Perte assurée

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PDV d'Arden

Je me réveille avec la douloureuse et agressive lumière du soleil de Floride, avec l'envie pressante de me rendormir immédiatement. La clarté qui rentre par les fentes des volets est tout simplement hallucinante. Est-on déjà en été ?

Si je n'ai autant pas envie de me lever, c'est que pour la première fois depuis longtemps, je me réveille dans le même lit qu'un garçon. Que j'apprécie.
Je jure que je n'y suis pour rien, mais je suis blottie dans ses bras, sa main derrière mon dos, et ma jambe droite repliée sur la sienne. Je suis consciente de peut-être l'écraser en ce moment, mais je suis si confortablement installée, avec la couverture et son corps qui me tient chaud que je décide de rester dans cette position encore une minute.
Juste une.

Et j'en profite pour le regarder. Mes cheveux ont fait des siennes et se sont étalés sur son visage, le forçant sûrement à en inhaler accidentellement. Mais au-delà de ça, je trouve ça carrément reposant de le regarder dormir, surtout qu'il fait partie de ces gens qui ne ronflent pas, et qui ont même l'air de ne pas respirer dans leur sommeil.
Je retire les mèches de ma chevelure de sa figure, et regarde l'heure sur son téléphone, posé à côté de ma tête. Sept heures quarante-cinq. Il y'a de la marge pour une fois...
Tiens, l'écran n'est pas verrouillé.

Je peux promettre que je ne suis pas le genre de fille à farfouiller dans les téléphones comme une voleuse en général, mais comprenez-moi, la tentation est beaucoup trop forte...
Je fais machinalement défiler ses messages, où il est surtout question de ses anciens problèmes avec ses amis et sa famille.
Le rouge me monte aux joues. Rowan dort toujours, mais il peut se réveiller d'un moment à l'autre, et me surprendre en train de me comporter comme une parfaite peste jalouse.
J'ouvre ensuite la galerie et y déniche de nombreuses photos de lui à des conventions, des concerts et au cinéma. Avec Anger. Matt. L'autre fille là..Cindy. Je n'aime pas sa tête agaçante, mais elle n'est jamais proche de Rowan dans les photos, alors que moi, je dors dans ses bras.
Je suppose que je n'ai pas à m'en faire...Soudain, je tombe sur une vidéo datant d'hier matin, que j'avais zappée.
Toujours dans le feu de mon fouinage compulsif, je ne peux pas m'empêcher de la lancer, intriguée.

Et la vidéo démarre.
Je reconnais la salle de théâtre et ses rangées de sièges usés, ainsi que la vieille estrade toute pourrie où...Chelsea est installée face à un piano. Le zoom progressif sur son visage qui suit m'envahit de stupeur. Comment ça ? Rowan filme Chelsea en train de chanter ?
Il y'a presque trois minutes d'enregistrement.

Je lâche le téléphone avant de me forcer à rerespirer de façon normale. Même si la sensation dans mon ventre me crie que je dois faire un scandale ici et maintenant, exiger des réponses, je m'astreins au silence.
Et je retourne la question dans ma tête, une haine indicible dans la poitrine.

Pourquoi Rowan a-t-il fait ça ?

PDV d'Anger

J'y ai réfléchi toute la nuit. Je voyais un million de raisons de refuser, voire deux mille. Mais celle qui me poussait à accepter était plus forte que toutes les autres :
J'en avais envie.

Alors oui, j'étais fauché et je vivais avec un cinglé de frère qu'il fallait que je surveille pour éviter qu'il fasse une connerie. Oui, j'avais du soucis de laisser ma mère pendant deux semaines, et oui, je ne voulais pas que Chelsea se charge de tous les frais pour moi.
Mais j'avais envie d'y aller. Avec elle.

Comme tous les mardis matins, je me suis pointé à l'école, avec l'impression d'avoir déserté cette zone depuis des années. C'est vrai que je prenais de moins en moins à cœur les cours, alors que les examens approchaient à toute vitesse, mais quand votre vie bascule comme la mienne...Eh bien, on s'adapte.

J'ai essayé d'être attentif en maths et de suivre du mieux que je pouvais, mais rien à faire, ma tête était ailleurs. La journée n'avait même pas commencé que j'avais pris ma décision : j'irai.
Ce qui était délicat, ça allait être de l'annoncer à Sylvain, que j'excelle à éviter ces derniers temps. Depuis l'épisode malencontreux de sa tromperie de Tasha, on a gardé nos distances et on fait semblant de ne pas se voir quand on se croise.
Pourtant, on habite dans la même maison.

La discussion houleuse qui m'attendait a fini par arriver. Sylvain était en train de se réchauffer une pizza au micro-ondes, m'ignorant royalement.
Assis sur le canapé depuis une demi-heure, j'essaie de trouver la meilleure manière de lui annoncer. Autant se lancer sans faire de vagues.

-Sylvain ?
-Qu'est-ce que tu veux ? s'impatiente-t-il depuis la cuisine.
-Pendant les vacances..Je...ne serais pas à la maison.
J'ignore pourquoi j'omets volontairement une partie de la vérité, mais ça me semble meilleur de ne pas tout lui dévoiler.
Il hausse les épaules.
-Tu peux bien te barrer pour toujours que j'en aurais rien à branler.
Génial.
-Dans ce cas, on est d'accord que ça ne te pose pas de problème ?
-Non. Maintenant, lâche-moi.

Je souris malgré moi. Aucun doute que s'il savait réellement où je me rendais, il m'aurait ordonné de rester. Heureusement que je lui ai menti dans ce cas.

Je le laisse à sa pizza et me réfugie dans ma chambre pour m'écrouler sur mon lit.
J'attrape mon téléphone fissuré de partout et rayé jusqu'à la moelle.
Pour passer un appel.

-Allô ? répond une voix ensommeillée.
-Oui, c'est moi. C'est Anger.
-Oh, il est plus de vingt-deux heures là, s'indigne Chelsea. Tu ne dors jamais ou quoi ?
-Je pourrais te dire la même chose, remarqué-je.
-Tu m'as appelée pour me faire la leçon ?
-Non. Pour te dire que je viens avec toi.
Chelsea a un temps de silence, suite à ma déclaration, dans lequel je perçois de la surprise, mais également du soulagement.
-Je croyais que tu ne te déciderais jamais, souffle-t-elle.
-Faut croire que si.
-Alors...je peux te dire que j'ai déjà réservé deux billets en première classe pour mardi prochain ? À l'aéroport de Sanford.
-Déjà ? fais-je avec étonnement. Tu savais que je dirais oui ! accusé-je.
-Disons que si tu avais dit non, j'aurais tout fait pour te convaincre, se justifie-t-elle.
-C'est ça. À demain, je coupe, écrasé de fatigue.
-OK, à demain.

Ce soir-là, je m'endors avec le sentiment que les choses ne pourraient pas aller mieux. Mince, je vais en Islande.

Pas si mauvaise...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant