Je fais un signe de la main à Antonin, qui dans son monde brumeux rempli d'alcool, ne me le rend pas, et referme doucement la porte d'entrée derrière moi. Je sais qu'il est tard, mais j'envoie quand même un message à ma mère pour qu'elle vienne me chercher. Bien sûr, elle me répond qu'elle sera là dans un quart d'heure. Je souris.
Je sais que ma mère m'aime. Je sais que mon père m'aime. Ils doivent sûrement toujours s'aimer aussi, mais la douleur a été trop forte : elle les a séparé. Ça a dû être tellement difficile pour eux de divorcer, car, en quelques sortes, ils ont officialisé la mort de Margaux. Je les ai traité d'égoïstes, mais j'ai eu tort, je le reconnais. S'ils ont divorcé, c'était aussi pour ne pas me faire souffrir. Ils avaient compris qu'ils ne pouvaient plus vivre ensemble car Margaux n'était plus là. S'ils étaient restés ensemble, je me doute que ça aurait été toxique pour tout le monde. Alors, bon, peut-être que je peux commencer à me faire à l'idée que je leur pardonnerai un jour.
Pendant que j'attends ma mère, je m'assois sur le trottoir pour réfléchir à tous ces événements. Car je n'ai jamais vraiment réfléchis avec mon cerveau de tout ce qui s'est passé. Je finis par trouver une piste à approfondir. Je ne sais pas si c'est l'une des conséquences directes de ma gueule de bois, mais je ne me mets pas à pleurer, ni à déprimer comme je l'aurais fait en état normal.
Après une longue réflexion, j'en viens à la conclusion suivante : quand Margaux est morte, j'ai mis ma vie en pause, car pour moi ça ne servait plus à rien de vivre. C'est là où j'ai commis ma première erreur (oui, car j'en ai commis bien d'autres). Je n'aurai pas dû réagir comme ça : j'aurai dû en parler, et ne pas tout garder rien que pour moi. Je dois continuer de vivre, avec le souvenir de Margaux. Ma deuxième grosse erreur a été de ne pas chercher à savoir ce qui s'était réellement passé. Avant de divorcer, mes parents ont voulu tout m'expliquer. Et j'ai systématique refusé : pour moi, ça ne servait à rien de comprendre puisque de toute façon Margaux est morte et que de tout savoir ne m'apporterait rien. Ça a été ma manière de me protéger. Car je me doutais bien que la vérité était tout aussi douloureuse que la perte de ma sœur... Et j'avais raison...
Heureusement, j'ai lu ce que Margaux m'a écrit. Et que par pur hasard, j'ai revu Théo. Ça a l'air ridicule dit comme ça, mais je pense que le carnet et Théo m'ont aidé à comprendre beaucoup de choses. Comme par exemple d'arrêter de pleurer toutes les larmes de mon corps, de me maudire de n'avoir rien pu faire chaque fois que je pense à elle car de toute façon, je n'aurais rien pu faire et à présent, plus rien ne peut la faire revenir...
Théo m'a dit qu'elle avait abandonné ; c'est sûrement le cas. Mais si elle a laissé tomber son combat, ce n'est pas parce qu'elle ne voulait plus se battre, c'est parce qu'elle ne pouvait plus.
«Alors, Margaux, sache que moi je suis fière de toi, plus que n'importe qui. Tu t'es battue, et jamais au grand jamais, tu n'as montré que tu avais mal, que tu souffrais, car tout ne se passait pas très bien. Non, jamais parce que tu as toujours pensé à moi et aux parents. Tu savais que ce serait difficile pour nous trois, tu savais d'avance qu'on allait en baver. Mais Margaux, quoi que tu aies fait, ou que tu n'aies pas fait, je t'aime et je ne cesserai de penser à toi. Je continuerai de vivre pour toi, pour moi aussi, car j'ai une chance que tu n'as pas : celle d'être en vie. Tu aurais tellement mérité de vivre plus longtemps. Tu étais faite pour cette drôle d'expérience qu'est la vie. En tous cas, plus que moi.
Mais ne t'inquiète pas pour moi, je vais m'en sortir, je vais remonter cette pente, pour toi, mais surtout pour moi, car à présent, il n'y a apparemment plus de « nous » ou de « toi et moi » : je suis toute seule sur cette putain terre. Je ferai quand même le maximum pour que tu sois aussi fière de moi que je le suis de toi. Je t'aime ma sœur. »
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Et moi, j'ai dû rester...
Teen FictionOn n'a pas tous la chance de survivre. Ce n'est pas parce qu'on ne veut pas, loin de là. Margaux est partie, et Aude a dû rester. Mais comment faire pour vivre sans sa sœur chérie ? Aude n'a jamais demandé de rester. Sauf qu'elle n'a pas eu le choi...