Chapitre 27

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Et maintenant ?

Qu'est-ce que j'étais censé faire ?

Est-ce que je devais laisser Lise partir ou est-ce que je devais la suivre comme il était d'abord prévu ?

Elle se retourna guillerette et sourit gentiment en m'appelant d'une voix légèrement plus aiguë que d'habitude.

« Bon, tu viens ? Tu avais quelque chose à me dire non ? »

Je pris un temps avant de réaliser que ce que j'avais vu quelques secondes plus tôt était Lise et ce que j'avais maintenant en face de moi, une pâle copie d'une personne heureuse et sans problème.

Lise revêtant son masque d'idiote un peu timide qu'elle affichait constamment devant ses camarades de classe.

Sauf que ceux qui nous avaient déjà vus sans masque seraient toujours là pour le briser aux yeux des autres et nous rendre faible.

J'accélérai le pas pour revenir à sa hauteur.

« Si tu veux, on fera nos devoirs, comme ça on sera tranquille. Tu pourras m'aider pour mes exos de maths ? J'ai vraiment rien compris. »

Qu'est-ce qu'elle cherchait à faire ? Tout sonnait si creux, si niais... Ça n'avait plus rien à voir avec le visage blessé que j'avais vu juste avant.

Elle était ébranlée, elle n'arrivait pas à remettre son masque, ses doigts s'emmêlaient et le laissaient tomber. Chaque fois qu'il tombait, les fissures continuaient de le réduire en miettes jusqu'à ce que ses doigts n'aient plus qu'à placer sur son visage un amas de poussières.

« Lise, tu te fatigues pour rien.

— Comment est-ce que tu fais, toi, pour constamment afficher un masque même quand tu donnes l'impression de te confier ? »

Je tournai la tête vers elle sans comprendre.

« En réalité, je n'en porte pas. »

Lise tourna la tête vers moi, les yeux écarquillés.

« Un mensonge n'est bon que lorsqu'il est mêlé à la vérité. Me justifiai-je. Je ne l'ai remarqué que récemment. Alors ma peau est mon propre masque, les deux se mélangent pour ne former qu'un seul visage. Le masque que je porte...c'est moi. Et la personne qu'il y a derrière, c'est moi aussi. »

Lise m'écoutait avec attention.

« Je mens comme n'importe qui. La plupart du temps, je n'ai même pas conscience que je mens, c'est devenu une habitude. Une habitude ancrée que je pensais vouloir faire partir. Mais au final, tout ce que ça m'a appris, c'est de porter mon visage comme seul masque. Rien n'a changé si ce n'est que les gens ont l'impression d'avoir une personne authentique en face d'eux alors qu'ils n'ont qu'un pauvre gars qui ne sait pas vraiment qui il est lui-même. Je ne fais plus la différence entre mes mensonges et ma réalité, ils se sont mélangés et bien que je sache le vrai du faux, je suis incapable de différencier ma manière de les aborder. Je ne réagis pas aux mensonges comme la plupart des gens. Lorsque je suis face à des gens avec lesquels je n'ai aucun scrupule à mentir, j'en oublie que je mens et par conséquent, ils gobent tout ce que je raconte. Mais dès que des liens commencent à se créer, tout devient plus dur et je pense constamment à contrôler chacun de mes actes. »

Lise sourit tristement, comme si elle comprenait quelque chose.

Elle avait souvent cette mine comme si je lui donnais des réponses qu'elle avait toujours cherchées.

C'était étrange.

« Excuse-moi. Je parle vraiment trop. »

Les mots m'avaient échappé. Je ne m'excusais pas. Ça m'avait fait du bien mais c'était ce que l'on disait en général pour paraître poli.

Elle releva la tête, brusquée, et fronça les sourcils.

« Tu n'es pas obligé avec moi. Je sais ce que c'est. »

Une nouvelle fois, son masque était tombé et il serait encore plus dur pour elle de le réparer.

« Tu devrais faire la même chose avec moi. Rajoutai-je. Être toi. »

Je ne pus pas voir sa réaction puisqu'elle s'était arrêtée devant un immeuble, ignorant ma remarque.

« C'est là, chez-moi. Mes parents ne seront pas là avant un moment. »

C'était un immeuble miteux et franchement pas très beau à voir. Je ne dis rien de plus et rentrai avec elle.

≈≈≈

« Tu sais ce qui est drôle ? Demanda-t-elle alors que nous montions les escaliers qui nous séparaient de son appartement, l'acensceur était occupé par quelqu'un d'autre et était trop petit pour tous nous accueillir à l'intérieur.

— Drôle ?

— Façon de parler. Répondit-elle en balayant ma remarque d'un geste de la main. C'est que lorsque l'on remarque quelque chose chez-nous c'est en général après que les autres l'aient remarquée.

— Comment ça ?

— Peu importe ce que je fais, le fait que je sois EHP me poursuit. Peu importe les chiffres, les gens se rendent compte un jour ou l'autre que je suis intelligente. Quand on sait quelque chose, il est trop tard pour revenir en arrière, tu ne crois pas ? Parfois il vaut mieux ne pas savoir, non ?

— C'est la même chose avec mes mensonges je suppose... Je sais que je suis un menteur, les autres doivent le savoir depuis bien plus longtemps que moi après tout. Il ne t'a pas fallu longtemps pour le découvrir alors qu'on ne se connait pas depuis si longtemps que ça. »

Lise se tendit à ces mots.

« Je comprends pourquoi tu ne poses qu'une question à la fois. C'est parce que ton interlocuteur sélectionne la question qui l'arrange le plus pour y répondre et laisse passer toutes les autres à la trappe.

— Et c'est exactement ce que je viens de faire. Remarquai-je seulement maintenant. C'est assez ironique, ouais, je sais. »

Je pris une grande inspiration avant de retirer complètement le masque de peau que j'avais à la place de mon moi intérieur. J'avais l'impression d'abaisser ma dernière barrière et d'être aussi faible qu'une feuille qu'un simple coup de vent aurait suffi à perdre.

« Bien que je mentes beaucoup. Même si cela risque de me blesser, je préfère qu'on me dise la vérité. Je veux qu'on soit honnête avec moi. »

Alors c'est ça être soi ?

« Parce que j'ai l'impression qu'inconsciemment, ça me permet de me faire un peu plus confiance. »

C'est vraiment terrifiant.

Il fait froid, sombre et, tout repère, toute limite semble s'abaisser une à une.

Un étrange sentiment indescriptible me prend à la poitrine, ça me réchauffe mais cette chaleur me fait prendre conscience du froid qui m'habite, de ce qu'il me manque et que cet instant, comme tous les autres avant lui, aura une fin.

C'est vraiment terrifiant d'être soi.

Mais mon masque se fissure lorsque Lise est là, je n'y peux rien.

C'est comme ça.

≈≈≈

J'en ai terminé avec mes chapitres d'avance alors c'est le grand suspense de "est-ce qu'il y aura un chapitre la semaine prochaine ou pas ?" Donc bon x) je vous laisse cogiter, en attendant, les paris sont lancés !

L'Art de Mentir ✔Où les histoires vivent. Découvrez maintenant