le garde du corps | vkook

43.

De retour à la villa, plusieurs médecins ont pris en charge de Taehyung dans une chambre spécialement conçue en cas de problèmes de ce genre. Autant dire qu'il prévoit absolument tout à l'avance. En même temps, se rendre à l'hôpital alors que nous sommes recherchés par les services de police n'est vraiment pas très prudent.

Un des médecins m'a très vite rassuré. Il semble qu'il soit sonné par le coup, et que ses blessures ne soient que superficielles. D'ailleurs, il s'est très vite réveillé. Il n'a aucun trouble de mémoire et se souvient de chaque détail de sa vie, et également de l'accident. Nous avons eu énormément de chance. L'optique de Seokjin était de le tuer, et il n'a pas réussi.

Je suis persuadé que c'est un signe du destin. Aucun de nous ne devait mourir cette nuit-là, et aucun de nous ne va mourir prochainement. C'est à Seokjin de mourir. Ma haine envers lui, que je pensais déjà incommensurable, est encore plus grande désormais. Je vais le tuer de mes propres mains. Cela ne sera ni Taehyung ni personne d'autre, si ce n'est moi qui mettra fin à ses jours. Seul sa mort pourra assouvir cette profonde haine en moi.

Deux jours se sont écoulés depuis l'accident. Mon patron va très bien, son visage est recouvert d'une dizaine de pansements, mais il est sain et sauf, physiquement et mentalement.

« -Jungkook, j'ai quelque chose à te montrer, fit Taehyung, calmement. »

Son air semble grave et même légèrement triste. J'espère sincèrement qu'il ne va pas m'annoncer une mauvaise nouvelle.

Il referme son peignoir de chambre, enfile des chaussons, et quitte la pièce, à pas légers. Je le suis sans dire un mot. Nous traversons l'entièreté de la maison, puis la quittons en passant par la baie vitrée du salon. Son chemin se fraie jusqu'au jardin de la demeure. Jardin que je n'ai pas encore visité d'ailleurs. Nous passons entre des rangées de cerisier, puis dépassons un cabanon en bois. Nous finissons enfin par arriver tout au fond du terrain, et c'est là que je comprends de quoi il s'agit.

Une grande tombe est construite sur une plateforme, en haut d'environ cinq marches d'escalier. Je sais déjà qui y réside. Le nom de Kim Iseul, décédée le 29 avril 2013, y est inscrit. Mon cœur se serre. Je sais que Taehyung franchit un énorme pas vers moi en faisant cela. Il me prouve bien plus que son amour envers moi, mais aussi une confiance profonde.

Il gravit les marches tout aussi lentement que précédemment, et m'invite à le suivre. Une fois face à la pierre tombale, il se laisse tomber sur les genoux, et pose délicatement son front sur le sol. Je m'assois à ses côtés, conscient que les prochaines minutes qui s'écouleront seront très douloureuses pour lui.

« -J'ai frôlé la mort l'autre jour, Jungkook. J'ai failli te perdre à tout jamais, commence-t-il. J'ai réellement eu la sensation de mourir pendant quelques minutes, quand le choc m'a sonné... »

Il marque une courte pause avant de reprendre :

« -Les seules images qui ont défilé dans ma tête étaient toi, et ma grand-mère. Je t'imaginais pleurer ma perte, et te faire tuer par Seokjin. Si je n'avais plus été là pour te protéger, il t'aurait traqué pendant des années jusqu'à mettre fin à tes jours, souffle-t-il. Ma grand-mère est apparue dans mes pensées, et elle m'a dit de me battre. De ne pas laisser tomber, de sortir de ce tunnel, et de te rejoindre. Elle m'a dit que je ne pouvais pas t'abandonner ainsi. Peut-être que c'est mon imagination, ou peut-être que c'était réellement son esprit et que j'étais littéralement en train de côtoyer la mort de très près. Enfin, peu importe. Mais j'ai pris conscience que si elle avait encore été là, elle t'aurait adoré. Elle n'aurait cessé de me répéter que tu étais un homme à marier. Que je me devais de te chérir et de te protéger chaque jour de ma vie.

-C'est ce que tu fais, Taehyung. Tu m'aimes, et me protèges chaque jour de ta vie. Tu joues ton rôle à la perfection, crois-moi, dis-je, afin de le rassurer.

-Non, ce n'est pas le cas. J'ai failli fléchir, et me comporter en lâche. Je me suis presque laissé mourir ! s'exclame-t-il. »

Son ton s'est emballé, et a résonné fortement dans le jardin. Quand il a prononcé ces dernières phrases, il a relevé la tête, et m'a fixé d'un regard sévère. Il est bien trop exigeant avec lui-même. Personne n'aurait pu prévenir que Seokjin attaquerait à ce moment, alors que nous étions loin de notre repère. Personne n'aurait pu prévoir qu'il provoquerait un accident.

« -Maman... je te présente, Jungkook. L'homme dont tu as toujours rêvé pour moi. Oui, j'ai mis du temps à le comprendre, mais, j'en ai la certitude maintenant. »

Je perçois désormais, quelques sanglots dans sa voix étouffée. Il va se mettre à pleurer, c'est évident. Moi aussi, je sens le trajet de quelques gouttelettes le long de mes joues. Le voir dans cet état me fait plus mal que si je me trouvais à sa place. J'assimile lentement le lien fort qui l'unissait à sa grand-mère. Il la considérait comme une mère. 

« -Il... il est formidable. Je lui ai fait les pires choses possibles, mais il est toujours resté auprès de moi. Il m'a supporté, et a eu la patience d'attendre que je comprenne qu'il était le bon. Comme tu le sais, je ne suis pas facile à dompter, mais il y est parvenu. Il ne me fera jamais aucun mal, je le sais, et je sais que toi aussi, tu le sais. »

Il peine à trouver les bons moments. Même retrouver sa voix est difficile tant il est ému. Je pense que cela doit faire pas mal de temps qu'il ne s'est pas présenté sur cette tombe. Peut-être qu'il ne le fait que rarement car cela lui fait trop mal.

Je caresse son dos du bout de mon pouce, délicatement. Cela l'apaise quelques instants, puis, il reprend son monologue :

« -Je sais que je t'ai déçu. J'ai fait bien plus de mal que je n'aurais dû. J'ai tué bien plus de monde que je n'aurais dû. Mais pendant cette période, je n'avais pas Jungkook. Maintenant que je l'ai, je ne tuerai que si c'est nécessaire ou uniquement si c'est pour le protéger. Je vais essayer de faire le bien autour de moi, même si ça ne sera pas chose facile étant donné mes mauvaises habitudes. Pardonne-moi Maman, pardonne-moi, je t'en supplie. J'ai pris conscience d'énormément de choses, je compte m'améliorer, et devenir quelqu'un de mieux. Pas quelqu'un de bien ou de bon, non, ça, je ne le pourrais jamais. J'ai fait trop de mal pour le devenir. Mais au moins, devenir quelqu'un de mieux. »

Soudain, il se laisse tomber sur moi, comme un poids lourd. Je l'entends pleurer bruyamment. Cette image est poignante. Lui qui se montre impénétrable et en réalité empli de douleur. J'ai terriblement de peine pour lui, jamais personne ne l'a aidé avant moi. Comment a-t-il pu endurer tout cela, tout seul ?

Cet homme a tant souffert, il a traversé tant d'événements horribles. Je veux porter son fardeau sur mes épaules. Si il a tué, et bien j'ai tué aussi. Si il a été trafiquant, je l'ai été aussi. Tous ses mauvais choix, toutes ses mauvaises actions, toutes ses mauvaises pensées sont également miennes. Il ne sera jamais plus seul.