Chapitre 17

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L'obscurité, les ombres menaçantes dans les arbres, les branches pointues qui s'enfonçaient dans sa peau... Tout rappelait à Ambre cette nuit d'horreur durant laquelle l'homme lui avait sauté dessus comme si elle était un morceau de viande. La nuit la terrifiait, l'écrasait. Lorsque Romain posa une main puissante sur son épaule, elle trembla davantage. Elle ressentait encore la langue de son agresseur sur sa peau, sur sa poitrine. Ambre crut qu'elle perdait la tête. Elle ignorait si elle criait, si elle remuait. Quelle heure était-il ? La jeune femme se sentit soudain soulevée. Était-ce son violeur qui l'avait de nouveau paralysée ? Une aiguille traversa son épiderme et un noir définitif vint l'envahir.

Romain la secoua par les épaules. Paniquée, elle ne semblait même plus le voir, comme si elle se débattait dans un cauchemar réel. Les mots et les cris ne servirent à rien. Elle demeurait insensible à ses efforts pour la sortir de sa folie. Ambre était partie dans une autre dimension : le monde terrifiant du passé dans lequel il ne pouvait malheureusement pas l'atteindre. 

Gardant une main crispée sur son poignet, il prépara la seringue de secours que chaque médecin travaillant dans un hôpital psychiatrique devait garder sur lui en présence des patients. Depuis qu'il s'occupait de son dossier, la jeune femme n'avait jamais fait une crise de panique comme celle-ci. Ça en était presque effrayant. Bien entendu, il avait dû gérer des crises plus intenses mais concernant la jeune femme qui le troublait, il était incapable de réagir aussi mécaniquement qu'avec ses autres patients. 

Il souleva le tissu de son tee-shirt et injecta lentement le puissant sédatif dans le muscle de son épaule osseuse. Malgré l'obscurité, il avait suffisamment utilisé une seringue dans sa vie pour trouver sans difficulté le bon emplacement. Romain détestait l'idée de droguer la jeune femme pour l'endormir mais il n'avait pas le choix : elle aurait pu se blesser dans cet accès de folie. Lorsque son corps devint inerte dans ses bras, il la couvrit de sa veste. Il consulta son portable mais comme il le pensait, le réseau était inexistant dans ce lieu perdu. Perdus en forêt en pleine nuit sans moyen de communication et avec une jeune fille frêle sur les bras : peut-on faire mieux en matière d'irresponsabilité ?

Après quelques minutes à réfléchir à un moyen rapide de rentrer, les nuages s'écartèrent et des rayons de lune se déposèrent sur un petit sentier plus accentué que les autres. Que risquait-il à le suivre ? Ils étaient de toutes manières bloqués dans cette parties de forêt tant que la marée ne serait pas descendue. Délicatement, il passa ses mains dans son dos et sous ses genoux afin de la soulever sans blesser davantage sa cheville. 

Une minuscule maisonnette apparut au milieu d'une clairière. Qui pouvait bien vivre en plein milieu de la forêt ? Peu importait, du moment qu'il pouvait mettre Ambre à l'abris. 

-Excusez-moi !? cria-t-il après plusieurs coups sur la porte de bois.

Cette maison était forcément habitée : on pouvait distinguer un rai de lumière sous le battant. Enfin, elle s'entrouvrit légèrement et une jeune femme d'environ dix-huit ou dix-neuf lui jeta un regard méfiant sans un mot.

-Euh... Bonsoir, on peut entrer ? Cette femme est blessée à la cheville, désigna-t-il Ambre.

La porte se referma dans un claquement sec. Des voix résonnèrent à l'intérieur de la bâtisse. Cette fois-ci, ce fut le visage ridé d'un vieillard qui apparut. Il ne semblait guère plus accueillant. Romain entreprit de narrer l'histoire qui les avait conduit dans cette forêt. Le grand-père fronça les sourcils, le regard fixé sur Ambre, plongée dans son sommeil superficiel.

-Il fallait le dire plus tôt ! Entrez. Marie, viens m'aider ! Il faut qu'on installe cette jeune femme dans la chambre la plus chauffée. Je m'appelle Carl Thomas, se tourna-t-il vers Romain.

Aussitôt, l'adolescente restée en retrait courut jusqu'à une pièce d'où elle revint avec plusieurs couvertures. Une fois Ambre correctement installée et que Romain eut contrôlé son état de santé, il sortit rejoindre leur hôte inopiné.

-Je vous remercie de votre hospitalité, nous repartirons dès demain.

-Ne vous en faites pas, rien ne presse, déclara-t-il en lui servant un verre d'alcool. Et pardonnez nos mauvaises manières. Nous croyions que c'était un des villageois qui venait encore nous humilier. 

Romain, tout d'abord anxieux à l'idée de confier leur identité à de parfaits inconnus, s'était vite aperçu grâce à leur franchise et leur gentillesse que Carl et Marie étaient inoffensifs. Le vieillard, garde champêtre, vivait depuis de nombreuses années dans cette maison en compagnie de sa petite-fille Marie, âgée de dix-neuf. Ils ne devaient pas être originaires de Bretagne ni même de France en raison de leur accent poussé. L'adolescente ne disait rien et gardait le nez baissé dans sa tasse de thé. Timide, déduit-il.   

-Pardon ? Pourquoi voudraient-ils vous humilier ?

-Nous sommes étrangers et les villageois ne nous ont jamais vraiment acceptés. Et l'aphasie de Marie n'aide pas.

Voyant sa réticence à développer, Romain n'insista pas. Mais il comprenait mieux le mutisme de l'adolescente. La situation devait être terrible à vivre pour eux.

Carl jugeait du regard le jeune homme qui affirmait être médecin. Bien qu'il se montre très poli et agréable, il prêtait attention à ne pas trop dévoiler de l'identité ou de la maladie de sa jeune patiente qui dormait dans la chambre de Marie. Au moins, il respectait le secret professionnel. Il leur était déjà arrivé plusieurs fois d'héberger des touristes perdus ou bloqués par la marée mais jamais une patiente apeurée et son médecin "beau gosse ténébreux". Peu lui importait tant qu'ils restaient respectueux et sympathiques. 

De plus, Marie, habituellement mal-à-l'aise en présence d'inconnus s'était approchée d'elle-même afin d'écouter les conversations. Depuis l'accident qui lui avait retiré la voix, elle demeurait honteuse à l'idée de fréquenter des inconnus. Il remarqua que les joues de sa petite-fille rosissaient régulièrement. Tombait-elle sous son charme ? Après tout, c'était de son âge. Les deux hommes discutèrent une bonne heure.

-Excusez-moi, je vais vérifier si Ambre va bien. Je ne voudrais qu'elle ne panique.

Ambre émergeait lentement. Un énorme mal de tête la prit et elle referma les yeux. Elle ne parvenait plus à se rappeler dans quelles circonstances le sommeil s'était emparé d'elle. La porte grinça et Romain entra, un triste sourire aux lèvres. Il prit place à son chevet.

-Comment tu te sens ? caressa-t-il son visage pâle.

-J'ai la bouche pâteuse... Qu'est-ce qui s'est passé ? dit-elle faiblement. Elle luttait encore contre le sommeil.



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