Répéter les mêmes erreurs

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PDV d'Arden

  Il fait extrêmement chaud aujourd'hui, et même moi qui ne suis pas du genre à transpirer, suis en nage.
  Oksa et mes parents sont finalement partis pour New York, se résignant à me laisser avec Jennifer pour les vacances.
  Ils ont dû penser qu'elle se contenterait de me garder bien sagement à la maison.
  Oksa, elle, a dû s'imaginer que comme on m'avait confisqué ma carte de crédit, je ne risquais pas de faire des soirées arrosés.

  Mais elle sous-estime le pouvoir du chantage. En menaçant Jennifer de tout révéler à propos des pots de vin, je l'ai convaincue, au prix de nombreux efforts, de m'accorder la permission de sortir.
  Mais elle a tenu à venir avec moi.

  On a échoue au bowling du coin. Je n'avais pas spécialement envie de jouer avec Jennifer, mais l'option shopping quand on n'a pas de money s'avérait tout bonnement inconcevable.

  De plus, où d'autre pourrais-je aller avec la totalité de mes amis qui ont quitté la Floride ?
  Donc, me voilà, en pleine partie de 1vs1, avec Jennifer qui se donne un mal de chien pour essayer de remonter au score depuis cinq minutes.
  Je ne suis pas spécialement adroite d'habitude, mais il semble que la chance me sourit enfin car j'enchaîne les spare et les strikes, alors que je ne fréquente jamais ces pistes d'habitude.
  Jen', qui s'entraine trois fois par semaine, doit être estomaquée.
  En même temps, j'ai l'impression qu'il s'agit de la personne ayant le moins de vie sociale au monde.
  Elle n'est ni très réseaux sociaux, ni grande bande d'amis, en revanche, elle semble totalement fascinée par la mienne, et me pose toujours des questions du genre :
<<T'as eu combien du likes sur ta dernière photo insta ? Oui, celle où tu poses avec ton nouveau sac Prada>>
<<C'est qui ces personnes qui t'ajoutent là, sur snap ?>>
<<Tu n'invites pas les gars du football ? Vous venez d'acheter un nouveau barbecue>>
  Et j'en passe.

  En fait non. Je crois que ma vie amoureuse l'intéresse plus que n'importe quoi. Au début, je trouvais ça drôle d'être tout le temps le centre de l'attention. Maintenant, ça m'exaspère plus qu'autre chose.
  Surtout en ce moment.

-Allez, balance ! s'exclame Jen' pour la millième fois. Je suis sûr que c'est un footballer ! Lucas ? Stan ? Trager ?
  Je ne réponds pas et fléchis les genoux pour lancer la boule, lourde de huit kilos.
  Elle roule sur la piste, pas tout à fait droit, avant de ne percuter....aucune quille.
-Un basketteur peut-être ?

  Vexée de mon score minable, je retente une deuxième fois ma chance, essayant de faire abstraction de la voix horripilante de ma baby-sitter.
  La boule file droit pendant cinq mètres avant de bifurquer sur la gauche, et tomber dans le creux.
Zéro point.

  Je commence à taper des pieds, de plus en plus remontée contre moi, parce que je commence à réaliser que ce sont peut-être les questions de Jen' qui me dérangent.
  Pourquoi ? N'ai-je pas tiré un trait sur cette histoire ? N'ai-je pas tourné la page ? Ce devrait être une sinécure d'en parler dans ce cas.
  Alors je m'exécute.

-Ce n'est ni un footballer, ni un volleyeur, ni un basketteur, Jen'. C'est...
-Laisse-moi deviner, fait-elle avec un clin d'œil. Un bel étudiant de la fac de Tallahassee ?
-Non. Il est à Wirginia Lake.

  Jen' ramasse une boule car c'est à son tour de lancer, mais elle est beaucoup trop captivée par mon histoire. De temps en temps, elle me ferait presque pitié.
-C'est un gars de mon groupe de physique-chimie, lui apprends-je. Une tête d'ampoule, un geek si tu préfères.
  Peut-être que ça lui clouera le bec ?
-Oh mon dieu. Tu sors avec un geek ?
  Ou pas.
-C'est fini entre lui et moi, dis-je en haussant les épaules.

  Et je le pensais vraiment. Au début, j'étais triste, voire anéantie de m'être fait rejetée de la sorte, mais avec le temps, je me suis demandée comment il pouvait dormir aussi tranquillement sans avoir besoin de prendre la moindre de mes nouvelles.
  Sûrement parce qu'il n'en avait rien à faire de moi. Ça m'a énervée, parce que ça voulait dire que je me suis trompée sur lui, lourdement.
  Il n'est pas le modèle de sincère et que j'avais érigé dans ma tête.
  Alors, j'ai décidé qu'il n'en valait pas la peine.
-C'est toi qui a rompu ? me demande-t-elle avec prudence.
-Oui.

  Ce n'était pas exactement un mensonge, dans la mesure où nous n'avions jamais été ensemble mais j'avais l'impression d'être hypocrite. Mais bon, pour moi, Rowan Thornhill était comme mort et enterré.

PDV de Rowan

  Hillary me prenait de plus en plus la tête.
  Elle ne cesse de se plaindre habituellement, mais depuis qu'elle sait pour Arden et moi, j'ai dû l'entendre jacasser toute la journée.
  Elle veut toujours en savoir plus, comme si elle avait vraiment notre relation à cœur ou qu'elle s'inquiétait pour son petit frère, mais la vérité est qu'elle ne réalisait pas comment j'avais fait pour en arriver à fréquenter Arden.
  Au lycée, Hillary n'appartenait ni à l'élite, ni au fond de la poubelle. Elle était l'entre-deux, si on veut, comme ces figurants d'élèves dans les films sur la phase high school.

  Que son imbécile de frère ait pu briser les catégories sociales, alors qu'on était toujours au vingt-et-unième siècle est devenu une source d'inspiration pour elle. Mais elle ne voit pas à quel point j'en ai assez de tout ça.
  Jusqu'au jour où bien sûr, je finis par craquer.

  C'est un matin comme les autres, où Hillary arrive à la table du petit déjeuner trois temps après tout le monde, où ma mère lit le journal appuyée à la porte de la cuisine, et où mon père se prépare en vitesse pour aller au travail. Eh oui, pas de vacances pour les Thornhill cette année.
  Je suis en train d'essayer de manger mes céréales, de mauvaise humeur, et je constate qu'Hillary vient de prendre la dernière banane.
  J'ai tellement mal dormi que le filtre qui me permet de ne pas dire d'énormités ne fonctionne plus.
-Hill', t'en as déjà pris deux hier soir, m'indigné-je. Passe-moi celle-là, espèce de radine.
  Ma mère me lance un regard d'avertissement, prenant comme toujours ma défense de sa fille préférée.
  Hillary l'épluche en haussant les épaules.
-Roooh, c'est qu'une banane. À moins que ton Arden ait décidé que tu doive radicalement changer de régime, je ne vois pas ce que...
  Je dois vraiment avoir mal dormi, parce qu'en moins de deux, je balance l'intégralité du contenu de mon bol sur la tête de cette garce.
  Le lait lui éclabousse le visage, et les corn flakes se fichent dans ses cheveux.
-Maman ! Regarde ce que m'a fait Rowan ! s'exclame-t-elle.
-Rowan ! Excuse-toi immédiatement auprès d'Hillary, fait ma mère en s'empourprant.

  Je ne souligne pas l'injustice de la situation ; je crois que j'en ai l'habitude. Je repose mon bol à sa place.
-Excuse-moi.
  Puis je quitte la table, pas aussi énervé contre ma sœur que je devrais l'être. C'est un contrecoup de ma tendance égoïste.
  Je ne sais pas comment l'expliquer, mais quelquefois la culpabilité me ronge tellement que j'en oublie les marques d'injustice dont je suis victime. J'oublie que ma vie est naze, j'oublie que je n'ai plus de meilleur ami, j'oublie qu'Hillary est une effroyable peste.

  La seule chose que je n'oublie pas, c'est que j'ai perdu Arden.

Pas si mauvaise...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant