Chapitre 10 : Une affaire de famille

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Hier, papa est mort.

On m'a dit que c'était à cause de la maladie, que c'était une chose fréquente que les gens meurent à cet âge, qu'ils sont plus faibles en vieillissant. D'autres m'ont dit que les Parques savaient depuis longtemps l'heure de sa mort, et qu'il s'en est allé lorsque son fil a été coupé, emmené par Thanatos, la mort en personne, en enfer.

Moi, je crois plutôt que c'est la fatalité, et qu'il n'avait plus rien à faire ici, parce que plus personne n'avait besoin de lui, que le monde n'avait plus besoin de lui.

J'ai bien essayé de le dire à Maria, mais pour une fois, elle n'a pas voulu m'entendre. Elle m'a dit qu'il ne fallait pas plaisanter avec ces choses-là, et est partie en riant. Avec elle, je ne m'étonne plus de rien. Maman, quant à elle, a pleuré. Mais moi, je ne pleurais pas. Je ne savais pas pourquoi il le fallait...

Mythia leva sa plume du papier qui commençait à s'imbiber d'une grande tâche d'encre, puis le déposa au-dessus des autres, entre deux planches de bois dans lesquelles venaient se retrouver tous ses écrits. Elle les remit soigneusement au fond de son armoire. Pendant un instant, son regard se perdit, ne fixant aucun point en particulier. Cette maison paraissait bien vide, soudain. Et il faisait beau. Pourquoi est-ce qu'il faisait beau ? Pour elle, ce temps était bien plus triste que la pluie. La pluie, c'était reposant, ça vous calmait, et ça vous berçait lentement. Mais le soleil, c'était dur, c'était chaud, ça nous frappait sur la tête et accentuait la migraine et la fatigue naissantes. Non, on n'avait vraiment aucune envie de sortir par ce temps.

Mythia finit tout de même par se rendre dans la cour, pieds nus, sa canne à la main. C'était un des rares beaux endroits lorsqu'il y avait du soleil. Le bassin semblait enchanté, et les oiseaux venaient se poser dans les arbres. Il lui sembla que c'était une vision qu'elle avait déjà connue un millier de fois. C'est là qu'elle aperçut Maria. Elle se tenait assise sur un ban, le visage serein, occupée par une lecture qui ne semblait pas représenter beaucoup d'intérêt pour elle. Celle-ci relevait sans arrêt la tête, comme si elle prenait de courtes pauses dans une tâche désagréable. Elle avait à présent treize ans, sa beauté grandissant à vue d'œil, en comparaison de Mythia qui semblait se flétrir un peu plus chaque jour qui passait, en raison de son handicap.

L'aînée s'avança vers elle d'un pas boiteux, puis lui retira lentement le manuscrit qu'elle avait dans les mains avant de le lui arracher complètement.

— Je sais que ce bout de papier n'a aucun intérêt pour toi, lança Mythia avec dédain. Maintenant, je veux que tu m'écoutes.

— Qu'est-ce que j'ai encore fait ? demanda Maria avec un étrange sourire.

— J'ai besoin que tu trouves une source d'intérêt, quelque chose qui n'appartienne qu'à toi, qui te tienne vraiment à cœur. Peut-être un ami pour te tenir compagnie, un lien que tu pourrais cultiver si jamais je venais à disparaître... Est-ce que tu peux faire ça pour moi ?

Mythia n'avait pas pu être plus sérieuse qu'en prononçant ces mots. Maria tourna lentement la tête vers sa sœur.

— Est-ce que tu me le présenteras ? demanda-t-elle, changeant brutalement de sujet.

La question posée n'était pas anonyme, l'implicite qu'elle contenait révélant un nom qui dérangea fortement Mythia. Ce n'était pas la première fois qu'elle demandait à le voir. Etirev. Sa sœur lui avait refusé chaque fois, presque inconsciemment. Peut-être ne voulait-elle simplement pas le partager, ou peut-être essayait-elle de la protéger de quelque chose qu'il y avait chez lui.

— Non, je ne le ferai pas, répondit-elle sèchement.

— Pourquoi ? s'énerva Maria. Qu'a-t-il de si particulier, de si dangereux ? J'ai besoin de le connaître, tu comprends ? Je veux savoir ! Tu ne me l'empêcheras pas !

ALTHÆA - T.1 - La Mère des CendresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant