-Je n'aime pas que vous écriviez sur un carnet la moindre de mes réactions, murmura de sa voix tremblante et mal assurée Ambre.
Romain se pencha en avant. Voilà plusieurs jours qu'il soumettait la jeune femme à sa présence. Jusqu'ici, il n'y avait pas eu de changement majeur. Ambre se recroquevillait toujours contre le mur, tremblante et agonisante dès qu'il s'approchait d'un peu trop près, l'obligeant à passer tous leurs entretiens à l'autre bout de la pièce. Il la soumettait parfois à de petits tests, afin d'observer son comportement. Malheureusement, Ambre réagissait la plupart du temps très mal. En éteignant la lumière dans sa chambre, il avait pu entendre ses hurlements désespérés. Il avait rallumé en catastrophe, se rendant compte qu'elle était en train de tourner de l'œil. Lorsqu'il avait ouvert les rideaux et qu'elle avait entraperçu le ciel, elle s'était roulé en boule puis avait tenté de sortir de la chambre. Un désastre. Mais qu'est-ce qui pouvait bien causer toutes ses réactions chez la jeune femme ? La peur de l'obscurité est assez commune mais de là à s'évanouir... Quant à la peur du ciel et des astres, Romain avait beau l'interroger et cogiter de son côté, il n'y trouvait aucune raison logique.
-Ah oui ? Et pourquoi ça ? la questionna-t-il étonné.
De toute son expérience en tant que médecin-psychiatre, c'était la première fois qu'un patient lui exposait sa réticence à ce qu'il prenne des notes. Ambre baissa le regard. Romain avait déjà remarqué ce petit geste plutôt gênant.
-Ambre... Votre regard. Regardez-moi, je ne suis pas votre agresseur, dit-il gentiment.
Elle sembla hésiter, puis leva les yeux quelques secondes. Son regard noisette s'arrima à celui du docteur. Mais prise d'une panique soudaine, elle le rabaissa immédiatement. Romain réprima un soupir. C'était un début...
-Parce que... Ça me rappelle que je suis dans un hôpital psychiatrique, considérée comme malade. Pourtant, je ne suis pas folle ! expliqua-t-elle, laissant son regard parcourir le carrelage blanc qui marbrait le sol.
-Non, vous n'êtes pas folle. Juste effrayée. Mais vous pensez-vous capable de vivre hors d'ici ?
Ambre prit le temps de réfléchir à sa question. Au fil des années, cette chambre avait constitué à ses yeux un lieu de paix et de silence. Cet espace, elle l'avait apprivoisé et l'idée même de le quitter la plongeait dans une panique incommensurable. Revenir à une vie normale signifiait également être confrontée à chaque instant à des événements qui la terrifieraient. Depuis cinq ans, ce lieu était semblable à une bulle de protection. Une zone dans laquelle elle se sentait en sécurité, du moment qu'elle y était seule. Elle secoua la tête négativement.
Romain hocha la tête, satisfait de cette réponse. Elle semblait consciente d'avoir terriblement besoin d'aide. Cependant, plus il l'observait, plus il lui semblait que cette zone de confort qu'elle s'était créée demeurait néfaste pour elle. Le monde d'Ambre avait cessé de tourner le jour de son agression et s'était définitivement brisé à la mort de ses parents. Même si elle parvenait à surmonter ses peurs, rien ne disait qu'elle se construirait une vie heureuse. Dans cet hôpital, elle ne se confrontait pas à la réalité. Mais le moment de la "confronter" n'était certainement pas encore venu. Elle demeurait bien trop fragile et ses tremblements constants ne faisaient que renforcer cette impression. Ambre se mit à sangloter silencieusement, elle était à bout de force.
-Je... Je veux être seule... Laissez-moi tranquille...
En voyant les larmes dévaster son beau visage, Romain n'avait qu'un désir : accourir la prendre dans ses bras pour la réconforter. Et anéantir à jamais ses chances qu'elle lui fasse un jour confiance. Quelque chose le troublait dans la fine silhouette craintive qui lui faisait face chaque jour. Elle était tellement différentes de ses autres patientes qui souffraient pour la plupart de troubles alimentaires et de phobies moindres. Mais il avait tout intérêt à oublier ces sentiments naissants. Ambre était sa patiente et bien trop fragile pour qu'il puisse tenter quoique ce soit. Et au bord de la crise de panique s'il ne se décidait pas à la laisser reprendre son souffle.
-Je reviens dans dix minutes vous apporter votre repas, dit-il en se levant de sa chaise.
La voir souffrir ainsi à cause de sa présence ne lui plaisait absolument pas mais il était de son devoir de la pousser jusqu'à ses limites. Romain espérait des nets progrès la concernant. Il sentait qu'elle en était capable.
Ambre se laissa tomber sur son lit. Seulement dix misérables minutes pour se calmer avant qu'il ne revienne. Elle appréciait énormément le tact dont il faisait preuve à son égard mais son regard noir la pétrifiait à chaque fois qu'elle jetait un regard sur lui. A chaque instant, la jeune femme avait l'impression qu'il pouvait se jeter sur elle. Ambre se sentait étouffer en sa présence. La porte s'entrouvrit à nouveau et elle se laissa tomber au sol. Aussitôt, les tremblements reprirent. Il déposa au sol dans un coin de la pièce un plateau empli de nourriture et retourna s'asseoir sur sa chaise, minuscule par rapport à son corps immense.
-Je te propose un accord. Tu manges au moins la moitié de ton plateau et je te laisse tranquille jusqu'à demain. D'accord ?
Ambre sentit une bouffée de panique l'envahir et secoua immédiatement la tête, trop chamboulée pour prononcer un seul mot. Non, pas d'accord du tout. Tout d'abord, la simple odeur de nourriture lui retournait l'estomac. Ensuite, aller prendre le plateau signifiait devoir s'approcher de lui.
-Je te jure de ne faire aucun mouvement. Je reste cloué à ma chaise, tenta de la mettre en confiance le médecin. Rappelle-toi, je n'ai jamais failli à cette promesse...
La jeune patiente n'avait pas le choix. Si elle souhaitait rester seule, il fallait qu'elle se lève pour prendre ce maudit plateau et enfin se nourrir. Romain profiterait de ce mouvement pour vérifier qu'elle ne portait pas de blessures. Cette simple vérification remplacerait les examens physiques jusqu'à ce qu'elle supporte les contacts humains. Après tout, ce que les infirmières regardaient principalement étaient les éventuelles blessures que pourraient s'infliger eux-même les patients.
-Prend ton temps... conseilla le médecin en lui adressant un sourire réconfortant.
Et une vingtaine de minutes plus tard, Ambre se leva toute chancelante. Elle fixait le médecin avec méfiance, vérifiant qu'il respectait sa promesse. Elle rasa le mur. Des larmes dévalaient ses joues et sa respiration devint saccadée. Son cœur battait la chamade. Sa tête lui tournait et elle eut peur le temps d'un instant de s'écrouler au sol de frayeur. De temps à autre, la voix chaude du médecin l'encourageait. Pas à pas, elle s'approchait du plateau ainsi que de Romain qui souriait, triomphant. Il y a une semaine, Ambre n'aurait jamais pu faire ça. Lentement, il constatait les premiers progrès.
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Aie Confiance
Romance"-Tu vois, je ne te veux aucun mal." Ce sont ces mots qui déconcertèrent Ambre dans ses convictions. Depuis son agression, Ambre a peur du contact humains et ne parvient à faire confiance à personne. Cette peur qui la dévore l'a rendue inapte à vivr...