Chapitre 1

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À présent, j'ai quinze ans. Et elle n'est jamais revenue, enfin si, mais jamais saine. Pourtant elle m'avait juré ; elle n'a pas tenu sa promesse. Dans sa lettre, elle a mis qu'elle était désolée. J'ai envie de lui répondre «Je sais que tu es désolée, que tu t'es battue jusqu'au bout, mais tu as perdu.» Je ne lui en veux pas. Comment pourrais-je lui en vouloir ? Elle n'a jamais abandonné, elle est allée jusqu'à la fin du combat. Mais je l'aime... Cela fait à, peu près cinq mois qu'elle est partie...Cinq mois de souffrance permanente...

Mes parents n'ont jamais trop réussi à le digérer. C'est peut-être pour ça qu'ils ont divorcé, il y a un peu plus de quatre mois. Je ne sais pas. En tout cas, ma vie a explosé. En mille morceaux. J'essaie au maximum de pas y faire pas attention. D'ailleurs, je ne fais attention à rien. Ça ne sert plus à rien. Je suis seule. Sans personne. Je n'ai pas envie de dire que je vais mal. Je ne suis pas là pour me plaindre. Je vais très bien. J'ai juste du mal à m'en remettre, moi aussi. Margaux allait avoir seize ans ; elle avait à peine un an de plus que moi. Mais c'était ma sœur, mon idole, mon model. On ne s'entendait pas toujours très bien puisque nous...avions, oui c'est ça, au passé maintenant... Nous avions donc des caractères assez opposés. Elle était calme, toujours posée, fourrée avec un bouquin. Elle n'avait pas une vie mouvementée : des amis fidèles, d'assez bonnes notes (c'est ce qu'elle disait, mais, mon Dieu, elle avait des notes plus qu'excellentes), et surtout une imagination débordante. Elle était belle, sauf qu'elle ne le montrait pas. Ses cheveux, toujours attachés, étaient blonds, à moitié roux. Un jour, elle les a coupé. Ça lui allait à merveille. Elle avait des yeux noisettes, légèrement en amande. Voilà, ce n'était pas une fille extraordinaire. Mais elle a laissé un énorme trou derrière elle. Dans sa lettre, elle s'est décrite comme une bombe à retardement : lorsqu'elle exploserait, elle ferait des dégâts. Trop de dégâts. C'est pour cela que personne n'a eu le droit d'aller la voir, les trois derniers mois. Elle voulait provoquer le moins de mal possible. Pas le genre égoïste ma grande sœur...

Comme je l'ai déjà dit, j'ai quinze ans (bientôt seize... si je tiens jusqu'à là). Je n'aime pas ce chiffre quinze. Physiquement, je ressemble à Margaux : j'ai des cheveux blonds, qui m'arrivent en dessous de la taille, des yeux marrons,  quelques tâches de rousseur, un petit nez... Sauf que malheureusement, je me fiche pas mal de mon physique. Je ne sais même plus à quoi je ressemble.Ça fait tellement longtemps que je n'ai pas jeté un coup d'œil à mon miroir. Je ne sais pas pourquoi, mais je n'y arrive plus. C'est devenu trop difficile. Mais je ne le montre pas. Je ne veux pas que mes amis le voient. Mes parents... Même si je leur disais, ils ne comprendraient rien de ce que je raconte. Tous les deux, sont bien riches et complètement heureux : ma mère s'est remariée il a peut-être maintenant deux mois, avec un veuf fortuné, et mon père, en couple avec une journaliste à la télévision, ou un truc comme ça. Je ne reconnais plus mes parents. Ils ont perdu pied, et n'ont pas cherché à remonter à la surface. Apparemment, le monde sous-marin est plus agréable. Je ne comprends pas... Ils n'ont même pas assisté à l'enterrement de Margaux. Ils devaient être trop occupés par les papiers du divorce. Margaux voulait être enterrée. Hors de question d'être incinérée pour elle. Je sais, ce n'est pas très gai tout ça, je vous promets, j'arrête, mais une dernière chose... Elle m'a« donné » plusieurs de ses affaires : un collier que son ancien petit-ami lui avait offert et un livre. Ce livre, c'est elle qui l'a écrit pendant son séjour à l'hôpital. Je n'ai pas encore réussi à le lire. Je n'y arrive pas à m'y résoudre. Je n'ai jamais ouvert plus que la première page. Elle y avait écrit un mot, qui m'a définitivement convaincu que je ne pourrais pas lire davantage. Je le relis souvent, histoire de m'achever un peu plus...

« Aude...

Oui, c'est moi, Margaux... Au moment même où j'ai écrit ce mot, nous sommes le mardi cinq avril 2015. Je suis dans ma chambre,la sept. Ça fait onze jours que je suis partie de la maison... Il fait presque nuit, je suis fatiguée, mais, il faut absolument que je te parle de certaines choses. Ne te mets pas à pleurer Aude. Tu es une grande fille... Non, en fait, pleure si tu veux, je ne peux pas t'en empêcher. Toi comme moi, on sait que lorsque tu liras ce mot,je serai morte. Oui, morte. Je ne te donnerai ce livre que si les choses tournent mal. Alors, en ce moment même où tu lis ce mot, les choses ont mal tourné, et j'en suis terriblement désolée. C'est bizarre de parler à une Aude du futur, mais je n'ai pas besoin de te connaître par cœur pour savoir d'avance que tu seras anéantie... Pas anéantie parce que c'est moi, mais parce que je suis ta sœur... Mais Aude, ça ne change rien. Je t'aime quand même. Je ne sais pas si Papa et Maman t'ont dit. Je ne pense pas. Alors, moi, je vais te dire : il y a quelques mois, on a découvert une grosse saloperie à la place de mon pancréas. Et cette saloperie, c'est un putain de cancer. Je ne peux pas te dire maintenant comment il est arrivé là. On le saura dans quelques jours. Mais tout sera écrit dans les pages suivantes Aude.

Tu sais comme j'aime lire et écrire. Je sais que tu aimes beaucoup lire. Alors je te donne de la lecture. Oui Aude, je t'ai écrit un livre. Non, ce n'est pas un livre de science-fiction comme tu les aimes. Tu voulais savoir la vérité, n'est-ce pas ? Alors, je t'ai écrit la vérité. Oui... Mais prends le temps. Tu n'as que quatorze ans, bientôt quinze je sais, mais tu sais, je ne t'en voudrais pas si tu le lis dans un an, trois, dix ou même pas du tout. Et cette réaction ne serait pas égoïste de ta part. Tu as le droit de ne pas vouloir savoir. Tu as le droit de ne pas vouloir souffrir davantage... Je veux juste te dire que toutes les réponses aux questions que tu te poses, sont à l'intérieur...

Je dois te laisser Aude, je suis fatiguée. Et, je voulais te dire... Je suis désolée de ne pas avoir réussi à gagner. Je te jure que j'ai essayé... C'est à toi que je penserai lorsque le moment sera venu de partir. Oui, toi, ma sœur...

Continue à vivre ta vie Chérie, sois heureuse, et dis toi que moi, je suis là-haut, à m'amuser comme une folle devant le feuilleton de ta vie. Ne te prive pas, ne cherche pas à être triste, sois heureuse ! Ton bonheur fait le mien. Je refuse que tu pleures à cause de moi. À l'idée de te faire souffrir, je m'en veux déjà. Ne fais pas semblant ma Aude, vis, ris, cours, vole et aime ! N'oublie pas « L'espoir fait vivre », tel est ma devise...


Ta bombe à retardement, mais aussi ta sœur qui t'aime,

Margaux.»


Je n'ai jamais réussi à lire la suite, mais j'en ai tellement envie.Ce jour là, le cinq avril 2015, le cancer de Margaux était encore maîtrisé. Il y avait une chance sur dix pour que cela tourne mal. Et bien, en deux semaines, et un foutu scanner, elle est passée d'une chance à neuf chances sur dix. Personne ne s'y était préparé. Bien sûr, elle m'a écrit une lettre avant de mourir, mais, il n'y avait rien d'intéressant. Elle m'a seulement informé de l'existence de ce drôle de carnet, en me précisant d'en prendre soin. Alors, le jour où j'ai ouvert la couverture, j'ai compris pourquoi elle m'avait dit ça : c'est son souvenir, ses mots, sa vie, alors, je me dois d'en prendre soin, puisque c'est tout ce qu'elle m'a laissé... Je ne sais pas si mes parents sont au courant que je possède un lien qui me relit directement avec ma sœur. Mais de toutes façons, qu'est-ce que ça change ? Le résultat est le même. Elle est partie, et j'ai dû rester...

Et moi, j'ai dû rester...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant