Chapitre 10

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Je rassemble mes affaires. Je vais rentrer. Le moral bas, je refais le chemin inverse. Ce message m'a complètement déboussolée... Margaux me manque. Théo me l'a bien rappelé... Mais elle est partie... Définitivement... Je m'en veux. Oui, terriblement. J'aurai pu la sauver. Si seulement je pouvais revenir en arrière. Je rattraperai mes erreurs. Je ferai tout pour que ce soit moi qui soit malade, et non pas elle.

Dans le jardin, mes deux-frères et mon beau-père jouent au foot. Ma mère fait l'arbitre. Je les regarde de loin. Ils ont l'air tellement heureux. Une belle famille. Avant, nous étions comme ça nous aussi. Sauf que tout a volé en éclat (je sais que vous savez). Tout ce qui restait de ma famille a fini par s'envoler avec le temps. J'aurai pu mettre toute ma détermination à essayer de nous rassembler, ça n'aurait rien changé. Margaux nous en voudrait si elle savait comment les choses ont évolué... Je continue d'avancer, mais au fond, je n'ai pas tellement ma place au sein de cette famille. Je suis qu'une figurante, qui assiste à la reconstruction de sa mère. Ils finissent par m'apercevoir. Je souris, je fais bonne figure. Je pourrai courir dans les bras de ma mère, en lui disant que Théo m'a reparlé. Toute de suite, son sourire de cruche s'effacerait. Elle me prendrait contre sa poitrine, me soufflerait à l'oreille que je dois être forte et qu'elle est derrière moi. Mais je ne peux pas lui faire ça. Elle ne mérite pas de revenir sur terre. Ce serait beaucoup trop égoïste de ma part de la faire tomber de son petit nuage. Elle a de la chance de voir la vie en rose, alors pas la peine que je vienne lui noircir avec la réalité.

« Alors ma puce, c'était bien ? me demande ma mère, en me souriant.

- Super, on a bien rigolé, je mens.

- Je suis content que tu t'entendes bien avec elle. » commente mon beau-père avec sa gentillesse hypocrite habituelle.

Elika est la fille d'un de ses amis. Je ne m'entends pas du tout avec elle. Je la déteste. Enfin, elle m'aime bien, mais c'est loin d'être réciproque. Pourquoi ? Je ne sais pas. Quand je l'ai vue, j'ai décidé que je n'allais pas l'aimer. Elle ressemble trop à ce que j'étais avant.

« Tu veux bien m'aider à cuisiner, me propose ma mère.

- Si tu veux.» je réponds.

Ah, elle se souvient que j'aime bien cuisiner. Enfin, que j'aimais bien. Je ne peux pas dire que ma mère ne fait pas d'efforts pour renouer des liens avec moi. Bien au contraire. Sauf que c'est tellement tendu, il y a tellement de choses qui se sont passées entre nous, que c'est quasi impossible. Avant le soir, on préparait le repas ensemble, et Margaux et mon père nous attribuaient des notes. Nous faisons des concours de desserts. Je les gagnais presqu'à chaque fois. Je déteste perde. Que de souvenirs. Mais, depuis, j'évite car ça me rappelle trop de choses, et ça en devient douloureux. Mais si j'avais refusé, ma mère n'aurait pas compris, et m'aurait posé pleins de questions du style : « Tu as tes règles ? » « Tu t'es disputée avec quelqu'un ? » « J'ai dit quelque chose de mal ? » Non Maman, c'est juste que je suis tellement dépressive que tu ne t'en rends même plus compte. Tu as recommencé ta vie à zéro, en me laissant seule avec le fantôme de ma sœur qui me hante. Sinon, tout va bien Maman...

Je monte dans ma chambre déposer mon sac, et enlever mes sandales. Je redescends. Dans la cuisine, ma mère a déjà ouvert un livre de recettes. Je sens que ça va être long... Très long. Elle tourne la tête vers moi.

« Ce haut te va vraiment bien ! s'exclame t-elle, en m'admirant. Tu l'as acheté où ? »

Je la regarde, incrédule. Elle est sérieuse là !

« Il était à Margaux. »

Une bombe vient d'exploser en plein milieu de la cuisine. Ma mère semble avoir pris un mur en pleine figure. Je pourrais presque voir des images de Margaux défiler dans ses yeux. Elle me fixe à nouveau, les larmes aux yeux.

« Tu sais, murmure t-elle d'une petite voix hésitante, quand je te regarde, j'ai l'impression de voir ta sœur... »

Elle s'arrête, déglutit, et reprend.

« Tu lui ressembles tellement. Je te vois grandir Aude, sans trop savoir comment faire pour te protéger... J'ai l'impression que c'est toi qui nous protège. C'est toi qui a subit le divorce, un mariage, c'est toi aussi qui a maintenant trois demis-frères, et une demie-soeur. Je ne sais pas quoi te dire... »

Un appel retentit. C'est mon beau-père crie à ma mère de les rejoindre. Elle se précipite dehors, comme si elle était contente de fuir la conversation. Les garçons doivent être en train de faire des penaltys. Je sens la colère me monter. Pour une fois que ma mère me parlait de ma sœur, il a fallu que cet égoïste appelle ma mère. C'est limite si je l'accuserai de le faire exprès ! Je cours dans ma chambre, avant que je n'explose en plein milieu de la cuisine. Au passage, je fais tomber des livres des étagères, je reverse ce que je peux casser. J'en ai marre ! Je sais qu'ils ne me diront rien. Je leur fais trop pitié. Je suis la petite Aude qui a perdu sa sœur, et qui a du subir le divorce de ses parents. Une vague d'impuissance me submerge. J'ai vraiment tout louper... Ma vie m'a littéralement filé entre les mains. Une fois dans ma chambre, je me jette sur mon lit, et me mets à pleurer en tapant de toutes mes forces sur mon oreiller. Je lâche tout. J'abandonne. Tous mes remords, mes regrets, tout, tout sort d'un coup. Sans que je ne puisse rien retenir. Je suis à la mercis de moi-même. Si seulement Margaux était encore là... Tout, tout serait différent. Je ne serai plus seule. On serait deux à subir les caprices de mes parents. Elle me regarderait dans les yeux, plongerait son regard dans le mien et me dirait :

« Aude, tu es plus forte que tout ça !

Non Margaux, sans toi je ne suis rien sans toi... J'ai besoin de toi.

Non, tu as besoin de savoir que je suis avec toi, que je te soutiens. Et bien Aude, je te le dis maintenant, je suis de ton côté. Ne te laisse pas abattre, la vie n'est pas simple, mais elle est encore plus dur quand on la laisse défiler sous ses yeux. Agis Aude, ça ne sert à rien de se morfondre sur son sort ! »

Je souris. Oui, elle me dirait ça. Je l'imagine assise en face de moi, en train de me consoler. Elle sécherait mes larmes, et me fâcherait sans vraiment être en colère. Elle avait horreur que je pleure. Elle n'aimait pas les gens qui pleuraient. À chaque fois, elle me disait que j'avais de la chance, qu'il y avait pire comme situation, alors, que ça ne servait à rien de s'apitoyer sur soi. Encore plus quand elle est tombée malade. Je sais bien qu'elle aussi pleurait, mais en cachette, pas devant nous. Pour rien au monde, elle aurait voulu nous inquiéter. Non, elle faisait passer sa fierté avant, et dans ces cas là, ce n'est pas forcément péjoratif. Elle nous protéger à sa manière. Bon, quand elle a commencé à être trop faible, les rôles se sont inversés. J'ai essayé de lui donner le maximum de bonheur, en lui mentant, lui disant que la vie était belle. Elle n'avait plus assez d'énergie pour voir que je racontais n'importe quoi. Elle écoutait ce que je lui baratinais. Je voyais bien qu'elle s'y raccrochait. Tant mieux. Et moi je me perdais dans cette vie irréelle. Quand je sortais de sa chambre, la vérité me sautait dessus, et me rappelait que les rêves restent juste des rêves. Je n'ai pas tellement vécu pendant cette période. Mes parents n'ont plus. Je ne sais pas s'ils s'aimaient toujours. Je pense, en fait, j'espère que oui. Mais bon, ça n'a pas duré...

Et moi, j'ai dû rester...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant