Chapitre 8 : Le monde des enfers (Partie 1)

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Firaï mourait. Le gouffre était grand jusqu'en enfer, plus grand qu'on ne saurait l'imaginer. Finalement, c'était reposant de savoir que l'on plongeait inexorablement vers sa fin. Enlevée de toute responsabilité, notre vie se résumait à une simple chute dans le vide. Le saurait-elle vraiment quand elle aurait atteint le fond ? Il faisait si noir. Elle ne s'en rendrait peut-être même pas compte.

C'est alors qu'elle repensa à sa vie. Il était peut-être temps, maintenant qu'elle mourait. Avait-elle eu un quelconque intérêt ? Avait-elle profité à l'humanité ? Lui avait-elle été plaisante, ne serait-ce qu'un instant ? Soudain, son cœur se serra, tandis que sa chute s'accélérait. Cette vérité s'imposait comme une évidence. Il est vrai que c'était triste, de savoir que l'on n'avait jamais été rien d'autre qu'un essai raté.

Plus rien. Cette fois, ça y était, se dit-elle. Ses yeux comme son esprit ne broyaient plus que du noir. Bientôt, elle referait sans doute surface, sous la forme d'un spectre sans corps, allant retrouver sa place parmi les autres. Mais avant, elle rencontrerait les dieux infernaux. Elle pourrait enfin connaître leurs visages, et leur sourirait en les voyant, leur dirait qu'il avait été bien inutile de faire vivre une âme pour si peu : pour un brin de respect, et une existence entière de souffrance.

Firaï attendit, patiemment, que quelqu'un vienne la chercher et lui permette de découvrir le monde des enfers. Mais, toujours rien. Lui aurait-on enlevé ça aussi ? Ne méritait-elle même pas l'intérêt que l'on accorde aux morts ?

Soudain, tandis qu'elle se débattait intérieurement pour qu'un quelconque événement survienne en elle, elle sentit une force considérable qui lui écrasa la poitrine, aussi forte que ce feu qui avait brûlé en elle la première fois, et qui la faisait incroyablement souffrir.

« Ce n'est pas normal », songea-t-elle. « Ce n'est pas normal »

Elle souffrait, sans rien pouvoir faire d'autre que de rester immobile et d'attendre.

Essayer de bouger peut-être. Non, ça ne fonctionnait pas. Sentir quelque chose alors. Non, elle ne sentait rien non plus. Entendre. Mais ses oreilles ne semblaient pas répondre plus que cela.

Firaï songea à une chose, totalement absurde, et qui était la seule dont elle était quasiment certaine de ne plus avoir accès : respirer. Elle se concentrait sur ça à présent. Essayer de ressentir la présence de l'air qui s'engouffrait dans ses poumons, puis le faire ressortir par ses narines.

La douleur qui submergeait sa poitrine s'accentua subitement, de plus en plus forte, tandis qu'elle multipliait ses efforts dans l'espoir de simuler une respiration convenable. Ses idées devinrent plus claires, et elle comprit la provenance de sa douleur : elle était encore en vie, et le simple fait de respirer lui était insoutenable.

Plus rien, une fois encore. Voilà le retour du noir. Peut-être était-ce simplement l'affaire de quelques instants avant que sa vie ne s'arrête pour de bon. On dit parfois que la mort est paisible. C'est sûrement le cas, toujours quelques mètres avant de toucher le fond, et avant que ne survienne la véritable douleur. On disait parfois : « il n'a pas souffert ». Firaï n'était pas d'accord, elle qui en avait vécu l'expérience. La dernière douleur physique avant de mourir était la pire qu'elle ait jamais pu ressentir.

***

Le deuxième réveil après la chute. Désormais, Firaï n'avait plus mal, mais elle respirait encore. Celui-ci fut plus brutal, car elle ouvrit les yeux d'un seul coup, ses pupilles rétrécissant à la présence de lumière, qui provenait de flammes tout près d'elle.

Tout lui parut indiscernable au premier regard, tandis qu'elle venait de redresser son dos, comme s'il s'agissait d'une nécessité première. Elle leva progressivement sa main droite devant son visage, ses doigts lui paraissant flous premièrement, tels des asticots qui bougeaient lentement en se tortillant. Quand ils finirent par lui apparaître distinctement, elle regarda tout autour d'elle.

ALTHÆA - T.1 - La Mère des CendresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant