Chapitre 4 : La prison de l'ignorance (Partie 2)

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Iliès se retourna brusquement, et vit un vieillard qu'elle n'avait pas remarqué auparavant, adossé contre la paroi du bassin. Il semblait très amaigri, signe qu'il n'avait pas dû prendre de repas depuis plusieurs jours, et la vieille loque délavée qui lui servait d'habit traduisait sans aucun doute la pauvreté que l'on retrouvait à Ratias, le quartier des miséreux juste en bas du sien. En s'approchant de lui, elle remarqua l'immense longueur de sa barbe et de ses cheveux blancs tintés de gris de poussière et de suie, qu'il n'avait pas dû avoir l'occasion de couper depuis des années. Son visage était creusé, ce qui semblait encore plus souligner sa maigreur. Noir, sombre, mouillé, désert. Tel était l'endroit dans lequel ils se trouvaient, et la présence du vieil homme ne faisait qu'accentuer cette impression.

Il fit quelques pas vers elle, boitant avec insistance, grimaçant avec un regard qui semblait la transpercer de part en part, mettant son âme à nu.

— N'as-tu jamais entendu l'histoire du roi noyé, petite ? demanda-t-il d'une voix grave et profonde qui avait sur Iliès l'effet d'un tremblement de terre.

Son petit cœur se mit à battre face à la menace qu'il représentait pour elle, s'imaginant déjà finir de la même manière au fond du bassin, poignardée de toute part, colorant l'eau du rouge de son sang. Iliès fit d'abord un pas en arrière. Puis, plus rien. Elle ne bougeait plus. Chaque partie de son corps se tétanisa, incapable d'effectuer le moindre mouvement pour s'enfuir. Les yeux du vieil homme continuèrent de l'étudier.

N'ayant toujours pas retrouvé l'usage de la parole, elle fit un léger mouvement de tête de droite à gauche, celle-ci tournant de la même manière qu'un mécanisme rouillé. Il lui semblait même sentir ce grincement qui leur était propre.

Le vieillard tendit lentement son bras vers elle. Iliès s'apprêta à partir au quart de tour, tremblante. Contre toute attente, tandis que la petite fille tressaillait à l'idée de ce simple contact, il lui fit simplement une tape amicale sur l'épaule, puis la toisa interrogateur.

— Tu as peur de moi, n'est-ce pas ? observa-t-il.

Iliès remua lentement les lèvres. Sous les yeux de la petite fille, son regard s'était attendri, et sa voix s'était faite plus douce. Elle voulut presque se gifler d'avoir eu de telles pensées à son égard. Malgré cela, elle n'avait toujours pas retrouvé son calme. Elle baissa les yeux et laissa aller son regard sur la pierre noire et lisse du sol, où elle remarqua une teinte rouge qui s'écoulait lentement autour de ses pieds. Elle eut un mouvement de recul, repensant à l'histoire qui hantait ces lieux, pensant qu'il pouvait s'agir là de son propre sang. Le vieil homme comprit la provenance de sa frayeur et sourit.

— Ce n'est pas ton sang, petite. Ce n'est que le reste de la terre que tu avais sur toi. Elle avait une couleur tendant vers le rouge.

Iliès releva les yeux vers lui, mais ne dit rien. Elle attendait simplement qu'il continue de parler, l'observant à son tour, lui intimant de raconter son histoire.

— Celui que l'on surnomme aujourd'hui le roi noyé s'appelait Théophile, et il aimait beaucoup le feu, commença le vieil homme. C'est ironique non, lorsqu'on sait qu'il a été noyé dans son élément contraire ? Mais il a finalement réussi à colorer cette eau du même rouge que celui des flammes.

Il s'arrêta un instant pour vérifier son attention. Désormais, ils étaient tous les deux assis au bord du bassin, et se laissaient bercer par cette histoire du passé. Iliès ne se rendit même plus compte qu'elle ne devrait pas être ici, à écouter un inconnu dont elle ignorait les intentions. Peut-être cherchait-elle simplement à contrer ses préjugés, mais elle sentait bien qu'il s'agissait de plus que cela. Elle réfléchit un instant pour savoir de quoi il pouvait bien retourner, de quelle était la raison qui la retenait ici. La vérité s'imposa à elle. Pour la première fois, on ne l'avait pas injuriée, on ne l'avait pas frappée, et, comble de toute chose, on avait fait preuve de gentillesse envers elle.

ALTHÆA - T.1 - La Mère des CendresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant