Changer

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PDV d'Anger

  Je n'ai vraiment pas pu y aller aujourd'hui. Je n'aurais pas supporté. Pas cette fois.
  Je ne pouvais pas non plus rester chez moi. Au-dessus de mes forces.
  Alors je suis sorti.

  Comme les possibilités s'amenuisaient pour moi, je suis allé au seul endroit où j'étais encore la bienvenue : chez la mère de Sacha.
  Je ne suis pas retourné la voir depuis le cimetière et j'ai l'impression d'avoir manqué à mon devoir.

  La vieille porte d'entrée s'ouvre sur Mrs.Montgomery, un air surpris sur le visage.
-Anger ? Tu n'as pas école ?
  Je me mords la lèvre inférieure : je n'ai aucune idée de quoi répondre.
  Elle esquisse un sourire compatissant puis se décale sur le côté.
-Ne reste pas là, rentre, m'intime-t-elle.
  Je m'exécute avec un temps de retard.

  Quand je me laisse tomber sur le canapé, mon accablement me rattrape et je me fais emporter par mon moral à sec. Je m'en veux, merde. Je m'en veux terriblement. J'ai encore tout gâché, parce que j'ai flippé comme pas possible à l'idée que tout puisse être vrai.
-Tu veux en parler ? Je vois bien qu'il y'a quelque chose qui ne va pas.
  Je lève les yeux. Mrs. Montgomery me regarde avec compassion puis s'assoit à côté de moi, les yeux remplis de fatigue.
  Finalement, je hoche la tête. Oui, j'ai besoin d'en parler, et rares sont les gens qui auront un avis objectif par rapport à cette situation. En plus, j'en ai assez de tout garder pour moi.
-C'est...compliqué. C'est à cause d'une fille, je commence prudemment.
  Sa réaction va à l'encontre de ce que je croyais.
-Tu as enfin rencontré quelqu'un ? Mais c'est génial ! s'extasie-t-elle.
  Je reste un moment sans pouvoir sortir un seul mot. Elle est contente...pour moi ? Je n'arrive pas à y croire.
-Et tu l'aimes ? rajoute-t-elle, rembrunie.
Je hausse les épaules.
-C'est... compliqué.
-Qu'est-ce qui est compliqué ? se renfrogne-t-elle. Pourquoi ?

  C'est la partie la plus difficile. Que je n'ai jamais osé dire à voix haute. Mais bon, je suppose que je n'ai plus le choix.
-Parce que...parce que j'ai l'impression de trahir Sacha.

  Un silence lourd s'installe dans la pièce. Je respire difficilement, attendant ses reproches qui ne vont pas tarder.
-Anger Duncan Winston, commence-t-elle d'une voix bourrue.
  Mince, je n'aurais pas dû dire ça.
-Je suis désolé, je..

  Elle me fait signe de me taire.
-Je vais te dire, rétorque-t-elle en me toisant avec mépris. Tu as raison, tu nous fais honte, et tu trahis Sacha avec tes imbécilités.

  Aïe, je ne m'attendais pas à ce qu'elle y aille aussi fort. Je suis totalement abattu. Venir ici était une erreur.
-Tu trahis Sacha, répète Mrs.Montgomery, en t'inerdisant de vivre. Elle aurait voulu que tu vive heureux, avec quelqu'un qui fasse ton bonheur, et au lieu de ça, tu as pleuré pendant quatre ans sans chercher à l'honorer en trouvant une nouvelle voie.
-Vous voulez dire que...
-Oui ! Ne reste pas là à te demander si elle t'en aurait voulu si tu partais avec une autre fille car la réponse est non.

  Je suis abasourdi. J'ai beaucoup de mal à croire ce que je viens d'entendre. Mais, parallèlement, une digue vient de céder dans mon esprit.
  Je viens de m'autoriser pour la première fois à penser à un avenir avec ELLE. Et cette pensée, même si elle me fait peur, fait naître un espoir indicible en moi.
  La peur que j'avais de décevoir Sacha me mettait en fait un voile sur mes propres sentiments.
  À la minute où je le réalise, je me fige. Mrs. Montgomery semble le remarquer puisque son sourire revient, et elle pose sa main sur la mienne.
-Comment avez-vous compris ? demandé-je surpris.
  Elle éclate de rire puis me regarde avec une détermination que je ne lui avais jamais vue.
-Va la retrouver.

******************************

   J'ai perdu beaucoup de temps à chercher où Chelsea pourrait bien être mais finalement, Rosemary me donna l'information.
  Woodlands.

  Ce n'était pas la porte à côté, mais pressé comme j'étais, j'aurais pu courir jusqu'en Dakota du Nord.
  Dans le bus, je me suis mordu les doigts tellement j'étais anxieux, parce que mine de rien, ce n'était pas rien, ce que je m'apprêtais à faire. Quelles étaient mes options si ça tournait mal ?
  Ah oui, me jeter du pont de Brooklyn.

  Arrivé à Woodlands, les clameurs que j'entendais m'indiquaient que le match devait être fini.
  Je suis entré dans le stade, alors qu'une partie de la foule commençait à s'agglutiner sur le terrain.
  Woodlands avait gagné. Tous les supporters sur les gradins étaient euphoriques, brandissant l'emblème de leur équipe comme un trophée.
  J'ai balayé rapidement cette scène du regard avant de tomber sur les cheerleaders, devant l'entrée des joueurs, en formation de pyramide.
  Mais la musique tirait à sa fin, et leur représentation aussi.

  En jetant un œil au grand écran qui surplombait les gradins entrée Sud, je l'ai vue. Chelsea. Tout en haut de la pyramide, avec son sourire hautain sur les lèvres.
  Et je n'ai pas réfléchi. J'ai bousculé les gens sur mon passage, slalomé entre les différentes personnes sur la pelouse, pour la rejoindre.
  J'étais encore loin quand j'ai vu la pyramide lentement se défaire, et les pom pom girls, dans leurs tenues bleu nuit, se diriger vers la sortie après un dernier salut.
  C'est pourquoi j'ai crié.
-Chelsea !!
  À cet instant, je me fichais totalement de passer pour un attardé mental. Complètement.
 
  Sauf qu'elle m'a entendue. Elle s'est arrêtée, malgré le fait que ses coéquipières regagnaient les vestiaires, et que la foule en délire reportait son attention sur les joueurs en train de saluer.
  Les félicitations me martelaient les oreilles mais je ne le remarquais même pas.
  Je me suis approché d'elle, l'adrénaline retombée mais la détermination toujours présente.

-Chelsea, répété-je une fois juste devant elle.
  Son regard est aussi dur que la dernière fois, mais elle a l'air prête à écouter cette fois-ci.
-Je te préviens, je ne suis pas d'humeur à essuyer un autre sermon, lance-t-elle en regardant impatiemment la sortie.
-C'est pas du tout ça.
  Elle me regarde bizarrement. Je n'avais pas préparé ce que je lui dirais mais les mots me viennent naturellement.
-Je suis désolé pour ce que je t'ai dit, la dernière fois. Imagine quand même que ça fait cinq ans que je n'ai pas été en couple. Ça m'a fait un peu peur, je n'étais pas prêt.
  Je respire un grand coup.
-Mais ce n'est plus la même chose maintenant.
-Est-ce que t'es sérieux quand tu dis ça ? me demande doucement Chelsea.
  Je n'ai jamais été aussi sérieux de ma vie.
-Oui.

  Pour la première fois depuis le début de ma tirade, un sourire éclaire son visage. Le plus sincère, le plus émouvant que je ne lui ai jamais vue.
  Rosemary avait raison. C'est grâce à moi.
  Au fond, je l'ai toujours su. Chelsea est quelqu'un de bien. Il fallait juste qu'une personne ait assez de volonté pour s'en apercevoir.
-Je te promets, dis-je avec une force nouvelle, que je ne te ferais plus jamais souffrir.

  Le reste du monde semble avoir disparu au moment où je prononce ces mots.
  Il ne reste plus que nous deux, ou plutôt, il n'y a toujours eu que nous deux.

  Chelsea remonte ses yeux bleus vers les miens.
-Tu sais...reprend-elle avec malice. C'était pas parce que j'étais défoncée que je t'ai embrassé.
  Je ne m'attendais pas à ce qu'elle remette ça sur la table.
-Alors, pourquoi ?
-Je crois que...(Elle lève les yeux au ciel) J'étais déjà amoureuse de toi à ce moment-là.

  Je ne suis pas habitué à sa nouvelle sincérité alors je mets du temps pour assimiler tout ça. Est-ce que je suis en train de rêver ? Est-on vraiment dans la réalité où Chelsea Van Houten m'aime ?
  Je crois bien que oui.

  Ses yeux indéfinissables descendent jusqu'à ma bouche.
-Alors qu'est-ce que tu attends ?

  Quand je comprends ce qu'elle attend, pour la première fois, je ne bats pas en retraite, je ne la repousse pas.
  Au lieu de ça, je me penche vers elle, et devant un stade d'une centaine de personnes, je l'embrasse.

  C'est encore mieux que la dernière fois, où je ne me suis pas autorisé à apprécier le moment. Je me demande ce que j'avais dans la tête.

  Finalement, quand je me détache d'elle, à bout de souffle, je constate malgré moi, que l'écran géant posé sur les gradins, nous retransmet en direct.
  En d'autres circonstances, j'aurais été totalement mort de honte, mais là, la seule à laquelle je pense en tenant Chelsea dans mes bras est absolument différente.

  Putain, je l'aime.

Pas si mauvaise...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant