*Chapitre 2*

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Je pense avoir entendu ma mère me crier de revenir, mais pour être honnête, je n'avais aucune envie de faire demi-tour. Pour l'instant, tout ce qui m'importait, c'était de pouvoir être seule pour pleurer la rage que j'éprouvais envers mon père. Pour exprimer ce que je ressentais vis-à-vis de celui pour qui tout ce qui importait était sa petite personne et rien d'autre. Pour crier à la fois mon amour et ma haine contre celle qui prenait toujours sa défense en disant qu'au fond, il n'était pas cette personne cruelle qui m'ignorait chaque jour. Bref, rejoindre ma chambre pour retrouver mon éternelle solitude était tout ce que je demandais pour le moment. Je courais d'ailleurs depuis un bon bout de temps dans ces immenses couloirs vides quand j'aperçus enfin la porte de mon sanctuaire que j'ouvris en vitesse. Intentionnellement, je la claquai du plus fort que je pus pour faire comprendre à tous que je voulais qu'on me laisse tranquille. 

Je me laissai alors lentement glisser au sol, mon dos glissant contre la porte, avant de remonter mes jambes contre ma poitrine et de les enrouler de mes bras. Ma tête baissée, je ne prenais même pas la peine de regarder le mur qui me faisait face, ayant eu l'occasion de l'analyser des centaines et des centaines de fois depuis mon enfance. Je connaissais chaque recoin de ma chambre par cœur, il ayant passé tellement d'heures que j'en avais perdu le compte. Ces quatre murs m'avaient vu pleurer de solitude, de détresse, mais ils m'avaient aussi observé rêvé d'aventures et d'évasions un nombre incalculable de fois. N'ayant jamais eu la permission de pouvoir sortir hors des murs protégeant notre manoir, la seule chose que j'avais pu explorer était notre jardin. Jamais je n'avais pu me rendre lire un livre dans la forêt que je voyais depuis le balcon de ma chambre et encore moins je n'avais pu mettre un pied dans la ville en contrebas dont les sons animés me parvenaient. 

Je détestais tellement mes parents pour m'empêcher de sortir. Mais malheureusement, je ne pouvais rien y faire. 

Ce court moment de solitude, que j'aimais et détestais à la fois, ne dura finalement pas très longtemps puisque j'entendis cogner à la porte. Je décidai alors de garder le silence et d'éviter le moindre mouvement. Je voulais que l'on croit que j'étais en train de dormir. Seulement, la personne de l'autre côté du battant n'était pas dupe et elle toqua à nouveau. Ma patience, qui s'était déjà grandement effritée suite à ma discussion avec mon père, ne tarda pas à rapidement disparaitre. J'explosai donc d'un seul coup et criai :

- Laissez-moi seule ! Je ne veux pas être dérangé pour le moment! 

- Mademoiselle, je vous ai apporté un bon thé pour vous détendre, lui répondit calmement une servante à travers la porte.

- Très bien, soupirai-je à travers la porte. Entre Virgo.

Je me redressai lentement, peu pressée, et ouvrit la porte à une jeune femme aux courts cheveux roses de deux ans mon ainé qui tenait un plateau argenté dans ses mains. Elle était vêtue de la traditionnelle tenue de servante que mon père obligeait à toutes nos employées féminines à porter, soit une robe noire arrivant aux genoux avec un tablier blanc attaché à la taille. Je dus cependant détourner le regard de son visage amaigri qui me faisait mal au cœur. Mais Virgo ne se plaignait jamais de la faim. Car même si mon père lui donnait de quoi se laver et se nourrir deux fois par jour, la servante préférait grandement apporter ses rations à sa famille en ville qui n'avait absolument rien à se mettre dans le ventre. 

La femme aux cheveux roses m'adressa alors un sourire aimable et je reculai de quelques pas pour la laisser passer. Elle fit donc quelques pas dans ma chambre, pas le moins du monde surprise par toutes les riches décorations, pour s'arrêter devant une table en verre où elle y déposa le service à thé.

- Vous devriez arrêter de chercher à prendre notre défense auprès de votre père, mademoiselle, dit Virgo en entrant dans la chambre. Un jour, vous allez lui faire briser tous les meubles du salon si vous continuez ainsi.

- Et ignorer l'état dans lequel se trouve le peuple ? Jamais ! Je ne veux pas être comme mon père. Je ne veux pas me voiler la face sur ce que vous vivez. Mon père joue les aveugles et je ne peux le laisser continuer de maltraiter son peuple de cette façon. La manière dont lui et ses riches amis vous traite est totalement injuste !

- Cela me touche beaucoup, mademoiselle, que notre situation vous tient autant à cœur. Cela me prouve que ce ne sont pas tous les gens fortunés qui sont égocentriques. Mais je sais aussi que vous prenez un risque à chaque fois que vous prenez notre défense... De toute façon, peu importe ce que je dirai, vous continuerez toujours de vous battre pour nos droits. Alors que diriez-vous à la place que l'on poursuive l'histoire que j'ai commencé à vous lire quelques jours plutôt ? me demanda la jeune servante.

- Combien de fois devrai-je vous dire de m'appeler Lucy, lui répondais-je en rigolant. Mais pourquoi tiens-tu tant à me lire une histoire, tu sais très bien que je peux le faire moi-même.

- Je n'ai jamais pu lire d'histoires à mes petits frères et sœur ... Alors je me rattrape avec toi. 

À sa réponse, je ne répondis rien. Il n'y avait tout simplement rien à répondre. Virgo avait vécu tellement de choses que je ne serai jamais en mesure de comprendre. Enfermée entre quatre mus dorée, bien des choses m'échappaient. Mais pour lui montrer que je l'avais bien entendu, je partis m'installer sur l'un des longs divans qui meublait ma chambre. Je nous servis toutes les deux une tasse de thé pendant que Virgo partait choisir un bouquin dans ma bibliothèque. Elle revient ensuite s'installer à mes côtés avec un sourire aux lèvres qui me faisait plaisir à voir. Je ne pouvais peut-être pas faire grand chose pour elle, mais je pouvais au moins la rendre heureuse avec des petites choses de rien du tout. Car parfois, les gestes valent bien plus que tout l'or du monde. 

La servante commença alors à lire les pages ace sa voix douce et je me laissai emporter dans ce monde imaginaire. Je vivais ce que le personnage principal affrontait. Ce n'était plus lui qui défait un dragon de son épée, mais bien moi. Qu'est-ce que j'aurais tout donné pour quitter cette demeure pour ne serait-ce qu'une petite heure. Virgo était bien entendu au courant de mes rêves d'aventures, mais elle était impuissante face à cela. Elle aurait tant aimé cela m'aider comme j'aurais voulu en faire plus avec elle. Car chaparder de temps autre de l'or dans les coffres de mon père pour le lui donner ne l'aidait pas tant que cela. Sa famille était très nombreuse et très pauvre, certes, mais Virgo était aussi généreuse. Elle n'hésitait pas une seule seconde à redistribuer et partager l'argent avec ses voisins et les autres familles dans le besoin. Et même si j'augmentais à chaque fois la quantité de pièces dans la bourse, il en manquait toujours. 

 Mais Virgo n'était pas uniquement la servante qui avait comme travail de s'occuper de moi. Avec le temps, elle était devenue une amie, une confidente, une épaule sur laquelle pleurer. Et elle devait bien être une des seules autres personnes en qui j'avais réellement confiance après Yukino. Elle était toujours la première à venir cogner à ma porte lorsque quelque chose n'allait pas. Elle était présente dans les situations difficiles pour m'aider du mieux qu'elle le pouvait et je savais que je pourrais toujours compter sur elle. Mais Virgo me servait aussi d'informatrice. Puisque je n'avais pas le droit de sortir de chez moi, elle me rapportait donc les événements se déroulant en ville ainsi que des détails sur la condition des villageois. Il s'agissait d'ailleurs du seul avantage que j'avais trouvé à l'augmentation des taxes. Sans cela, jamais Virgo n'aurait commencé à travailler pour ma famille dans le but de ramener de l'argent pour elle et sa famille. Je ne l'aurais donc jamais rencontré il y deux ans de cela.

- Lucy, est-ce que tu m'écoutes ? me demande-t'elle un sourire au coin des lèvres.

- À moitié ... Désolé, j'étais plongé dans mes pensées, lui répondis-je.

- Ce n'est pas grave, j'ai arrêté l'histoire quand j'ai remarqué que tu ne suivais plus. On la reprendra une prochaine fois. Cependant, quelqu'un a cogné à la porte. Je crois que tu devrais aller l'ouvrir. 

Je ne fis que hocher la tête avant de me lever lentement. J'étais si bien allongée confortablement sur mon canapé... Malheureusement, je savais déjà qui se trouvait derrière ma porte. Et même si je n'avais aucune envie de la voir pour le moment, j'ouvris tout de même le battant pour laisser apparaitre ma mère qui patientait calmement de l'autre côté de celui-ci. Je devais cependant avouer que ma colère contre elle ne s'était pas estompée et c'est pour cela que je répondis quelque peu sèchement :

- Qu'est-ce que tu me veux, maman?

Fille de noblesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant