Chapitre 2

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J'ai décidé de lire son histoire. Enfin, de commencer petit à petit. Je l'ai caché sous mon matelas pour éviter que ma mère tombe dessus. Ou alors parce que sa seule vision me fait pleurer. Et même sans le voir, je pleure. Il faudra que je fasse des recherches sur les pleurs. Comment est-ce qu'autant de larmes peuvent sortir de notre corps en si peu de temps ? N'est pas dangereux de trop pleurer ? On ne risque pas de se déshydrater ?

La couverture est crème, avec des dorures en relief. Simple, sobre, élégant. Tout Margaux. Je le caresse. J'ai l'impression de toucher sa peau. Je frissonne. Voilà, je commence déjà à reculer. J'ai tendance à être un peu trop trouillarde. Un défaut que j'ai acquis avec la douleur. Je n'y arriverai jamais si je ne prends pas en main quelques heures. Rien que quelques heures. Allez, au pire, qu'est-ce que je risque maintenant qu'il ne me reste plus grand chose ? Je l'ouvre. Le mot à l'encre bleu marine, qui m'est bien connu, m'accueille, peu chaleureusement. Je tourne rapidement la page, en prenant soin de ne pas la déchirer.

P°1 : Bonjour Aude, je vois que tu t'es décidée à lire mon livre. Je suis fière de toi ma sœur.

Bon, le courage ne veut définitivement de moi. Si seulement je pouvais être un cœur de pierre. Les larmes coulent déjà de mes yeux, rien qu'en lisant le premier. «bonjour», ce n'est pas spécialement triste... Non, ce qui me fait pleurer, c'est le fait que ce soit d'elle. Que ce mot soit écrit de sa main et que je ne puisse pas l'entendre de sa bouche, que je sois obligée de me remémorer sa douce voix. J'aimerai tellement entendre à nouveau sa voix rassurante...

Je sais que ça ne va pas être simple pour toi. Alors, je vais te demander de te rendre à la dernière page (quand je pense qu'au moment où j'écris ce mot, je suis toujours au début de mon carnet... je ne sais donc même pas s'il y aura une fin...) mais oui Aude, à la dernière page. Je veux que tu en finisses avec ce moment douloureux que tu dois tellement redouter. Vas-y Aude, ça ne peut que t'aider...

J'hésite. Mais non, même si elle me le demande, je ne le fais pas, pour la simple raison que je ne suis pas encore prête, qu'il y a encore trop de questions sans réponses. Je reprends donc ma lecture sans l'ombre de culpabilité. Après tout, je sais déjà qu'elle morte, donc, ça ne change pas grand chose si ? Bien sûr que si ça change quelque chose... comme le fait que dans... 128 pages, je saurais tout, tout ce qui s'est passé, et pourquoi ma vie ressemble à ça actuellement. Bon, faut pas que je me dise ça, sinon, je vais m'enfuir en courant le plus loin possible de ce foutu carnet. Allez, on se reprend.
Je te connais : tu n'y seras pas a
llée.Très bien, je peux comprendre. Mais tu vas continuer de souffrir Aude. Mais ne t'inquiète pas, je ne t'en veux pas. Dans ce livre,j'ai tout écrit. De mes doutes, à mes joies, en passant par mes peines, bref ce sera comme un journal intime, sauf que toi, tu as le droit de le lire ! Alors, Aude, prépare toi au grand voyage au sein de mes pensées...

Bonne lecture ma-sœur-chérie-que-j'aime-de-tout-mon-cœur, et surtout n'oublie pas, « l'espoir fait vivre »...

La page droite, est noircie d'encre bleue. J'hésite. Il ne faut pas douter dans la vie, alors je fonce, tête baissée dans le passé.

P°2 : Tu as continué Aude. Bravo mon cœur ! Tu as de quoi être fière! Oui, tout le monde ne l'aurait pas fait. Malgré tout ce que tu peux dire, tu es une personne tellement courageuse. As-tu pleuré quand je suis partie à l'hôpital ? Non pour surtout ne pas me faire de peine, je le sais petite sœur. Tu as pris sur toi, comme toujours.

Je sais aussi que tu te caches juste sous tes airs de fille populaire. Oui, on se prenait parfois la tête, souvent même, parce que tu me saoulais avec tes manières de nana aimée de tout le monde. Bien sûr, j'étais jalouse, mais je crois qu'au fond, je ne t'enviais pas. Avoue le, tu commences à en avoir marre de recevoir tout le temps des messages de personnes que tu n'aimes pas, avoue, ça te lasse toutes ces soirées où tu es invitée. Tu n'as pas besoin de me répondre, je le sais déjà tout ça Aude. Et ce n'est qu'à l'hôpital que j'ai compris que cette popularité est ta carapace. C'est un peu bizarre,je te l'accorde, mais c'est en étant loin de toi, que je t'ai comprise.

Tu dois te demander si je lis tes petits mots. La réponse est : bien sûr que je le fais ! Je trouve ça bien mieux qu'un vulgaire message, et de toutes façons, on n'a pas le droit au portable dans mon service, enfin, sinon, sauf si on va dans une salle spéciale prévue pour. Je me doute que Papa et Maman te demandent de ne pas écrire n'importe quoi, d'être positive et rassurante, mais, ça fait quand même du bien d'avoir des nouvelles du monde extérieur. Une fois qu'ils sont lus, je les range dans la boîte que Mamie nous avait rapportée de son voyage en Inde. Je ne sais pas si tu t'en rappelles, mais la mienne est verte avec des motifs bleus. Et bien, à l'intérieur, tu y trouveras tout ce que tu faisais passer par Maman et Papa. Tu me manques, tu sais ! Tes sourires, ton rire, ta façon de vivre. Je sais que tu vas changer. Et puis, ça ne fait que douze jours que je suis ici, et même si cela me paraît être une éternité,au fond, je sais que c'est peu... Dans mon service, certains enfants sont là depuis des mois, sans avoir eu une seule visite de leurs parents : ça doit être terriblement dur à supporter pour eux.

Tu sais, je me doute qu'au moment même où tu liras ce mot (c'est définitif, j'aime bien cette expression), tu auras changé. Bien sûr je ne parle pas dans le sens de grandir. J'espère pour toi que tu auras grandis d'ailleurs (en taille) ! Non je parle de mentalement. Tu auras subi un choc que peu de personnes peuvent comprendre, mais tu resteras toujours la même pour moi.

Bref, cette introduction est beaucoup trop longue ! Je vais te parler de ma vie à moi. Dans ma chambre, la numéro sept, je suis toute seule. Je n'ai aucune personne avec moi. Tant mieux, je n'aurai pas aimé. Sauf si c'était toi Aude, mais tu n'es pas là, alors, je préfère être seule, pour pouvoir t'écrire en paix. Cette chambre est terriblement moche : j'aime bien les couleurs claires, mais là, du blanc sur tous les murs ! Beurk ! J'ai une aiguille dans mon bras qui est relié à un goutte à goutte (c'est pour le traitement)Ne t'inquiète pas, ça ne me fais pas mal. Je t'en parle maintenant, comme ça, je sais que, toi qui as horreur des aiguilles, tu ne seras pas surprise si j'en parle. Et donc, à côté de mon lit,il y a ce qu'on appelle un goutte à goutte. C'est lui qui s'occupe de ma chimio : il fait tomber goutte par goutte ce truc. Ouais, j'aime pas ce mot : chimio. Je devrais dire chimiothérapie, mais c'est long et encore plus moche. Alors, je dis «ce truc ». Tu sais, ce truc qui fera tomber mes cheveux, mes cils, mes sourcils. Bon, de toutes façons, j'ai rasé mes cheveux pour ne pas les voir tomber. Je sais que tu ne voulais pas que je le fasse, mais, voilà, je pense que je n'aurai pas supporté de les perdre petit à petit. Remarque, je trouve que ça me va bien le crâne rasé. Comme dit un garçon dans mon service « De toutes façons, tu pourrais porter un sac poubelle, je te trouverai toujours magnifique ». Tu penses qu'il a raison ? En tous cas, je trouve ça trop mignon. Lui aussi est chauve, mais mazette, qu'est-ce qu'il est beau Aude ! Il a des yeux d'un bleu ! Bleu comme ton sac ! Oui comme ça ! Je crois qu'il s'appelle Théo. C'est un joli prénom,Théo, non ? En tous cas, il est hyper sympa. Je sens qu'on va biens'entendre et tant mieux. Ça me fera un peu de compagnie. Bon, il ne te remplacera pas non plus, mais un pote qui sait ce que tu vis, ça peut être utile. Bon, voilà ma petite Aude. Je suis très fatiguée à cause du truc. Toute mon énergie, adios ! Donc, je suis extrêmement fatiguée, et malheureusement, je suis bien consciente que c'est que le début. Mais, je gagnerai Aude, je te le promets !Sur ce, bonne nuit mon cœur, dors bien même si en ce moment même on est en plein milieu de la journée, je te souhaite une très bonne nuit, où tu feras pleins de beaux rêves ! Je t'aime Aude ! Et n'oublie pas que l'espoir fait vivre.

Et moi, j'ai dû rester...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant