*Chapitre 43*

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Le temps. Le temps représentait, pour moi, l'un des plus étranges mystères de notre monde. Pourquoi est-ce qu'une journée durait-elle vingt-quatre heures et pas plus? Qui avait décidé qu'une minute durerait soixante secondes? Comment s'appelaient ces personnes qui avaient mis en place toutes ses règles concernant la durée d'un moment particulier de notre vie? Comment avaient-ils trouvé toutes ces données compliquées alors que le temps, lui, est libre. Il est libre de s'écouler comme il le souhaite. Une journée peut parfois passer à la vitesse de l'éclair, alors qu'une heure peut nous paraître interminable. Qu'est-ce qui faisait alors en sorte que  tout pouvait changer d'un moment à l'autre? Le temps est, toujours de mon point de vue, quelque chose d'immaîtrisable. Des années peuvent s'écouler sans que l'on ne s'en rendent compte, mais une fois sur notre lit de mort, il nous est facilement possible de croire que la paix ne viendra jamais. Que nous étions condamnés à souffrir pour l'éternité avec l'impression que chaque seconde s'envolait comme si plusieurs décennies passaient entre-temps. 

Voilà donc ce que je vivais en ce moment. Je ne savais plus depuis combien de temps j'étais dans cette pièce, enfermée dans une cellule avec comme seule compagnie la solitude elle-même. J'avais depuis longtemps perdu le fil des jours qui étaient passés depuis mon enfermement. La seule lumière qui rentrait dans ma « nouvelle chambre» était celle qui réussissait à passer entre les espaces des barreaux de la très très petite fenêtre de mon tombeau.

Oui oui, vous avez bien lu, de mon tombeau. Car l'une des principales raisons, qui avait fait en sorte que j'arrête de compter le temps qui passait, était mes nombreux évanouissements. Ceux-ci étaient autant dus à la malnutrition que je subissais qu'aux nombreuses plaies qui couvraient mon corps. 

En effet, mes journées, ou mes nuits, étaient occupées par d'agréables séances de torture où il m'arrivait de perdre connaissance sous la douleur qui m'était infligée. Je frissonnais rien que de repenser à ce que mes tortionnaires me faisaient subir. Je comprenais maintenant ce que mes amis avaient pu endurer lors de leur court séjour dans mon ancienne maison. Et maintenant que je ressentais de la douleur à mes moindres mouvements, je n'avais qu'une seule hâte et il s'agissait que quelqu'un vienne me sortir d'ici. 

Mais, comme on dit, l'espoir fait vivre. Car je n'avais pas entendu un seul bruit qui pourrait s'apparenter à celui d'une bataille. Les seuls sons qui m'étaient parvenus étaient ceux de chevaux hennissants ou bien les voix des paysans qui passaient au-dessus de ma tête. Et pour bien me faire déprimer encore plus, ma cellule se trouvait sous terre, rendant la tâche davantage difficile au soleil de venir éclairer la pièce dans lequel je me trouvais.

Un claquement de clefs dans une serrure me fit péniblement ouvrir les yeux. À mon plus grand malheur, je vis mon bourreau ainsi que deux gardes à l'entrée de ma cellule. Je soupirai de douleur et je devinais que mon tour était venu. Car oui je n'étais pas la seule à être torturée chaque jour. Tous les prisonniers se trouvant dans la prison avaient le droit à la rencontre journalière du fouet contre leur peau. Il m'était donc très difficile de trouver le sommeil malgré ma fatigue plus qu'apparente, les cernes de plus de cinq kilomètres de long sous mes yeux le prouvant, et lorsque je réussissais par miracle à tomber dans les bras de Morphée, mon sommeil était alors peuplé de cauchemars tous plus horribles les uns que les autres et de cris de souffrance à vous briser les cordes vocales.

De plus, j'étais tout simplement dégueulasse. Sur mon corps se trouvaient plusieurs couches de saletés qui ne cessaient de s'accumuler encore plus. Mes cheveux ressemblaient plutôt à plusieurs nœuds entremêlés ensemble et recouverts de poussière. Ils avaient perdu les éclats témoignant de leur santé et je n'osais même plus me passer les mains dedans de peur de me rendre encore plus compte de leur état monstrueux. 

Pour empirer la situation, la grande majorité de mes plaies étaient infectées à cause de l'insalubrité de ma geôle. Il faut dire que les excréments des rats et ceux du précédent occupant ne m'aidait pas à ne pas contracter des maladies rares qui pourraient ensuite entraîner ma mort. 

Concernant la nourriture, je pouvais vous la résumé en deux simples mots : immangeable et périmée. En plus de ne pas avoir bon goût, je ne recevais à manger que tous les deux jours et ma portion était équivalente à celle qui rentrait dans une gamelle pour chat, autrement dit très peu. Il arrivait parfois que je reçoive en accompagnement, un verre d'eau. Dans ces rares occasions celui-ci était de couleur brunâtre avec une odeur nauséabonde. Les quelques fois où j'avais essayé de me nourrir ou de m'hydrater malgré mes blessures, mon système digestif m'avait très bien fait comprendre de ne plus jamais lui faire essayer de digérer cette nourriture immonde en faisant remonter les seules maigres bouchées que j'avais été capable d'avaler.  

Bref, j'étais dans un état misérable. Bouger mon petit doigt me semblait être un effort incommensurable bien trop difficile à effectuer. Chaque parcelle de mon épiderme me faisait souffrir le martyre et je peinais à garder les paupières ouvertes, ma fatigue se faisant de plus en plus ressentir. Je n'étais plus en état de rien faire. Incapable de me relever, incapable de me défendre contre mes geôliers, incapable de me rebeller un minimum, incapable de faire quoi que ce soit tout simplement. 

Mon état me faisait penser à celui d'une poupée de chiffon. Une poupée ne servant qu'à être un misérable jouet. Un simple jouet ayant pour but de distraire un enfant. Enfant qui se faisait ensuite un plaisir de t'abîmer uniquement pour son propre bonheur sans jamais réfléchir à l'apparence misérable qu'aura son joujou par la suite. Malheureusement, le rôle de la poupée de chiffon m'avait injustement été attribué. Je me retrouvais donc à être celle qui se faisait maltraiter par les mains habiles d'un enfant. Enfant maintenant devenu adulte et qui se faisait chaque jour un plaisir d'empirer un peu plus mon corps à chacun de ses coups. Tout comme un gamin, mon tortionnaire se souciait peu de ce qu'allait devenir son jouet, tant que celui-ci le divertissait pendant un moment. Le problème était : Qui allait s'en sortir le mieux entre moi et la poupée? Et entre vous et moi la balance penchait plus vers le vrai jouet et me faisait imaginer le pire pour ma vie.

Fille de noblesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant