Chapitre 8

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Je traverse le jardin. Enfin, ce champs qui nous sert de jardin. Il débouche sur un joli ruisseau. Je le longe. J'aime bien sortir dehors, pour être en contact avec la nature. Je m'y sens mieux, non pas parce que je suis à fond nature, écolo, tout ça, non simplement car j'y suis seule. Personne ne me juge, personne ne cherche à comprendre ce que je ressens, donc pas de sous-entendus et pas de pitié dans les regards. Ici, on me traite comme je le mérite. Je finis par trouver mon petit coin. C'est un endroit où la berge est un peu plus large. Je pose mon sac sur l'herbe bien verte. L'eau m'appelle depuis le lit du ruisseau. Je me dépêche de me déshabiller et d'enfiler mon maillot de bain. J'ai le cœur qui bat, de peur d'être surprise, nue dans la forêt. Mais il n'y a aucun signe de vie humaine. Tant mieux. J'entre doucement dans l'eau. Elle est tiède. Le niveau n'est pas très haut : il m'arrive juste en-dessous des genoux. Ça me suffit. J'aperçois un gros rocher. Je vais m'y poser. Le soleil filtre à travers les branches des arbres, si bien que la température insoutenable devient vivable. Je laisse l'eau venir clapoter contre mes jambes, pendant que j'écoute, les yeux fermés, le bruit de la nature. Je ne suis pas ni une fan de la nature, ni une écologiste engagée, seulement, je la respecte et la remercie de m'offrir un refuge lorsque j'en ai besoin. Malgré ça, je finis par me lasser de ne rien faire. En jetant un regard circulaire aux environs, je remarque qu'il n'y a pas grand chose à faire. Alors, je me lève, et me mets à remonter le courant, pieds nus. Je glisse sur les petits cailloux, qui n'arrivent malheureusement pas à me faire tomber.

Margaux adorait la nature, tout simplement car elle aimait être seule et tranquille. Je suis sûre qu'elle aurait vivement apprécier ce petit coin de paradis. Dans notre ancienne maison, elle s'enfermait tout le temps dans sa chambre, n'autorisant que quelques personnes seulement à venir la déranger. Je n'y avais pas le droit. Lorsque Margaux était dans son univers, seuls mes parents pouvaient l'en sortir. Il fallait frapper quatre fois à la porte de sa chambre avant qu'elle ne vous entende, crier deux fois avant qu'elle ne réponde. Le pire était lorsqu'elle lisait. Impossible de captiver son attention avant qu'elle ait fini son livre. Et encore, il fallait lui laisser une bonne dizaine de minutes avant qu'elle ne revienne sur terre. Ma sœur n'a pas eu de gros problèmes dans sa vie, avant la maladie. Pas d'embrouilles avec ses ami(e)s, pas de petits-copains, mais simplement car elle avait créé autour d'elle, une espèce de bulle constituée de livres, d'histoires, et surtout de beaucoup d'imaginaire, qui la protégeait de tout ça. Parfois, je brisais cette bulle de tranquillité et j'en payais cher le prix. Lorsque nous sommes toutes les deux arrivées à la période de l'adolescence, nous nous sommes rapprochées et elle a bien voulu sortir de son monde pour passer du temps dans la vraie vie. Quand elle est tombée malade, j'ai préféré lui mentir sur ce qui se passait en dehors de la bulle que l'hôpital formait. Je préférais lui dire que tout le monde avait hâte de la revoir, alors que beaucoup la voyait déjà morte. Mais ce genre de choses ne se disent pas. Tout simplement car ça bousille l'espoir. Et comme elle dit « L'espoir fait vivre ». L'espoir l'a aidée à se battre car elle s'est sentie importante aux yeux de beaucoup de gens et donc s'est vue obligée de se battre pour eux, pour ne pas les décevoir et les faire souffrir. En quelques sortes, l'espoir lui a permis de vivre plus longtemps. Ça ne l'a pas rendu immortelle, loin de là, mais ça lui a apporté beaucoup. Le matin, elle se réveillait avec le sentiment de compter pour des personnes. Bien sûr, dans la famille, on était tous très attaché à notre petite Margaux. Mais, je parle aussi de ce fameux Théo dont elle a évoqué le nom dans les premières pages. Elle le considérait comme son meilleur ami... C'est très vite devenu un de ses seuls sujets de conversation. Au fond, j'étais contente ! Elle n'a jamais pu nous le présenter mais vu qu'elle parlait que de lui, je savais exactement à quoi il ressemblait. Il avait l'air gentil, mais bon, il était malade lui aussi. Peut-être est-il toujours en vie ? Une belle histoire d'amitié, mais bien tragique...

Soudain, mon pied dérape et je tombe tête la première dans l'eau. Grr... Mes affaires sont trempées, mais ne m'inquiète pas trop pour elle vu la température extérieure. Je déteste la nature !

Je reviens sur la berge, en serrant les dents. Je ne sais pas ce qu'il m'énerve, mais je suis énervée. Je regarde mon portable dans l'espoir de voir un message de Margaux, ceux que j'attendais chaque jour, et qui redonnaient un peu de sens à ma vie. Aucun autre message. Tant mieux. Aucun message de Margaux... J'aimerais parfois oublier qu'elle est morte, et continuer de croire toute ma vie qu'un jour je recevrai un message où elle me dira que tout va bien, qu'elle va bien...

Je commence par répondre à ma meilleure amie, puis mon meilleur ami et pour terminer, ma confidente. Je n'ai plus rien à leur dire. Nous n'avons plus grand chose au commun, à part le souvenir commun d'une ancienne amitié, de jours passés où je les ai côtoyés. Je finis par relire le message du numéro que je ne connais pas. Je lui réponds « Oui ».

Après la mort de Margaux, j'ai quand même gardé mon statut de fille populaire, malgré tout. J'aurai préféré sombrer dans l'oubli, que les gens oublient définitivement mon existence, mais malheureusement, c'est l'effet inverse qui s'est produit. Les personnes de ma classe ont commencé à avoir pitié de moi, à essayer de savoir ce qui s'était passé. Le pire, c'est qu'à 60% ce n'est pas par amitié, mais par curiosité ! Et on peut même dire que pour 30% des personnes, c'est de la pitié. Il ne me reste plus que 10% d'amitié, et ce n'est pas franchement énorme. Je n'ai plus d'amis. Je ne suis plus la même, on me le dit souvent. Ma mère va jusqu'à me fâcher parce que je ne sors plus. Alors je dis que je vais chez des amies, alors qu'en réalité, je suis sur ma berge, ou en train de me promener dans les champs alentours, en pensant à tout ça. C'est devenu tellement simple de mentir. Mes parents ne s'en rendent même plus compte. Ils ferment les yeux sur la réalité. Ils ne pensent qu'à eux, pas à moi. Je comprends bien que ça ne doit pas être très simple tous les jours pour eux, mais moi aussi je l'ai perdue Margaux, ce ne sont pas les seuls. Ils préfèrent ne pas souffrir, ce qui est normal, tout en sachant que c'est à moi qu'ils font du mal. Ils le savent, je le sais, sinon, ils n'auraient pas divorcés par exemple. C'était plus simple de ne plus voir l'autre, de recommencer sa vie à zéro. Sauf que la mienne, ma vie à moi, je n'ai pas pu la recommencer à zéro. Je suis tiraillée entre celle de mon père, de ma mère, la mienne, et celle de Margaux. Des vies différentes, qui, avant, n'en formaient qu'une seule. Tiraillée entre le passé et le présent. La vie et la mort...

Et moi, j'ai dû rester...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant