Le jour le plus sombre

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PDV d'Anger

Il n'y a absolument rien que je puisse faire pour aller mieux. Ce dimanche s'est déroulé de la pire des manières possibles.
Comme je m'y attendais, une psychiatre des services sociaux est venue s'adresser à ma mère. Après vingt-deux minutes de discussion dont je n'ai pas pu saisir une seule bribe, la psy est venue me dire qu'elle nous transmettrait son rapport ce soir. Mais à sa tête, j'ai immédiatement su que tout était fichu. Je l'ai vue hésiter à m'interroger moi aussi, mais elle devait avoir une mission très claire.

Après ça, pas moyen de fermer l'œil. Donc j'ai dû affronter mon profond désespoir éveillé.
Je me suis refait les trois derniers Star Wars, pensant que ces joyaux atténueraient un peu la douleur. J'ai même revu toute la saison 1 de Breaking Bad, mais rien à faire, j'étais tellement mal que même aucune production Marvel ne réussit à me redonner l'envie de vivre.

Je ne pensais pas que perdre Chelsea serait aussi dur. La voir s'acharner à me répéter son innocence a fait naître le doute en moi. Mais elle a fini par avouer, et détruire par la même occasion tout ce qui comptait à mes yeux : ma famille et notre amitié.
Je m'en voulais d'avoir craqué et quasiment chialer devant cette ingrate, mais contrairement à elle, j'ai un cœur, et je ne pouvais pas faire semblant que sa perte ne m'atteignait pas. Que malgré tout, elle continuait à compter à mes yeux.

Mais elle. Putain, elle s'en branlait totalement. Elle n'en avait juste rien à faire, juste à sa façon de croiser les bras comme si de rien n'était.
Je crois que c'est ça qui m'a convaincu qu'elle n'a jamais été ce qu'elle prétendait être, que tout n'était qu'une rustre illusion, destiné à me mettre la honte de ma vie.
Sauf que j'ai beaucoup plus mal que je n'ai honte.
Et tout est de sa faute.

  Officiellement dans le jour le plus horrible de ma vie, j'attends avec terreur le verdict des services sociaux sur le sort de ma mère. Je suis conscient que c'est mort, qu'il n'y a aucune chance pour qu'elle s'en tire, mais une part de moi continue à espérer.
   L'espoir est un concept dégueulasse. Surtout quand il n'aboutit à rien. La déception n'en est que quatre fois plus grande.

   Et ma la mienne en fut dix fois plus grande.
  Ils sont revenus, me parler, m'expliquer des tas de trucs sans importance, mais selon moi, ils retardaient juste l'inévitable.

  Et ils ont fini par l'emmener, non sans me balancer une dernière bombe dans la figure : mon frère est mon nouveau tuteur légal jusqu'à ma majorité.

  Puis ça c'est corsé : des policiers (pas Sylvain) sont venus me poser des questions ultra sensibles, comme : Depuis quand votre mère est-elle dans cet état ? L'avez-vous couverte en dépit des autorités ? Connaissiez-vous l'existence de cette vidéo ?

  Je savais que ça risquait de devenir chaud pour moi s'ils étaient au courant de tout donc j'ai joué les imbéciles, et j'ai affirmé que ma mère cachait sa déficience mentale quand ses fils étaient dans les parages, et qu'elle a dû publié elle-même la vidéo.
   J'aurais été ravi d'incriminer Chelsea, mais ces flics m'auraient certainement demandé comment elle a pu se procurer cette vidéo.

  Alors j'ai menti, encore et encore pour qu'ils me fichent la paix. Ce qu'ils ont fini par faire au bout d'une heure d'interrogatoire.

  Donc ça y est. J'ai officiellement perdu ma mère.
  Une fois seul dans l'appartement, j'ai eu envie de me mettre à tout exploser autour de moi, de foutre mon poing dans le mur, ou de crier jusqu'à m'en casser la voix, ou encore mieux de chialer comme un gosse.
  Mais je n'ai rien fait de tout ça. Je me suis assis par terre, et j'ai regardé le temps passer.

  J'ai dû me poser un milliard de questions. Sylvain allait-il fournir une version proche de la mienne lors de son interrogatoire ? Chelsea souffrait-elle comme moi je déperissais ?
  Sans doute que non. Elle devait même remontrer la vidéo à ses potes en se moquant de ma naïveté de lui avoir fait confiance.
  Eh oui, mon dieu comme j'ai été stupide.

  Comme je n'ai toujours pas explosé de rage, ou fondu en larmes, j'en conclus que mon esprit réclame autre chose.
  Une vengeance.

  Une vengeance ? Non, je ne dois pas m'abaisser à son niveau. Il faut juste que je lui montre que je suis complètement au-dessus de tout ça, et qu'elle n'a plus d'intérêt pour moi. C'est déjà un plan auquel se raccrocher pour l'instant.
  Or, ça inclut que je retourne à l'école demain, ce qui ne m'enchante pas trop.
  Mais c'est le meilleur moyen de remonter la pente. J'ai arrêté de faire attention à l'avis des gens depuis pas mal d'années, ce ne sera qu'une formalité.
  Du moins, je l'espère.

*

À peine les pieds posés dans le couloir du lycée, que les gens commencent à me dévisager. Certains avec dédain, d'autres avec pitié. Leur manque de discrétion me fascine. Qu'est-ce qu'ils s'imaginent réellement ? Que je vais leur offrir une crise de larmes ?

  Je les ignore royalement pour atteindre mon casier. Jusque là, ça n'a pas l'air trop compliqué jusqu'à ce que je voie Hardin.
  Bon, je me montrerais courageux une autre fois, là, je n'ai absolument pas besoin d'une nouvelle confrontation.
Je me cache dans une salle de classe vide et j'attends.
  Des sanglots ettoufés me parviennent du fond de la salle.
  Mince, il y'a déjà quelqu'un d'autre. La voix me paraît familière, mais je ne m'attarde pas : ce n'est pas le moment de jouer les altruistes.
Je sors discrètement de la pièce en espérant le danger écarté, quand j'aperçois Matt, devant son casier, seul.
  C'est la première fois que je le vois depuis..Eh bien depuis que je l'ai laissé tomber.
  Je me dirige vers lui, pas trop sûr de ce que je vais sortir.
  Mais c'est lui qui parle en premier.
-Alors, t'es devenu plus populaire que moi.
-À ce qu'il paraît, dis-je prudemment. Mais j'en ai tiré des leçons.
  Il réfléchit une seconde.
-Ça m'a l'air trop tard.

  Il a raison. Il a fallu que je perde tout pour me rendre compte que cette Chelsea est un poison monstrueux.
   Mais je ne referai plus la même erreur, dorénavant.
-Tu avais raison, avoué-je. J'aurais dû t'écouter depuis le début.
-Je sais. Désolé qu'elle ait dû foutre ta vie en l'air pour que tu t'en rendes compte.
-C'est fini de toute façon.
-J'avoue que vous formiez une chouette idylle quand même, plaisante-t-il.
-Elle m'a même embrassé, ajouté-je sans prendre garde.
  Il écarquille les yeux.
-Tu me fais marcher, imbécile ?
-Non, c'est vrai, j'insiste mal à l'aise.
-Bon sang ! lâche Matt en sifflant. Et c'était comment ?
  Je rigole.
-J'avoue qu'elle est à la hauteur de sa réputation.
  Et on rit tous les deux. Ça n'efface peut-être pas le passé, mais ça fait du bien.
-T'aurais dû profité de la situation et la baiser.
-Elle était bourrée, fais-je, choqué de sa tirade. Et je ne l'aimais pas comme ça.
-T'es incroyable, ma parole, ajoute-t-il en se passant la main dans les cheveux.
 


  Puis un sourire narquois apparait sur ses lèvres. Je suis la direction de son regard et aperçois une Sandy de bonne humeur, vêtue d'un poncho noir.
-Hello, nous lance-t-elle.
  Je ne détecte pas la moindre trace de rancœur dans sa voix. Tant mieux. Je ne me sentais pas de gérer les deux aujourd'hui.

  Elle nous surprend tous les deux en se jetant dans mes bras en premier.
-Je suis désolée.
  Il me faut une dizaine de secondes pour comprendre de quoi elle parle.
  Je lui rends son étreinte avec une maladresse pathétique quand Matt s'éclaircit la gorge.
-Heu..Je veux pas vous interrompre mais y'a Van Houten dans les parages.

  Mon cœur manque un battement. S'il y'a quelqu'un que je ne voulais pas voir, c'est bien elle.
  Mince, si elle me voit, je saurais pas du tout comment réagir !
-Anger ?
  Je me tourne vers Sandy.
-Quoi ?
-Tu pourrais commencer a reprendre le dessus en lui faisant bien comprendre que tu n'en a rien à faire d'elle.
 
  Je me crispe à ces mots. Sans détacher mon regard de Chelsea qui avance justement dans notre direction. Là, c'est certain qu'elle va nous voir.
-Et comment ? dis-je dans un souffle.
-Tu verras. Tu me fais confiance ? me demande Sandy.
-Ouais, mais qu'est ce que tu manigances ?
    Sandy attend que nous nous trouvons dans le champ de vision de Chelsea, et s'élance vers moi. En deux secondes, ses bras sont autour de mon cou, et on se retrouve à s'embrasser devant les casiers, ou autrement dit le cliché le plus éclaté de l'histoire.

  Je ne me retire pas tout de suite car je n'ai pas trop envie de ruiner le plan de Sandy, mais au fond de moi, je suis en colère. À quoi pense-t-elle ? C'est d'un ridicule effarant.
  Je guette quand même la réaction de Chelsea du coin de l'œil, et me surprends à être déçu en la voyant s'éloigner sans nous prêter attention.
  Je me dépêche de repousser Sandy une fois Chelsea hors de vue.
   Pourquoi son indifférence m'affecte ? Je devrais en avoir plus rien à foutre de sa gueule mais impossible.
 
  Elle est trop encrée en moi

Pas si mauvaise...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant