Chapitre 4 : La prison de l'ignorance (Partie 1)

1.2K 180 36
                                    

— Eh, la crotte ! Tu t'es encore faite bastonner aujourd'hui ? cria un garnement en s'adressant à une petite fille.

Un lac de boue, de la colle naturelle, un goût de terre dans la bouche, ainsi qu'un picotement dans les yeux. Ce furent les premières choses qui vinrent à l'esprit d'Iliès, tandis qu'elle se remettait sur ses pieds.

Depuis le temps, elle aurait dû avoir l'habitude, mais il fallait dire qu'en général, ce n'était pas de la boue, mais plutôt de l'herbe qu'elle sentait venir se frotter contre son visage. Il était facile d'appeler quelqu'un « la crotte », après l'avoir jeté dans une flaque d'eau, devenue parfaitement homogène avec la terre. Le tout formait une magnifique couleur marron qui tendait vers l'orange, avec de délicieux relents de fermentation.

La petite fille se frotta les yeux avec sa manche, avant de se rendre compte que cela ne lui était pas plus utile, et décida donc de prendre l'envers de sa tunique pour s'essuyer grossièrement le visage. Elle cracha à plusieurs reprises la terre qu'elle avait dans la bouche, mais le goût ne partait toujours pas et lui donna la nausée.

En relevant la tête, l'enfant aperçut Élien, un garçon légèrement plus vieux qu'elle aux yeux clairs et aux cheveux sombres, chef de sa bande et déjà très robuste, qui lui souriait avec satisfaction. Elle le vit partir en courant, dans un ricanement d'enfant qui lui fit ressentir une infériorité blessante. « Encore une fois... » pensa-t-elle.

Iliès, folle de rage et salie de la tête aux pieds, décida de rentrer à Aqualis, sans avoir fini son travail de la journée dans les champs. L'après-midi était assez avancé, et la chaleur du soleil s'atténuait déjà.

Aqualis, deuxième niveau de la ville dédié aux paysans, était le siège de la distribution de l'eau dans tous les étages de la cité. Il leur suffisait d'appuyer sur deux ou trois leviers, positionnés au centre de la montagne, pour tout contrôler, de l'endroit où allait l'eau, jusqu'au débit qui sortait du tuyau. Les rues qui parcouraient cet étage étaient parsemées de diverses fontaines, incrustées dans la pierre noire de la ville, et toutes gravées du même symbole représentant une vague. Le mince filet d'eau qui sortait de celles-ci était juste assez grand pour abreuver un oiseau, et leur utilité n'avait jamais pu être trouvée, si ce n'était leur côté ornemental.

Iliès était la fille de deux paysans, nommés Cinere, habitant au tournant d'une rue là où se trouvait une fontaine en forme d'oiseau. Il s'agissait d'une banale enfant de sept ans, habillée comme un garçon avec les cheveux coupés très courts. Petite, de maigre constitution, elle avait un teint naturellement pâle malgré une exposition régulière au soleil, ce qui lui donnait un air maladif.

Laid : tel était son visage. De grandes cernes dessinaient le contour de ses yeux sombres. Son nez, très fin, semblait quasi inexistant. Ses petites lèvres minces au rouge éclatant quant à elles, formaient un contraste de couleur avec le reste. C'est ce qu'on lui répétait souvent, et elle y croyait, car le seul miroir qu'elle avait jamais pu avoir était la surface de l'eau, qui était trouble en raison du vent ou des perturbations ayant lieu à sa surface.

À aucun instant elle n'avait su trouver de l'amitié chez les enfants de son âge. Trop différente, trop bizarre, pensait-elle. Peut-être était-ce un manque de joie exprimée dans son regard où s'était installée la tristesse. Mais elle pensait sincèrement que la folie de sa mère en était la cause, elle qui avait décidé de procéder à son changement de sexe depuis sa naissance.

Mon garçon, mon chéri, mon grand, mon amour, mon petit. Et ça n'en finissait jamais, de ces appellations grotesques et inappropriées qu'elle avait dû subir de sa part chaque jour. L'éducation qu'elle avait reçue avait toujours été celle du sexe masculin. En aucune façon elle n'aurait pu deviner le comportement que devait adopter une fille, sa mère constituant un piètre exemple. De plus, Iliès n'avait pas eu assez de temps à s'accorder pour observer et imiter les autres petites filles de son âge depuis qu'elle avait découvert la vérité.

ALTHÆA - T.1 - La Mère des CendresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant