Chapitre 36

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"Tout ça pour revenir à la problématique initiale : Comment donc pouvais-je connaître l'emplacement voire même l'existence de la réserve des dossiers et surtout, comment fonctionnaient les dossiers internet ? Eh bien, c'est très simple."

"Mes parents, du moins mon père, se sont plains, plains et replains du harcèlement que je subissais jour et nuit. Parce que ça continuait sur les réseaux sociaux, aussi. Alors je ne compte plus le nombre de fois où je suis allée au collège, dans le bureau du proviseur. Sauf que des fois, ce n'était que mes parents qui étaient conviés, sans moi. Alors j'avais tout mon temps pour explorer les couloirs. Je suivais les agents d'entretien de très loin et un jour, j'ai fini dans cette salle."

"Ça paraît un peu tiré par les cheveux mais je t'assure que c'est la vérité."

J'étais resté silencieux très longtemps, seul à écouter son histoire. Je ne savais pas trop quoi en penser. Je ne me rendais pas compte.

"Bref, je vais arrêter de jouer les filles mystérieuses maintenant que tu as été mis au parfum (j'ai pas utilisé cette expression depuis des années XD)"

"Tu fais quoi ? Ça va ? D'ailleurs, pourquoi tu as voulu être aussi direct ? Ça ne te ressemble pas. Tu voulais comprendre tant que ça ?"

"Enfin, on peut pas dire que je vale mieux. Combien de masques as-tu vus jusque-là ? Un bon paquet non ?"

"Enfin bref, t'as pas l'air très présent alors je vais y aller. Bye."

Je restais toujours devant mon téléphone, les mains tremblantes, incapable de répondre.

Non, en fait, je n'en avais pas envie. J'avais peur de répondre. C'était comme si cela briserait quelque chose de bizarre, d'étrange et d'effrayant.

Je ne veux pas savoir ce qu'est cette chose en question. Je ne veux plus rien savoir. Peut-être que j'en sais plus, maintenant. Mais c'était inutile. C'était inutile puisque je ne me rendais pas compte. Lise n'a pas eu de passé difficile, après tout elle était trop jeune pour se rendre compte de quoi que ce soit, elle aussi.

Je me sentais comme la petite Lise de sept ans à qui on avait annoncé la mort de sa mère.

Tout le monde devait pleurer, mais elle, elle savait que quelque chose de triste s'était produit sans en prendre conscience.

Oui, nous nous ressemblions. Nous nous ressemblions beaucoup trop.

Après tout, nous sommes humains.

« William ? S'étonna une voix féminine. C'était donc là que tu te cachais ? Ta mère était vraiment inquiète que tu ne rentres pas à la maison. Tout va bien ? »

Je relevai la tête avant de la rabaisser pour me replonger dans mon téléphone d'un air dédaigneux.

« Je ne peux pas te mentir, je suppose. Un je vais bien ne suffira pas, pas vrai ? Après tout, c'est toi la psy ici. C'est toi qui es censée me comprendre. »

Je me retournai vers Erika, toujours mon téléphone en main.

« Qu'est-ce que tu fais ici ?

— Je pars demain matin, William. Tu as déjà oublié ?

— Ce n'est pas comme si ta vie me concernait. Tu peux bien partir, je m'en fous.

— Ça ne te ressemble pas d'être aussi vulgaire. Sourit-elle en s'asseyant sur l'autre balançoire à côté de moi.

— On dirait bien qu'aujourd'hui, je me ressemble de moins en moins. Ris-je jaune.

— C'était un tic de langage, j'avais oublié que tu étais aussi attentif à ce genre de détails. Sourit-elle doucement. »

C'était sa manière de dire sensible.

« Ta bienveillance me casse les couilles. »

Elle sursauta en tournant la tête vers moi.

Effectivement, je n'avais jamais dit ça. Je n'avais jamais piétiné le respect que je lui portais avec si peu de vergogne.

Mais aujourd'hui, je n'étais pas d'humeur.

« Qu'est-ce qui ne va pas, William ?

— Tout va bien. »

Elle me lâcha du regard quelques instants, fixant l'horizon de ses yeux plus bleus que gris en cette fin de soirée.

« Quand tu étais petit, tu disais toujours cette phrase mot pour mot, sur le même ton, lorsque quelque chose n'allait vraiment pas et que tu étais confus.

— Tu l'as noté dans ton cahier chelou d'expérience ?

— J'ai brûlé ce cahier en question. J'ai arrêté de mêler mes sentiments et mes opinions à mon travail. Depuis toi, j'ai appris de mes erreurs.

— Pourtant tu as fui. »

À l'entente de cette phrase qui s'était échappée de mes lèvres, je sursautai.

« Tu as fui. Répétai-je.

— Je n'ai pas fui. Je me suis éloignée. Je n'en pouvais plus. Mais je culpabilisais d'avoir laissé tant de gens derrière moi alors je suis revenue.

— Tu n'es pas revenue pour moi.

— Non, bien sûr que non, William. Sourit-elle. J'ai une famille que j'aime et qui n'avait plus de nouvelles de moi. Tout est très compliqué et j'espère pouvoir un jour en faire partie entièrement...

— Ce n'était pas une question. La coupai-je. »

Elle me regarda droit dans les yeux, surprise.

« Tu comptes leur dire au revoir, ce soir ?

— Je ne sais pas.

— Tu devrais. »

Elle rit quelques instants dans la fraîcheur agréable des soirs d'été.

Je regardais l'horizon sur ces mots. J'avais l'impression d'avoir repris le contrôle, d'avoir replacé les pièces du puzzle malgré le sentiment de haine grandissant au creux de ma poitrine.

« Maintenant c'est toi qui me donnes des conseils... Ricanna-t-elle. C'est assez ironique comme situation. Mais je devrais surtout t'écouter.

— Est-ce que tu es mariée ? La coupai-je. »

Elle hésita quelques secondes. Elle savait que j'avais quelque chose en tête.

« Non, pas encore. C'est encore compliqué pour sa fille.

— Et Lise Alcype, ça te dit quelque chose ? »

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L'Art de Mentir ✔Où les histoires vivent. Découvrez maintenant