1) Sendai

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Cela faisait une heure que je m'entrainais seul dans cette patinoire, et je n'étais bon à rien. Même le double axel m'échappait, peut-être que maman avait raison et que j'étais un incapable...
Je ne sentis pas les premières secousses, perdu dans mes pensées et mon entraînement. Alors que je retentais un axel au milieu de la patinoire, le bâtiment trembla fortement, me faisant chuter sur ma réception. Je grimaçai de douleur en touchant ma cheville : minimum entorse, maximum ligaments croisés d'après mon expérience... Les casiers qui contenaient les patins au bord de la glace se renversèrent et je regardai le plafond avec appréhension. Est-ce que la patinoire était parasismique ? Avec un peu de chance il y aurait juste deux-trois petites secousses, ce ne serait pas la première fois que ça arriverait...
Ce fut le dixième tremblement qui m'effraya vraiment :  la glace se craqua, et certaines fenêtres explosèrent. Je me recroquevillai sur la glace, espérant que ça passe. Les nombreux exercices répétés à l'école me revinrent en mémoire : ne restez pas dans un bâtiment, trouvez un adulte, signalez-vous... J'étais incapable dans appliquer un seul : en plein milieu d'un bâtiment sans abri, tout seul, sans possibilités d'appeler à l'aide et complètement immobilisé. J'allais mourir, c'était une certitude... Au moins je mourrais sur la glace, mais est-ce que j'allais avoir mal ?
Des craquements sinistres suivirent une énième secousse et je vis avec horreur une partie du plafond se détacher, tombant droit sur moi. Je hurlai en fermant les yeux et je sentis quelque chose pousser douloureusement dans mon dos : un débris ? J'entendis l'impact sans le sentir et je restais prostré en attendant... Si ce qui venait de s'écraser n'avait pas fini sur moi, d'autres morceaux ne me rateraient pas et je ne voulais pas avoir ça comme dernière image...
Au bout d'un temps qui me parut infini, les secousses se calmèrent, puis s'arrêtèrent. J'ouvris doucement les yeux ; pourquoi n'étais-je pas mort ?
En me relevant, je m'aperçus qu'une espèce de gangue de glace m'entourait telle un igloo miniature mais lorsque je voulus la toucher, elle se désagrégea en particules glacées. Un spectacle de fin du monde s'offrit alors à moi : la patinoire éventrée, les murs et le plafond défoncés reposant par morceaux partout autour de moi, et mon petit îlot de sûreté au milieu de tout ça, immaculé comme à son premier jour... Je me mis debout en tremblant et regarda mon pied : aucune douleur ne se faisait sentir. Avais-je confondu un simple bleu avec une entorse ? Peu importe...
Je me dirigeai vers les bancs en évitant les décombres et m'aperçus que l'entrée était bloquée par un morceau de ferraille. Sans réelle conviction, je tentai de soulever la barre et à ma grande surprise, je l'éjectai à quelques mètres, où elle creusa un petit cratère en tombant.
Mon cerveau n'était pas apte à analyser ce qui venait juste de se passer... Je sortis le plus vite possible en courant pour chercher quelqu'un qui puisse m'aider, me raccrocher à ma réalité. Malheureusement, celle-ci s'effrita un peu plus quand je sentis quelque chose me bloquer alors que je passais sous un décombre. En tournant la tête j'aperçus deux ailes blanches, énormes. Dans mon dos. Je faillis tourner de l'oeil...
Je ne comprenais pas : pourquoi, comment ? Je voulais qu'elles partent, qu'elles disparaissent, elles n'avaient rien à faire là ! En contractant les muscles de mon dos, je les sentis se rétracter et je soupirai de soulagement, respirant un peu mieux. En suivant le principe du « pas vu, pas pris », on pouvait avoir « pas vu, pas eu » ; je m'en contenterais pour le moment...

Alors que je me dirigeais vers chez moi, j'aperçus enfin quelqu'un, enfin. Je le connaissais, c'était un fleuriste qui habitait juste en bas de ma rue, un homme adorable qui avait toujours été gentil avec moi. Je courus vers lui pour l'aider à se relever ; le pauvre était couvert de sang et devait s'être pris un débris dans son magasin.

-Hanyu-kun ? Qu'est-ce que tu fais là, tu n'es pas blessé ?

J'allais lui répondre que vu la situation de son abdomen, c'était pour lui qu'il fallait s'inquiéter quand je sentis un odeur étrange. Je ne l'avais jamais senti jusqu'à là... Je baissai les yeux sur la blessure ouverte et sanguinolente de l'homme, me rendant compte que l'odeur semblait venir de là.
Pourquoi sentait-il comme ça ? Je ne m'étais même pas rendu compte que ma gorge était si sèche... Sans réfléchir, je plongeai dans le cou de l'homme ; je sentais par instinct que c'était là que je trouverais ce dont j'avais besoin...
Je frémis en sentant la peau se déchirer sous mes dents, fragile, mais le liquide que je sentis couler dans ma gorge me donna envie de mordre plus profondément, d'en avoir plus ; c'était délicieux, je n'avais jamais rien gouté d'aussi délicieux... J'avais l'impression que je ne pourrais jamais m'arrêter mais l'humain en dessous se débattait, il me gênait. Pourquoi n'arrêtait-il pas, ses mouvements me dérangeaient et c'était plus dur de boire... J'enfonçai un peu plus mes dents et l'homme arrêta de s'agiter et gémit faiblement, appuyant sa main sur ma tête comme pour m'empêcher d'arrêter : c'était bien mieux comme ça...
Je sentis cependant que le liquide se raréfiait, jusqu'à ce qu'il n'y en ait plus et je me redressai en regardant dans les environs pour voir où je pourrais en retrouver.
Je clignai des yeux en baissant la tête pour demander conseil à l'homme mais me stoppai en voyant son état : la plaie qu'il avait au ventre semblait à présent moins effrayante que celle de son cou, béante. L'homme avait les pupilles complètement dilatées et reposait mollement dans mes bras.
La réalité me heurta de plein fouet et je me sentis suffoquer ; il était mort,  je venais de tuer quelqu'un. Je l'avais égorgé, vidé de son sang, qu'est ce qui m'avait pris ?...
Je le lâchai et reculai, cherchant quelque chose à quoi me raccrocher pour sortir de ce cauchemar. Je me sentais mal, sale, je voulais vomir... Je regardai mes mains et les vis couvertes de sang.
Alors je m'enfuis... Sans regarder en arrière, en trébuchant sur les débris du chemin. Il y avait des gens en tenue fluorescente mais je ne voulais pas les approcher, je risquais de les blesser, de les tuer, comme le fleuriste... J'étais à bout de force et je finis par tomber par terre, me roulant en boule. J'entendis encore des gens crier mais je n'arrivais plus à bouger. Je fermai les yeux en espérant qu'ils se taisent et me laissent en paix....

Ice KingOù les histoires vivent. Découvrez maintenant