PDV de Rowan
Ça craint. C'est ce que je n'arrête pas de me dire depuis que je suis chez moi, et franchement, l'absence de messages d'Anger ne m'aide pas à penser le contraire.
-Tu fais quoi Rowan ? Allez dégage ! m'ordonne ma grande sœur, Hillary.
Je suis devant le PC du bureau de mon père depuis cinq minutes et elle vient déjà me rendre fou.
-Attends, je fais un truc.
Elle se met à râler, en répétant en boucle que je suis la plaie de cette famille et que c'est un miracle qu'on partage le même ADN. Mais aidez-la, elle a dix-neuf ans !
Contrairement aux gens de son âge, elle vit très bien le fait de loger encore chez ses parents et se contente de son boulot naze de caissière de supermarché.
Au lieu de la pousser à continuer ses études et trouver un véritable job, mes parents la dorlotent et couvrent ses frais, la laissant libre d'utiliser la totalité de son salaire dans des palettes de maquillage et des fringues hors de prix.
Alors oui, je la hais.Le pire, ce n'est pas ça, en plus. Parce que j'ai une autre sœur, qui se trouve être la jumelle de Hillary. Elles ont les mêmes cheveux châtains ondulés, et les mêmes yeux noirs, mais leur caractère est diamétralement opposé.
Hillary a horreur des gens qui ont un avis différent du sien, et passe son temps à crier sur tout le monde, et convoiter ce qu'elle n'a pas.
Sharni, elle, est la fille la plus sympa qui existe sur Terre. En gros, c'est l'amie de tout Facebook Elle adore discuter avec les inconnus et est tellement sociable que tout le monde l'adore. À la différence de son double maléfique, elle étudie à Yale et passe son diplôme cette année. En parallèle, elle travaille dans une société de management Clockworks, et m'envoie parfois des chèques à mon anniversaire, ou à Noël.On s'amusait comme des fous, elle et moi quand elle était là ; Sharni et moi étions beaucoup plus en symbiose qu'elle et Hillary. D'ailleurs, les gens le font souvent remarquer à mes parents.
Malheureusement pour moi, Sharni ne vit plus à la maison, et se montre une fois ou deux dans l'année, quand elle n'est pas en Californie. Donc, oui, je dois me coltiner l'autre imbécile jusqu'à ce que je sois assez vieux pour me tailler d'ici.
-Deux minutes, je regarde les horaires des bus, fais-je, pour gagner du temps.
-Une minute, pas plus, concède-t-elle. Et pourquoi tu t'achètes pas une voiture ?
-Pourquoi tu vis encore chez tes parents ? je rétorque en imitant sa voix.
Un point pour moi.
Mais elle se venge en me jetant un oreiller à la figure. J'ai de la chance. Une fois, elle était tellement furax qu'elle m'a balancé son parfum Nina Ricci, en pleine face, et je me suis ouvert le front.
C'est dangereux de vivre dans cette maison.
-Bon, assez attendu. Allez bouge, je dois skyper avec Candace, s'impatiente-t-elle.
Je tente de grappiller quelques minutes de plus, mais elle m'éjecte impitoyablement du siège. Je la gratifie d'un magnifique doigt d'honneur puis réfléchis deux secondes avant de lui cracher dessus.
Et je cours.-Mamaaaaaaan !!!!!!!
Le plus loin possible.
-Maamaaaan !!!!
Je descends les escaliers. Ma mère est à la cuisine ; elle fait des crêpes et le bruit du mixeur l'empêche sûrement d'entendre sa fille pourrie gâtée.
-Maammaaannn !!!!
Je sors dans le jardin. Je sais, c'est dingue d'avoir autant peur de ma propre sœur, mais vous ne la connaissez pas. Elle m'aurait sûrement vendu pour sauver sa peau. Ou juste pour le fun.
Je m'assois dans l'herbe, attendant que la tempête passe. Ça prend en général pas plus d'une heure, il suffit qu'elle tchatte un peu en ligne avec ses amis, et c'est réglé.
Mon téléphone se met à vibrer.
Anger.
-Oui ?
-Rowan !
L'enthousiasme qu'il affiche se sent à des kilomètres.
-Quoi ?
-Attends...T'es de mauvaise humeur ? Il se passe quoi ?
-Bah non.
Je vois VRAIMENT pas pourquoi je pourrais être contrarié.
-T'es sûr ? Hillary Thornhill te fait pas des misères ? fait-il semblant de s'apitoyer.
-Oh, la ferme, Anger. T'as jamais mérité ton prénom, répliqué-je.
-Parce que je n'ai rien d'un ange ? C'est vexant.
-Ouais, ouais.
Je pose la question qui me brûle les lèvres.
-Comment c'était chez Chelsea ?
Anger ne répond pas tout de suite. Je sens à des kilomètres qu'il est en train de se repasser le souvenir dans sa tête.
-Cool.
-Et la version développée ?
-Très cool.
-Content pour toi. Salut.
-Attends ! Qu'est ce qui t'arrive ?
-Bah, j'ai dit salut.
-OK, mais Rowan, si tu me dis rien, comment tu veux que..oh et puis merde. J'en ai marre.
-Marre de quoi ?
-De vos cachotteries à deux balles. Comment vous voulez qu'on arrange les choses si vous ne faites pas d'efforts et vous voulez pas parler ?
Je vois rouge.
-Moi je fais pas d'efforts ? lancé-je. C'est la meilleure ! Depuis le début, je te laisse faire tes affaires avec cette salope, sans rien te demander en retour !Immédiatement, je regrette mes paroles et je prie l'univers pour remonter le temps, mais il est trop tard.
-Rowan.
-Je voulais pas dire ça, tenté-je de me rattraper.
-Ne reparle plus jamais d'elle comme ça. Tu ne la connais pas.
-Mais toi non plus, Anger !
-Je crois qu'on a plus rien à se dire. Salut.
Et la communication coupe.Je regarde l'écran de mon téléphone. Qu'est-ce qui vient de se passer ? Anger vient-il réellement de couper les ponts avec moi ?
J'essaie de le rappeler, mais cet idiot ne répond pas. C'est pas juste, bordel, ça devait pas se passer comme ça.Je cherche dans mes contacts la seule personne susceptible de m'écouter, la seule en qui j'ai vraiment confiance et la seule qui pourra me conseiller.
Je compose le numéro.
-Allô ?
-Sharni ? C'est Rowan.
-Rowan ? Mon Dieu, ça fait tellement longtemps. Désolée de pas t'avoir appelé, j'ai des tonnes de révisions.
-Pas grave.
-...Y'a un souci, c'est ça ? Attends, je suis dans mon bureau là, je vais me cacher dans les toilettes.
Je ris intérieurement. Elle est toujours autant dévouée et n'a rien perdu de sa capacité à flairer les baisses de moral.
-C'est bon, je suis hors de la zone d'audition des employés. Qu'est ce qui va pas Rowan ? demande-t-elle doucement. T'as eu un problème avec tes amis ?
-Exactement.
-Mais c'est à cause d'Anger que tu m'as appelée.
-Exactement.
-Il te fait la tête, mais tu n'es pas sûr de la manière dont tu devrais t'y prendre pour te faire pardonner, ni même si tu dois demander pardon.
-Comment tu fais pour tout savoir ? demandé-je.
-J'ai été ado aussi.
-Ah oui, à une époque.
-Eh, j'ai dix-neuf ans, guignol ! s'exclame Sharni. Bon, pour ton pote, laisse-lui du temps s'il en a besoin et présente lui les excuses les plus sincères que tu peux imaginer.
-Même si je ne les pense pas vraiment ?
-Précisément si tu ne les penses pas vraiment.
-Ah.
-Bon, je dois te laisser, mais t'en fais pas, je te rappellerai demain !
-Merci, je ne sais pas ce que je ferai sans toi.
-C'est normal, je suis géniale ! rigole-t-elle.
En raccrochant, une nouvelle idée se forme dans ma tête. Je rentre à la maison, découvrant avec exaspération que Hillary a mangé toutes les crêpes que maman a préparées. Mais ce n'est pas ce qui me préoccupe.
J'aide à faire la vaisselle et me propose même pour mettre la table pour le dîner.
Ma mère n'est pas dupe et se dépêche d'anticiper mes manigances.
-OK, Rowan Thornhill, qu'est ce que tu veux ? De l'argent peut-être ?
-Non, je réponds en respirant à fond. Il y'a une fête demain soir chez Arden Wayans, je peux y aller ?
Hillary me dévisage hargneusement.
-Wayans ? Chanel Wayans ? Comme la fille qui est tout le temps reine du bal du printemps ? s'enquiert-elle.
-Oui, fais-je en levant les yeux au plafond.
-Mais comment se fait-il qu'elle t'invite, toi ? grimace ma sœur en me montrant du doigt.
Sympa. Je suis donc un renégat officiel.
-Tu sais, on est amis elle et moi, ajouté-je pour la faire enrager.
Ce n'est pas complètement un mensonge dans la mesure où on s'est déjà parlés et qu'elle ne me déteste pas, non ?
Mais si Hillary bout littéralement de colère, ma mère en revanche, est transportée.
-Oooh, et tu nous présenteras ton amie, j'espère, déclare-t-elle d'un ton complice.
-Peut-être, je réponds.
Au secours, je souhaite à tout prix échapper à cette discussion.
-Et elle est mignonne ? questionne ma mère.
J'ai envie de disparaitre sous terre.
Ma sœur dégaine son téléphone et affiche le compte instagram d'Arden sous les yeux émerveillés de notre mère. Oh. Mon. Dieu.
-Mais elle est canon, ma parole ! Bon, elle s'habille quand même un peu léger, mais mon fils, je serai ravie de la rencontrer !C'est un cauchemar, sauvez-moi.
-Alors, je peux y aller ?
Ma mère hausse les épaules.
-Amuse-toi, tu ne sors pratiquement jamais. Rentre juste pas trop tard, insiste-t-elle.
Je retrouve le sourire. Et Hillary perd le sien.
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Pas si mauvaise...
RomanceLes apparences sont parfois trompeuses. Cette phrase n'a jamais été aussi vraie pour les élèves de Wirginia Lake. C'est en portant sans arrêt un masque pour cacher sa véritable nature qu'on ne sait plus quoi faire quand il nous est retiré. Ar...