Chapitre 14

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Romain observait la mer s'agiter à ses pieds. Autour de lui, les patients parcouraient la plage, envoûtés par la beauté du lieu. Des mouettes volaient au-dessus de leur tête, les frôlant régulièrement. Adam jeta un morceau de pain et l'un des volatiles le rattrapa avant qu'il ne touche le sol. Mais les pensées de l'homme n'étaient pas avec le groupe ni dans son devoir de médecin. Ambre s'était-elle réveillée ? Avait-elle mangé ? Il accordait une grande confiance en Ève mais a-t-elle su apprivoiser la jeune femme ? La jeune femme lui manquait...

Ève s'affairait dans la cuisine, sa petite fille dans ses jambes.

-Quand est-ce qu'ils rentrent ? Je m'ennuie... pleurnichait Izée.

-Un peu de patience. Ils rentrent pour le dîner. Et je te rappelle que ces gens sont malades, il ne faut pas trop les fatiguer.

-Et Ambre, je ne peux pas aller la voir ? 

-Elle est fatiguée, tu le sais bien. Et puis elle a déjà joué avec toi tout à l'heure.

La fillette afficha une moue contrariée et quitta la cuisine. Izée regorgeait d'énergie et en avait même beaucoup trop. Etant sans arrêt occupée aux tâches ménagères de la villa et plongée dans les comptes le reste du temps, cela ne lui en laissait pas énormément pour s'occuper de sa fille. Elle se pinça l'arrête du nez dans un soupir. Si seulement le père d'Izée était resté... Mais pour abandonner sa fille et sa petite amie, cela prouvait simplement qu'il n'était qu'un lâche et un crétin fini. Et elle ne pouvait l'accepter. Il n'y a que dans les véritables épreuves que l'on peut se rendre compte de la véritable nature de son entourage.

Ambre se laissa glisser au sol, y étant plus à son aise. Elle avait passé de longues heures dans cette petite pièce secrète. Elle s'y sentait à l'abris et les ouvrages regorgeaient de trésors de littérature. Avec l'autorisation d'Ève, elle en avait ramené trois dans sa chambre et ne perdit pas de temps pour s'y plonger. Elle retrouvait avec délice la joie de se perdre dans un autre univers plus féerique que la réalité.  

La porte d'entrée claqua. La voix d'Izée caquetait dans tous le vestibule : une boule de vitalité. Romain entra dans la cuisine dans laquelle Ève s'affairait activement.

-Comment va Ambre ? 

Ève sourit. Son comportement était vraiment mignon.

-Elle s'est réveillée ce matin puis a lu le reste de la journée. 

-Elle a lu ? fronça-t-il les sourcils.

-Eh oui, elle a l'air d'apprécier la lecture. Mais elle se fatigue rapidement. Elle se repose dans sa chambre, annonça-t-elle en s'essuyant les mains d'un torchon. Je l'aime bien cette petite. Si je peux vous donner un conseil, allez-y très doucement avec elle. Ambre est tellement fragile... Je n'accepterai pas que vous la blessiez. En tant que médecin, vous avez beaucoup de droit sur elle mais face à des émotions inattendues, même le plus intelligent et raisonnable peut heurter la sensibilité.

-Jamais je ne la blesserai volontairement.

-C'est bien votre "volontairement" qui m'inquiète. Mais allez la rejoindre, elle a eu l'air complètement perdue sans vous à son réveil.

Romain lui tourna le dos, désarçonné par ses conseils. Était-il capable de lui faire du mal par inadvertance ? Et il était conscient plus que quiconque de sa fragilité physique comme mentale. Mais envisageait-il réellement une relation sérieuse ? Il ne supporterait pas une nouvelle rupture comme la précédente. Bien sûr, Ambre était différente d'Aurélia. Une bouffée de colère mélangée à une profonde tristesse l'envahie à ce souvenir douloureux. Il s'efforça avec difficulté de revêtir ce masque neutre qui le protégeait de toutes émotions superflues. S'il avait failli céder au désir, Aurélia qui hantait encore chaque jour ses pensées lui rappelait une fois de plus que la sincérité en amour n'existait pas. 

Il poussa la porte de la chambre et la trouva assoupie au sol, la main posée sur un épais ouvrage. Il frissonna en la voyant dans cette position. Ses cheveux formaient un soleil autour de son visage. Sa main caressa sa joue comme un réflexe et elle gémit.

-Que fais-tu par terre ? Tu vas attraper froid, ainsi.

-Je préfère lire ici que sur mon lit, se redressa-t-elle, encore ensommeillée.

-Ça va mieux depuis le retour de la balade en mer ? Je suis désolé de t'avoir entraînée dans cette épreuve. 

-J'ai aimé passer un peu de temps avec toi, rougit-elle. Et puis si on avait pas été là, ils se seraient noyés dans la grotte, entraînant avec eux la mort d'un enfant qui n'avait rien demandé, dit-elle gravement. 

Ambre était heureuse de le voir enfin. Elle appréciait sa voix chaude, la puissance de sa main lorsqu'il caressait son visage. Elle voyait les lueurs de désir dans son regard. Est-ce qu'un médecin avait le droit d'agir ainsi avec une patiente ? Pour être tout à fait honnête, elle s'en fichait en cet instant. La jeune femme avait juste besoin d'entendre sa voix, d'observer sa mâchoire carrée pour être apaisée. Seulement, elle espérait qu'il n'évoquerait pas à nouveau son plongeon dans les eaux froides pour sauver le garçon. Bien sûr qu'elle se souvenait avec effroi de la froideur de l'eau tel des aiguilles chauffées à blanc et des remous qui menaçaient à chaque instant de l'entraîner sur les rochers pointus. Mais elle ne comprenait pas sa colère. Consciente d'avoir risqué sa vie, elle ne regrettait pas son acte. 

L'homme suffoquait en imaginant ce qui aurait pu arriver : son frêle corps en sang, réduit en charpie sur les rochers. Soudain, il agrippa sa main et la força à le regarder dans les yeux. Cette proximité la gênait et elle essaya de se soustraire à son emprise mais s'interrompit en voyant son expression blessée. Ses traits n'exprimaient que douleur.

-Promets-moi que tu prendras soin de toi à partir de maintenant. Promets-moi que tu t'accrocheras quoiqu'il arrive, murmura-t-il d'une voix grave à son oreille.

-Que... Qu'est-ce qui te prends ?

-Promets-le moi. Si tu ne le fais pas pour toi, fais-le pour moi. 

Romain savait que seul cet argument la ferait jurer. Il avait compris : sa vie ne lui importait que très peu. Elle vivait pour les autres. A l'hôpital, elle vivotait car elle y était contrainte. Jamais le personnel soignant ne l'aurait laissée attenter à sa vie, quitte à utiliser la force. Mais combien de fois avait-elle dû être envoûtée par la paix que pouvait apporter la mort ? Seul le passé existait. Le présent ne comptait pas et le futur encore moins. Sa main glissa dans sa nuque puis dans ses cheveux courts. Ce contact était très différent de ceux qu'il avait connu auprès d'Aurélia plutôt sauvages et désireux de plus. Celui-ci était tendre, plein d'affection et de sincérité.

-C'est promis...

Le soulagement l'envahie. Ce n'était plus le médecin qui parlait mais bien l'homme passionné. 

Aie ConfianceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant