Je peux entendre le soupir de soulagement de Tessa d'où je suis. Je suis assise sur le sable fin et fixe l'horizon. Le soleil est à présent bien levé, et nous réchauffe la tête. J'entends des pas. Mon cerveau m'ordonne de courir, mais, cette fois-ci, mes jambes n'obéissent pas. Une partie de moi veut savoir. L'autre veut fuir la vérité, qui risque de faire très mal. Il s'installe à côté de moi. J'entends qu'il parle, mais il n'a pas l'air décidé à le faire. Je sais qu'il attend que je le fasse. Je souffle longuement. Bien sûr que je l'ai reconnu... J'aurais préféré savoir que ce n'était pas lui. Mon cœur se serre.
« Je ne pensais pas que tu étais du genre à te défoncer dès que tu le pouvais, ni à sauter sur la première nana qui s'intéresse à toi. »
Je sens qu'il détourne la tête, et m'observe. Je continue de fixer l'horizon devant moi. J'essaie de perdre mon regard dans les vagues, comme la dernière fois. Sauf que ça ne marche pas.
« Ça me permet d'oublier. » chuchote t-il.
Je meurs d'envie de rire, (même, c'est techniquement pas possible. On ne peut pas mourir de rire, mais par contre, on peut mourir du cancer...), mais ce n'est pas le moment. Pas de mourir, non, de rire. Je sens déjà que je ne vais pas réussir à me contrôler. Je respire. Il ne faut pas que je m'énerve. Je risquerai de dire des choses qui dépassent encore une fois ma pensée. Je suis devenue la spécialiste des crises de nerfs et des colères démesurées. Sauf, je craque. Je me tourne vers lui. Je plante son regard dans le mien.
« Tu te fous de ma gueule là ?! »
Je ne lui laisse pas le temps de répondre. Je continue. Maintenant que j'ai commencé, je ne vais plus pourvoir m'arrêter.
« Oublier quoi ? Qu'elle n'est plus là ? Tu veux l'oublier ? Non mais franchement, elle mérite bien mieux que d'être bien rangée au fond de ton cerveau, pendant que tu baises une autre meuf ! Tu te souviens quand tu m'as pris dans tes bras tellement je pleurais ? Tu te souviens de ce que tu m'as chuchoté à l'oreille « On ne l'oubliera jamais ». Et à peine cinq mois plus tard, je te retrouve dans les bras d'une autre fille, et ton souvenir d'elle qui s'efface. Tu me dégoûtes ! »
J'imagine que les autres se sont tournés vers nous, pour savoir la raison de ma soudaine colère. Je m'en fiche d'eux. Ils ne peuvent pas comprendre, même s'ils jouent pas trop mal le jeu des personnes détruites par la perte d'une amie. Pff, ils ne la connaissaient pas. Je sens mes joues me brûler.
« Aude...
- Quoi ? Ne dis pas le contraire ! Avoue le ! Tu as tourné la page !
- Aude, laisse moi parler...
- Non, tu ne te rends pas compte ! T'imagines comme elle doit être déçue là-haut.
- Ta gueule !! » s'écrit-il, en lançant rageusement une poignée de sable dans l'eau.
J'ai touché dans le mille. À présent, nous sommes tous les deux debout, l'un en face de l'autre. Il respire un bon coup, pour se calmer sans doute, et continue, d'une voix plus calme. Mais comment fait-il pour se contrôler ?
« Aude, je ne veux pas l'oublier, d'ailleurs, je pense que ça sera plus difficile que ça. Je voudrais simplement oublier qu'elle n'est plus là, à côté de moi. »
Il s'approche de moi. Je baisse la tête. J'ai honte de m'être énervée encore une fois, d'avoir pu imaginer quelques secondes qu'il l'avait rayée de sa vie.
« Je l'aimais plus que tout que tu ne peux le croire. Maintenant qu'elle n'est plus là, je n'ai besoin que d'une chose, il murmure à quelques centimètres de moi.
- De quoi ? je demande du bout des lèvres.
- De toi... »
Je reste immobile. Je ne suis pas sûre de comprendre le sens de cette phrase.
« Je ne pense pas que tu sois le lot de consolation, loin de là, tu es une personne qui compte beaucoup pour moi. Je veux continuer à avancer avec toi... Attention, je ne parle pas forcément de sortir avec toi, même si tu es sa sœur, tu es très jolie, intelligente, presque parfaite je dirais même...
- Pourquoi est-ce que tout le monde me voit que comme sa sœur ?
- Je te vois comme tu es Aude, n'en doute pas. Mais c'est toi qui t'es accrochée cette étiquette, personne d'autre...
- Tu viens de me désigner comme sa sœur, donc, je ne suis pas la seule.
- J'ai dit ça pour te faire comprendre que ce n'est pas tu es la sœur de Margaux que je viens vers toi.
- Mouais.»
Sans que je lui ai demandé, il me balance à la figure une triste vérité :
« Écoute, tu as décidé, volontairement ou pas, que tu devais arrêter de vivre, parce qu'elle était partie. Moi pas. Elle aurait voulu qu'on soit heureux, pas qu'on déprime. Aude, elle n'aimerait pas te voir, là, presque anorexique, passant son temps à faire semblant de rire. Je t'entends depuis tout à l'heure... Tu n'es plus la même... Pourquoi est-ce que tu t'interdis de vivre ?! »
Il me prend les mains. Je ne lui enlève pas. Ce contact me rassure. Il me lâche les doigts et saisit mon visage. Mon regard, croise le sien, triste... J'éclate en sanglots. C'est tout ce que je sais faire. Je me réfugie dans ses bras. Il caresse machinalement mes cheveux. Je lui en veux d'avoir pu tourner la page aussi vite. J'aurai aimé être pareille. Être plus forte.
« Avant de partir, elle m'avait dit un truc... Je ne sais pas comment elle faisait pour réussir à aligner des mots. Elle m'avait pris la main et m'avait dit d'une voix posée alors je luttais pour ne pas fondre en larmes : « Théo, promets-moi d'être heureux. Promets-moi de trouver une autre petite copine, bien mieux que moi. Jure moi, que tu vielleras sur Aude. Je t'en supplie, elle est trop jeune, trop innocente pour souffrir autant que ça... Je l'aime tellement...Tu lui diras hein... Tu lui diras que j'ai été fière d'être sa sœur...»
Je m'accroche à son cou encore plus fort. Elle a toujours pensé à moi. Elle n'a jamais cessé de vouloir me protéger. Nous restons un moment, enlacés l'un à l'autre. Il me laisse pleurer dans ses bras, ne cherche pas à me calmer. Quand je relève la tête, j'aperçois quelques larmes qui perlent au coin de ses yeux. Je les essuie, pendant qu'il m'attire plus près de lui. Je ressens une vague de chaleur, lorsque mon corps se colle au sien. J'imagine que lui aussi, car, on s'éloigne soudainement. « Ne pas faire de bêtises » je pense dans ma tête.
« Non, mais pour qui tu te prends ?!» m'assène une voix, en me bousculant.
Moi qui tenais déjà à peine sur mes jambes. Je tombe à la renverse. Devant moi, Tessa, s'accroche au bras de Théo. Il se dégage et m'aide à me relever. J'ai du mal à rester debout. Il jette un regard noir à sa copine. Elle commence à sérieusement s'énerver. J'ai bien peur qu'il se prenne une tarte, mais pour toutes défenses, Théo murmure :
« C'est la sœur de Margaux... »
Ces quelques mots ont l'effet d'une bombe. Tessa me regarde, avec de grands yeux. Bien sûr qu'elle ne s'y attendait pas. Sa colère retombe d'un coup. Je lâche Théo. Il ne me retient pas. Je les laisse tous les deux, avec les problèmes de couple. Et quel couple !
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Et moi, j'ai dû rester...
Teen FictionOn n'a pas tous la chance de survivre. Ce n'est pas parce qu'on ne veut pas, loin de là. Margaux est partie, et Aude a dû rester. Mais comment faire pour vivre sans sa sœur chérie ? Aude n'a jamais demandé de rester. Sauf qu'elle n'a pas eu le choi...