Chapitre 15 : Éloge funèbre (Partie 2)

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Au palais, Stultus n'arrêtait plus de plonger son regard sur les lignes qu'avaient écrites Mythia quelques instants avant de mourir, à moitié effacées par la pluie. Non, impossible ! Il y en avait trop, s'insurgea-t-il. Beaucoup trop ! À travers son désespoir grandissant, sensation nouvelle pour lui, vint s'en rajouter une autre, plus profonde et plus triste : la compassion. Mythia avait choisi de passer les derniers instants de sa vie à communiquer cette information. À présent, c'était à son tour, à lui de reprendre le combat qu'elle avait mené. Mais comment allait-il faire pour lutter contre la sombre vérité qu'apportaient ces quelques mots sur un bout de papier ?

Son regard se posa à nouveau sur les lignes. Ce n'étaient plus de simples phrases qu'il lisait, mais bien la grandeur de la noirceur du néant :

« Ici, les derniers mots que j'écrirai. Alors, peu importe qui tu es, toi qui es en train de lire les pensées d'une morte. Sache que ton existence deviendra un enfer à compter de maintenant, car tu sauras ce que personne n'aura jamais eu le courage d'aller trouver en plusieurs millénaires. Tu sauras pourquoi la ville de Lasiar possède dix étages, et tu sauras ce que signifie chaque symbole apparu sur leur porte le jour où le premier roi entra dans la ville.

Le pacte sera bientôt brisé, et l'un d'entre nous récupérera définitivement ce qu'il a perdu. Tu penses encore qu'Althæa te protégera, qu'elle veille sur chacun de nous depuis toujours ? Alors oublie-la, car lorsque le premier symbole s'activera, puis le deuxième, puis le troisième, tu la prieras. Elle ne viendra pas. Tu entendras les cris, tu verras les larmes. Puis tu la maudiras. Et peut-être bien que, si tu prêtes suffisamment attention, tu la verras apparaître dans le décor, et elle te sourira.

Ceci est pour toi mon cher Stultus. Tu croyais sans doute que dans ma lettre, je ne parlerais que du volcan. Maintenant tu sais que ce n'était que la dernière étape, et qu'avant lui viendra le jugement dernier, triant entre les forts et les faibles, réveillant la bête qui sommeille en chacun d'entre vous. Car lorsque l'instinct de survie se fraiera sa place, l'âme s'effacera, et vos yeux ne verront plus que du noir : le noir de la peur.

Je voudrais pouvoir te dire, très cher Stultus, que je suis désolée. Je ne le suis pas. J'ai accompli la mission que je m'étais donnée sur terre : protéger ma sœur. Je ne peux pas sauver tout le monde, je ne veux pas sauver tout le monde. Alors maintenant, qu'ils sachent, ou qu'ils ne sachent pas. Cette décision t'appartient, à toi qui tiens ce bout de papier entre tes mains. »

Stultus s'arrêta. Il n'eut plus le courage de relire la suite, tant son cœur s'emballait à l'idée de ce qu'il y redécouvrirait. Il lui fallait une autre solution !

En un instant, Stultus réduit en miettes la lettre qu'avait écrite Mythia juste avant de mourir. Ce sentiment naissant, pourquoi devenait-il si grand tout à coup ? Pourquoi venait-il prendre possession de chaque parcelle de son corps ?

Il se laissa tomber au sol, la tête entre les mains, étouffant ses gémissements. Puis, doucement, sur le sol à ses pieds, vint se déposer un morceau de papier déchiré. Seul le dernier bout d'une phrase y était encore visible, ainsi qu'une signature :

« ...car notre salut viendra de l'enfer, et c'est là-bas que je te retrouverai. Mythia. »

De grands yeux écarquillés. Une étincelle, une solution, une voie à prendre...

***

Pendant ce temps, à Aqualis, le roi songeur se remémorait les événement du jour des mémoires. « Cette fille est morte et s'est désintégrée », se rappela Satian. Mais qu'est-ce que ça peut bien vouloir dire ? Le roi s'assit sur le bord du bassin d'Aqualis, pensif, observant son reflet à la surface de l'eau. Ses yeux bleus pétillaient, perdus dans les ombres du passé. Soudain, une question s'échappa du bout de ses lèvres, virant au bleu par le froid de l'hiver :

ALTHÆA - T.1 - La Mère des CendresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant