Règlement et virement

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PDV de Rowan

J'ai peine à croire qu'elle m'ait appelé juste pour ça.
J'ai cru qu'Hillary avait rechuté, ou pire, qu'elle était morte, mais la réalité n'est pas telle que je la croyais.
-Comment ça, l'argent mis de côté pour mes études ? ai-je hurlé à en faire sursauter les infirmières qui passaient.

En réalité, je me fichais qu'ils utilisent mon fric pour la fac pour régler notre dette impossible au CHU.
Mais j'aurais préféré le proposer moi-même, pour passer pour le héros du jour.
  Autant dire que ce n'est pas aujourd'hui que j'ai endossé ce rôle.
-On est désolés, Rowan, a murmuré ma mère. Mais on n'a pas le choix.
  À sa tête, j'ai compris qu'ils n'avaient vraiment pas le choix, et qu'ils faisaient de leur mieux pour que ça ne se transforme pas un drame scandaleux dans l'hôpital.

  J'ai capitulé. Je sais qu'on est dans de sales draps, et en vouloir à mes parents ne changera rien. Je devrais trouver un autre moyen pour financer mes études supérieures.
  Cette perspective m'effraie, mais j'y suis résigné. C'est la vie.

  Depuis dix-huit heures, ma mère n'arrête pas de passer des coups de fil à Sharni, mon autre sœur, pour lui demander de venir à Orlando le plus rapidement possible.
  On a besoin de réunir tous les Thornhill, c'est ça ? J'ai très envie de revoir Sharni, et Hillary pourra bientôt sortir, après quelques examens de checking.

  Mais même si ce qui semble se profiler n'a pas que de mauvais présages, je suis énervé. À cause de l'argent, de notre impuissance et de tout ce bazar.
 
  Je reste dans la salle d'attente, mes écouteurs me balançant The Scientist, de Coldplay. Je ne les écoute jamais d'habitude, mais on dirait que la situation l'impose. Alors je broie du noir, dans mon coin, attendant que la situation évolue enfin. Ou se règle par magie.

  J'avais demandé à Arden de venir chez moi après les cours, sauf que je n'imaginais pas que je me ferais piéger par ma mère ici.
  Je crois qu'elle a dû changer d'avis, et ne pas venir, car elle n'aurait eu aucun moyen de me joindre. C'est bête, tout de même.
  En tout cas, je l'espère. Elle ne me pardonnera jamais de l'avoir fait poireauter pendant cent ans sur le pallier de ma porte.

  Ou pas. Je crois bien qu'elle sait où on cache le double des clefs, par dessus la grosse plante artificielle en pot.
 
  Ah. Je ferais mieux de partir, mais...C'est extrêmement injuste pour Hillary. Pfff.. Ça ne m'a servi à rien de me montrer gentil. Alors que je me lève du siège, prêt à partir comme un voleur, pour la seconde fois, ma mère émerge du couloir, complètement bouleversée.
-Rowan !
  Qu'est-ce qu'il y'a ? fais-je prudemment.
-Tu as vu ça ? balbutie-t-elle en tremblant.
-Qu'est-ce qui se passe, encore ? l'interrogé-je de plus en plus mal à l'aise.
-La facture. Elle vient d'être réglée en totalité par un virement anonyme. Je te jure que je ne comprends rien du tout, me balance-t-elle les yeux plein d'effroi. Est-ce que...tu es au courant de quelque chose ??

  Je fronce les sourcils, déçu qu'elle me soupçonne aussi vite.
-N'importe qu.., commencé-je.
  Mais je me tais subitement, pris d'un doute délirant. Non, ce ne peut être possible.
  Ce ne peut....
-Il faut que j'aille vérifier un truc, dis-je d'une voix absente.

  Et je sors en trombe du CHU, attrapant le premier bus qui me ramène chez moi. L'idée folle qui vient de se former dans mon esprit ne cesse de prendre de l'ampleur, il faut que ça cesse, que j'en ai le cœur net une bonne fois pour toutes.
  De toute façon, c'est impossible.
Parfaitement impossible.

  Une fois arrivé dans mon quartier, je constate avec soulagement qu'aucune voiture à la carrosserie impeccablement platinée de gris n'est visible dans les allées.
  Ouf. Je me demande comment j'ai pu paniquer à ce point.
  J'arrive devant chez moi et sors les clefs de ma poche en poussant un soupir de soulagement.
  Ça ne me ferait pas de mal de déposer ces affaires que je me trimballe depuis ce matin non-stop.
  J'entre sans ménagement dans le hall, The Choice is yours en musique de fond dans les écouteurs, puis balance mon sac à dos par terre, peu soucieux de le ranger à sa vraie place.

  Alors que je cours vers la cuisine pour récupérer les dernières parts de la tarte tatin que notre voisine nous a apportée (à titre de compassion pour l'accident d'Hillary), je tombe nez à nez avec une silhouette assise en tailleur sur le canapé, m'observant tranquillement.

  Je manque de faire tomber mon téléphone et faire une crise cardiaque en même temps, mais je me rattrape à la dernière seconde.
  Après deux secondes d'effarement, je retire mes écouteurs et hausse les sourcils, dorénavant perdu.
-Mais qu'est-ce que tu fais là ? sortis-je malgré moi.
-C'est gentil. Mais je te rappelle que c'est toi qui m'a invitée, me répond Arden.
-Ouais, y'a eu un problème...et..bref. J'ai pas ta voiture, pourtant, dehors ?
  Elle hausse les épaules.
-Pas prise. Je suis punie jusqu'à nouvel ordre.
-Toi ? Punie ?
-Ça t'en bouche un coin, non ? sourit-elle, d'un air sournois. Moi aussi. Ils ont dit que j'avais pas à sortir comme ça le soir, sans aucunes nouvelles ni messages, et qu'ils étaient morts de peur, bla bla bla. 

  La question que j'ai vraiment envie de lui poser est vachement plus difficile.
  Je ne sais pas comment dire ça sans avoir l'air d'un taré.
-Heu..Arden ? tenté-je misérablement. Est-ce que..enfin, tu vois, serais au courant...au courant de..ma famille...enfin il y'a eu un truc.
  Punaise, je suis misérable !
-Oui. C'est moi.

  Les muscles de mon visage se contractent en même temps. Je mentirais si je disais que je ne m'y attendais pas, mais je voulais tellement espérer que ce soit faux, qu'elle ne l'ait pas vraiment fait....
-Arden...

  Elle lève les yeux au plafond.
-C'est ta faute, tu laisses tout traîner partout, me lance-t-elle en me sortant la fiche de facture sortie de son enveloppe.

  Et merde. Pourquoi l'ai-je laissé là ?
-Arden...
  Elle se lève, exaspérée par ma passivité, et accourt à mon encontre pour me prendre les mains de force.
-Je sais que tu te dis que tu peux pas accepter, que c'est trop et que je n'ai pas le droit de me mêler de tout ça, siffle-t-elle.
Effectivement, c'est exactement ce que je pense.

-Mais dis-toi que premièrement, c'est trop tard. J'ai déjà payé avec ma carte de crédit le montant total, et ils ne risquent pas de lever le petit doigt pour me rembourser. Deuxièmement, je sais que c'est dégueulasse à dire, mais 32 000$, ce n'est rien. Ça ne va pas m'handicaper financement, et ça te rend service ; essaie de comprendre.

  Waouh. Elle vit dans un monde bien facile pour oser me soutenir que 32 000$, ça ne vaut rien. Mon sentiment de gêne ne s'est pas estompé, mais au moins, je ne lui en veux plus. Enfin presque.
-Arden. T'avais pas à faire ça. C'est...beaucoup trop.

  Je dois avoir l'air d'un insupportable profiteur, vu de l'extérieur, et je réalise que c'est ce qui me terrifie. Je ne veux pas qu'elle me voit comme ça. Il doit déjà tellement y avoir de personnes comme ça dans sa vie....
  Elle semble deviner mes pensées avant moi car elle m'attire à elle au moment où je recommence à frémir et à douter.
-Je sais, termine-t-elle par dire, le visage enfoui dans mon cou. Je ne pouvais pas te laisser tomber, tu ne l'as jamais fait, toi.

Pas si mauvaise...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant