard insistant me fit l'effet d'une douche froide et je maintins mon sourire tant bien que mal.

« Pas loin de la mairie ? »

Elle acquiesça, son sourire parfait aux lèvres, ne me quittant plus des yeux.

« Ouais, je connais. Répondis-je avec peu d'entrain. Je passe souvent devant en prenant le bus. »

Oh pour connaître, je connaissais.

Et malheureusement pour moi, le froncement de sourcils de Lise ne put que confirmer mes doutes : ma version de l'histoire ne convenait pas avec la sienne.

Et l'histoire qu'elle connaissait ne pouvait être que celle que j'avais vécu.

Je pouvais imaginer sans mal les mots "William Valtais" inscrits dans ce petit registre.

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