Prise en tenailles

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PDV d'Arden

-Et tu es sûre que tu vas mieux ?

  Ça fait deux heures que Maya me cuisine avec cette question. Je l'esquive du mieux que je peux parce que je ne suis plus du tout sûre de la réponse.
  J'étais au bord de la crise de nerfs après ma dernière conversation avec Chelsea et j'étais prête à sombrer dans la dépression, mais...
Il y'a eu Rowan.
  Il n'est pas parti malgré mon sérieux pétage de plomb. J'en suis toujours autant surprise, d'ailleurs.

  On est restés assis à même le sol, contre le mur, en silence. La situation aurait dû être tellement étrange, l'absence de bavardage aurait dû me mettre mal à l'aise, mais pour une raison que je ne parviens pas à nommer, le moment que j'ai passé avec lui m'a libérée du poids qui m'op pressait. Je ne dis pas que la douleur a complètement disparu.  Mais son emprise sur moi a clairement diminué. Même si je n'ai pas encore saisi ce que ça veut dire.

   Je suis ensuite rentrée chez moi, dans ma fabuleuse famille attentionnée. L'ironie absolue. Oksa était dehors, et mes parents pas rentrés. Avec ce genre de voyages d'affaires débiles, notre enfance à Oksa et moi s'est formée à partir de babysitting intensif.
  Donc les libertés s'offrant à nous devenant nombreuses, Oksa et moi en avons largement profité.
  Jugez-nous si vous voulez, en attendant, ce n'est pas vous qui organisez des fêtes d'enfer dans votre pavillon cinq étoiles.

  Donc, bref, en rentrant, bel et bien seule. J'ai donc appelé Maya, en priant de toutes mes forces qu'elle ne soit pas en train de prendre je ne sais quelle leçon de piano avec son paternel, ou à une œuvre de charité de mes deux pour la cause des loutres, et finalement, mes prières ont été entendues.
  Elle était libre.

  Je l'ai invitée à dîner, bon, c'est la version officielle que j'ai servi a son père, parce qu'en réalité, je ne sais pas du tout cuisiner, et elle/son père a accepté.
   Vers six heures, elle est arrivée, et malheureusement, je n'avais que des tartes aux fraises à lui proposer. Mais ça ne l'a pas dérangée. Du moins, c'est ce qu'elle a prétendu.

  On s'est posées devant un film, puis on a parlé de tout et de rien. Enfin, j'ai parlé de tout et de rien.
  Maya, elle,  essayait tant bien que mal de me tirer les vers du nez à propos de mon éloignement de mon autre meilleure amie.

  Et je ne sais pas pourquoi, pour la première fois, je n'ai pas eu envie de me confier. Je suis restée vague, faisant semblant de ne pas accorder d'intérêt au problème. Alors que c'est le contraire total.

  Je ne sais pas pourquoi toute cette histoire me touche tellement, je sais, les amis c'est important et tout, mais ma réaction est quand même totalement disproportionnée, non ?
  J'ai l'impression de m'être fait retirer un organe vital, de souffrir comme pas possible, je ne suis sûrement pas normale.

  Chelsea et moi ne nous connaissons que depuis un an et demi, depuis la fin de son histoire avec Miguel. Elle me l'a racontée, avec beaucoup d'hésitation au début. Je me souviens combien sa sincérité m'avait plu. D'habitude, on ne me fait pas souvent de confidences,donc je l'ai tout de suite aimée pour ça.

    Je suis comme ça, c'est à la première impression que je vois si j'apprécie la personne en question.
  J'ai vu juste avec Sharon, avec Chelsea, Maya, mais je n'arrive toujours pas à savoir ce qu'il en est pour Rowan.
  C'est sûr qu'il n'est pas quelqu'un de mauvais, mais ses potes doivent vraiment me considérer comme tel. Je sais que c'est injuste, mais je leur en veux un peu de nous avoir séparées.
  Ils ont probablement raison avec leur analyse sur moi.

  L'innocence. Le courage. La patience. La compréhension. Il est tout ça et bien plus encore.      Les gens comme ça, comme Maya, avec une gentillesse infinie, m'émeuvent, car malgré leur bonne volonté, le monde de fous dans lequel on est est très loin de changer.

  Avec mes divagations, j'ai pratiquement oublié que j'avais une invitée. Il est presque vingt heures, et Maya fait une heure de trajet pour venir chez moi.

  Oui, c'est un peu vieux-jeu la permission de vingt et une heures, mais elle s'y plie, sans jamais se plaindre.

  Du coup, elle doit partir maintenant. Je n'ai pas tant profité de notre soirée, concentrée sur mes problèmes. Quelle piètre amie je fais ! Pas étonnant qu'ils s'enfuient tous !

-Bon, beh...à demain, lui dis-je.
-À demain. Tu es vraiment sûre que tu n'as besoin de rien ? s'inquiète-t-elle.
-Ça va très bien entre Chelsea et moi, assuré-je.
Il n'y a que le mensonge qui me réussit en ce moment.
-Ça n'a pas de rapport avec ce qu'il s'est passé avec Hardin ?
Quoi ?
-Quoi ? De quoi tu parles ?

  Maya se tortille, mal à l'aise. Je sais qu'elle déteste rapporter, mais là, j'ai l'impression de passer à côté de beaucoup de choses. Mais c'est trop important, je dois savoir.
-Hardin et elle se sont disputés, commence-t-elle d'une voix mal assurée. Je ne suis pas sûre de savoir à propos de quoi.
Elle ment.
Mais elle ne veut pas le dire.
-Je crois..qu'ensuite, Hardin...a tenté..a essayé..de la frapper.

  J'en reste scotchée.
Dix secondes pendant lesquelles ma surprise cohabite avec ma fureur, formant un mélange de colère et d'incompréhension qui me cloue le bec.
-Comment se fait-il que je n'étais pas au courant ! hurlé-je.
  Puis je me rappelle que je parle à Maya, et pas à un de mes sbires.
-Désolée, ça a tourné vite dans l'école, ajoute-t-elle. Je pensais que tout le monde le savait.
Lydie, pensé-je en premier. Puis je me ravise. Sharon n'aurait-elle pas plus de véméhence envers moi ? À moins que Mel...
  Non. Mel et moi nous évitons le plus possible, et heureusement, sinon la confrontation serait digne du Choc des Héros.

  Au fond, je me fiche du rapporteur. Ce qui compte, c'est que Chelsea s'est fait des emmerdes, et je n'étais pas là pour elle. Et j'ai osé me pointer comme une fleur pour lui demander de changer.
-Et il s'est passé quoi après ? je demande.
Maya plisse les sourcils, essayant de se souvenir.
-Je crois qu'un certain Angus s'est interposé, pour prendre sa défense. Mais il y'a tellement de versions différentes de l'histoire, poursuit-elle. Je ne sais pas laquelle est vraie.
-Angus ? Angus ?

  Maya m'attrape les épaules, et me regarde droit dans les yeux.
-Réfléchis, le pote de celui avec qui tu t'es mis en physique.
  Je la regarde sans comprendre. Elle n'était pas dans notre classe quand c'est arrivé, il me semble.
  Alors comment est-ce possible qu'elle sache..
  Devançant mes interrogations, elle me réplique :
-Même ces infos là circulent vite.

   Puis elle sourit. C'est vraiment une amie géniale.
-Merci de m'avoir dit tout ça, malgré le fait que je parlais pas trop ce soir, m'excusé-je. Franchement, Maya, des fois, je me demande si je te mérite.
   Elle me tape l'épaule.
-Crois-moi, je suis convaincue du contraire, ajoute-t-elle d'une voix étrange. Je mérite beaucoup moins que tu ne le crois.

  Puis elle disparait. Ah, elle et sa modestie ! Quand elle s'y met, impossible de lui faire un compliment. Mais elle déchire. Et je suis contente de l'avoir à mes côtés.

  Quant à Chelsea, avant qu'on ne mette les points sur les i, je me demande ce qu'il va advenir d'elle. Enfin, elle ne traînait qu'avec nous, le reste des filles ayant une peur bleue d'elle. Mais genre vraiment.
  Elle a bien un pote, Whispers, en dernière année, qui a pour passion ultime de coller des beignes à son prochain. Ce garçon est un peu une sorte de badboy qui aurait dérivé vers une sorte de cliché sans aucun sens. Parce qu'il rackette les filles, ment aux profs, reste seul à la cantine et est incontestablement (secrètement) gay, il a plu à Chelsea, par cette originalité infâme.

   Mais à part lui, je ne sais pas avec qui Chelsea parlera demain.
  Je n'ai pas mentionné les garçons, standard ou sportifs, parce que je sais d'expérience, qu'ils se lassent vite quand ils savent qu'ils n'obtiendront pas ce qu'ils veulent.

  Et je sais aussi que je me sentirais extrêmement mal si elle se retrouve seule demain, par ma faute. Mais si ce n'est pas exactement la mienne. Mais je me remets encore à tourner en rond, ça devient pénible.

  J'espère réellement que tout va s'arranger. Mais c'est le vœu que font les jeunes enfants, et il est rare que ceux des grands se réalise.

Pas si mauvaise...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant