Chapitre 46

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Théo sert ma main comme pour m'inciter à revenir dans le monde des vivants. Je ne réagis pas. Je ne devrai pas lui parler : il a trahi Margaux, il ne l'aimait pas comme elle le pensait. Commenta-t-il pu la faire souffrir comme ça ? Peut-être qu'en fait il avait raison lorsqu'il a dit qu'elle est morte un peu à cause de lui...

«Tu te rends compte que tu t'es servi de ma sœur ?

- Aude... »

Théo soupire. Je pourrai presque penser que je commence à l'énerver avec mes questions, et mes accusations, mais en même temps, lui seul peut me dire ce qui s'est réellement passé. Il a été le dernier à voir Margaux en vie. Ça me paraît important.

«Quoi, c'est vrai non ?

- Je ne dirais pas que je me suis servi d'elle. Je dirai plus que nous nous sommes soutenus mutuellement.

- Tu lui as fait du mal.»

Je dis ça platement, puisque ce n'est ni une question, ni une affirmation ; c'est un fait.

« Elle ne m'aimait pas Aude. C'est Maxence qu'elle aimait.

- Elle a écrit qu'elle t'aimait !

- Peut-être qu'elle pensait m'aimer, mais, elle n'a jamais ressenti plus que de l'amitié pour moi.

- Tu mens. Ce n'est pas ce qu'elle a écrit.

- Tu n'es qu'au début.

- Ça change quoi au juste ?

- Aude... S'il te plaît, essaie de comprendre... 

- Que veux-tu que je comprenne ? Je sais pas si t'a remarqué, mais je pue encore l'alcool à plein nez donc je n'ai pas toutes mes capacités cérébrales. 

- On n'a pas couché ensemble parce qu'on en avait fiévreusement envie !»

Il a haussé le ton pour la première fois. Je suis presque soulagée de le voir se mettre en colère. Enfin quelqu'un qui ressent quelque chose après la perte d'un proche ! Enfin quelqu'un qui prouve que je ne suis pas la seule à souffrir !

«Peut-être un peu, sinon, ça aurait été du gaspillage. Mais, on l'a fait parce qu'on savait tous les deux que bientôt on serait trop faible pour bouger le petit doigt.»

Je ne comprends pas tellement pourquoi il me dit ça, mais automatiquement, je hausse le ton de plus en plus fort, ce qui ne semble pas le faire réagir. Margaux franchement, tes histoires de garçons commencent à me faire sérieusement chier... 

«Pourquoi elle a aussi mal réagi quand vous vous êtes fâchés alors?

- Elle avait quitté Maxence, et t'avait interdit de venir dans la voir. Il ne lui restait plus que moi. Jamais elle ne m'a aimé.

- Alors, tu peux me dire à quoi vous a servi de flirte débile ? Hein, à quoi il vous a servi ? Vous vous êtes fait du mal, alors que vous cherchiez juste à survivre.

- C'est justement parce qu'on cherchait à survire qu'on a eu ce flirte débile comme tu le dis, souffle t-il à nouveau calme.

- Je ne comprends pas. »

Il ne répond pas. Voilà, j'ai toujours eu le droit à ça : un silence. Je déteste le silence, il cache bien trop de choses. Maintenant c'est fini, je veux qu'on me dise tout. Tout. 

«Bah explique moi Théo ! » je m'énerve.

Il me jette un regard noir. Le premier depuis la soirée. Et sûrement pas le dernier, j'en ai bien peur... 

«Tu ne parles que d'ta sœur depuis le début, mais, tu ne penses pas à mon histoire à moi.

- Où tu veux en venir au juste?

- Moi aussi j'allais mourir. Moi aussi j'avais besoin de quelqu'un à qui me raccrocher.»

Je ne sais pas où va nous mener cette discussion, mais je décide de me calmer pour la rendre plus simple. Voyant que je dis rien, il se lance dans son récit à lui, son combat.

«Quand je suis entré dans le service, on ne donnait pas cher de ma peau. Le premier diagnostic disait clairement que j'allais mourir. On ne me laissait aucune chance. Et jusqu'à la fin de mon hospitalisation, personne n'osait penser que j'allais m'en sortir de peur de me voir disparaître dans la minute. Mon existence dans cet hôpital pourri a été ravivée par l'arrivée d'une jeune fille, ta sœur donc, pleine d'énergie et toute souriante, lors de ma septième cure. Je ne savais pas comment elle s'appelait mais je l'enviais, elle et c'est quelques cures insignifiantes, qui n'avaient rien n'avoir avec les miennes. Et puis, contre toutes attentes, j'ai vu qu'elle restait. Son sourire disparaissait chaque jour un peu plus. J'ai compris que j'allais encore la croiser un petit moment.  Les infirmières nous poussaient tous les deux à faire connaissance, car on était les plus vieux du service. Sauf que j'étais bien trop fatigué pour entreprendre une aventure sociale et elle paraissait bien trop déprimée. Plus tard, j'ai appris que tu lui manquais trop et donc, elle préférait rester enfermer dans sa chambre t'écrivant, balançant toute son énergie dans ce stupide carnet. Quand on a enfin réussi à parler, elle m'a raconté sa petite vie. Je dirais même sa belle petite vie. À côté, moi je me sentais bien minable. Ça faisait déjà un an que je n'avais plus de vie, à proprement parlé. J'ai vu en Margaux une formidable joie de vivre extraordinaire. Quand je n'allais pas bien et malgré la réticence des infirmières, elle traînait sa perfusion derrière elle pour venir s'asseoir dans ma chambre à côté de moi. Je lui demandais à chaque fois de me raconter des histoires. Avec un sourire, elle fermait les yeux et inventait une histoire à mon attention pour que je m'endorme, ou en tous cas, que je pense à autre chose que la douleur. Notre histoire s'est terminée quand j'ai changé de service car on croyait que ma fin allait venir. Sauf, que c'est celle de Margaux qui est arrivée en première. »

Je ferme les yeux. Je n'arrive pas à digérer toutes les informations qu'il me balance là. C'est trop pour moi, mais apparemment pas assez pour Théo. Avec sa voix craquelée et remplie de sanglots, il termine de nous achever.

«Tu sais, elle a étonné tout le monde lorsqu'on a eu les résultats de ce fameux scanner. On s'attendait à tout... sauf à ça. Les médecins, qui voyaient ta sœur comme une simple malade passagère, voire presque une convalescente, ont commencé à la regarder comme une potentielle mourante. Margaux rigolait en disant que c'était une fille pleine de surprises, mais, le soir, les infirmières étaient obligées de lui donner un calment pour qu'elle arrête de pleurer et qu'elle puisse dormir. »

Je respire bruyamment. Je ne sais pas comment prendre tout ça. Mieux vau-il que je pleure ou que je pète un câble ? Aucune des deux solutions ne me paraissaient à la hauteur de ma douleur.

«Je suis désolé Aude, je n'aurais pas dû te dire tout ça...

- Non non, ça va, juste... je ne m'y attendais pas. »

«Bien sûr que tu ne t'y attendais pas Aude, mais de toutes façons,personne ne pouvait prévoir tout ça. Maintenant, respire un bon coup, et relève la tête. Je sais que tu peux le faire, parce que tu es forte et courageuse. »

Margaux a raison. Il faut que je me calme pour ne pas succomber moi aussi à tout ça. Je rêverai de pouvoir me laisser glisser dans cet état de dépression qui me colle à la peau depuis sa mort, mais, j'y ai toujours résister. Ce n'est pas le moment de laisser tomber. Margaux a perdu son combat, ce n'est pas une raison pour abandonner le mien.

Et moi, j'ai dû rester...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant