IRL

50- Complètement seul

Le doigt de Thibault, du poignet vers le bras, suit la trace de sa cicatrice. Celle-ci est vraiment fine, peu voire pas visible. Le tout c'est de la remarquer.

– Quand j'étais petit, j'étais un grand fan de cinéma.

Le récit débute. Dès lors je comprends qu'une contextualisation est nécessaire, il ne se contentera pas simplement de raconter comment il s'est fait cette cicatrice.

– Pour mon neuvième anniversaire... il laisse un temps pour souffler, mon père m'avait demandé ce qui me plairait. Alors, tout bêtement, j'ai répondu que je voulais aller au cinéma, juste tous les deux. Alors, le soir-même, il m'a emmené manger au restaurant avant d'aller voir Wall-E en avant-première.

Un rictus nait au coin de ses lèvres, signe que c'est un bon souvenir. Jusque ici, j'imagine.

– Je me souviens avoir adoré le film. C'était une soirée vraiment cool... En sortant de la séance j'étais surexcité, mon sourire était scotché sur mon visage, je courais partout. Comme un gosse de neuf ans, quoi. Et mon père avait l'air content de m'avoir fait plaisir, ça se voyait.

Alors que ses yeux fixent un point invisible vers le bas, moi, je le regarde toujours et je réalise que c'est la toute première fois qu'il me raconte une anecdote avec son père. Jamais il ne m'en a réellement parlé avant aujourd'hui, et il a l'air ailleurs. On dirait qu'il revit la soirée, qu'il m'a presque complètement oubliée. Je prends soin de ne pas l'interrompre.

– Comme j'étais loin d'être fatigué, continue-t-il, il m'a proposé d'aller à la fête foraine. On n'y est pas restés longtemps en fait, parce qu'il commençait à se faire tard et ma mère nous attendait à la maison. Il a juste eu le temps de me gagner une peluche à un stand de carabine. T'aurais vu comme j'étais content. C'était loin d'être un truc de ouf mais honnêtement je m'en foutais; pour moi tout ce qui comptais c'est que j'avais vu mon père gagner. Je le voyais comme un champion ce soir là.

Maintenant, c'est moi qui souris. Comment m'en empêcher en imaginant la bouille de Thibault à neuf ans, tout heureux de passer une fantastique soirée d'anniversaire?

Le garçon reprend une nouvelle fois une inspiration avant de se relancer dans son récit. Quelque chose me dit que nous arrivons au coeur de l'intrigue.

– Pour rentrer chez nous, il fallait qu'on retourne à notre voiture toujours garée sur le parking du cinéma. J'ai moi-même suggéré à mon père qu'on passe par le chemin au bord du cours d'eau, parce que j'adorais voir les lumières se refléter sur l'eau. C'est con, je sais. Même si ça nous rallongeait un peu la route, papa a dit oui, toujours dans l'optique de me faire plaisir.

Un instant de silence souligne son changement d'état, la crispation de son visage.

– Mais on n'aurait jamais dû passer par là, dit-il froidement.

Mon coeur s'accélère dans ma poitrine. Mille interrogations me submergent.

– Sur notre chemin, des... des bruits étranges ont attiré notre attention. En fait, une femme était en train de se faire agresser.. J'ai à peine eu le temps de voir; mon père m'a écarté pour intervenir. Mais.. j'ai vu qu'elle était seule et surtout qu'elle avait peur. Sur le moment je ne comprenais pas vraiment ce qu'il se passait, j'étais bien trop jeune. J'ai pas compris pourquoi mon père a eu l'air si précipité, et si en colère aussi.

Une sorte de rage semble monter en lui. Ses poings se serrent. La tension est élevée. Mon coeur accélère.

– Alors... il reprend après avoir dégluti. Comme je ne comprenais pas, je me suis approché, bêtement, stupidement. Mon père était en train de maitriser l'agresseur.. jusqu'à ce qu'il me sente derrière lui, se retourne, et perde son avantage. Le mec en a profité pour le frapper... C'est à ce moment que j'ai compris que les choses tournaient mal. Insouciant, naturellement, j'me suis placé devant mon père... et j'ai senti une vive douleur dans le bras, d'un coup, sans que je pige quoi que ce soit. J'avais l'impression d'un foudroiement dans l'avant-bras. Et j'ai crié.